Ras-le-bol fiscal: comment les riches ont gagné

Publié le 31 octobre 2013 par Juan
Ce n'est pas le moindre des paradoxes du moment.
Quand Pierre Moscovici osa lâcher, le 19 août, qu'il se sentait "très sensible au ras-le-bol fiscal" des Français, nombre de critiques de gauche, y compris dans ces colonnes, lui tombèrent dessus. Le ministre de l'Economie était encore pris en flagrant délit de collusion avec le patronat, la finance, bref cette classe économique dirigeant qui râlait encore dans les médias
Tout l'été, l'inquiétude était palpable.  On nous nourrissait avec les arguments les plus alarmistes, dans l'attente d'une nouvelle loi de finances. En cause, le poids des "prélèvements obligatoires". La suppression de la défiscalisation des heures supplémentaires dès l'été 2012, mesure macro-économiquement désastreuse, avait déjà provoqué une petite secousse, 2,5 milliards d'euros en jeu. Cette fois-ci, à l'approche de septembre 2013, chaque foyer allait recevoir plusieurs avis d'imposition en cascade, comme chaque année, et comprendre la douloureuse: impôt sur le revenu, taxe d'habitation, taxe foncière.
Surtout, l'UMp, le Medef, quelques autres grands patrons, les pigeons et tout ce que comptaient la France de plus ou moins fortunés, hurlaient depuis des mois. Rendez-vous compte, la moitié des hausses d'impôts votées en novembre 2012 pour l'exercice 2013 les concernait. 
Le 27 août dernier, Jean-Marc Ayrault lui-même était contraint de débouler sur un plateau de télévision pour calmer un front anti-fiscal composite, qui embrassait la droite politique, la "droite de la gauche", d'innombrables donneurs de leçons médiatiques, et même quelques ministres. 

On avait oublié que le compte n'y était pas. Malgré quelque 60 milliards d'euros de hausse d'impôts et de prélèvements entre 2011 et 2013, également répartis entre les mandatures Sarkozy et Hollande, nous n'avions pas (proportionnellement) retrouvé les niveaux d'antan. En 2010, même l'UMPiste Gilles Carrez, longtemps rapporteur du budget au Parlement, dénonçait ces cadeaux fiscaux faramineux d'une décennie de la droite au pouvoir: "Entre 2000 et 2009, le budget général de l'État aurait perdu entre 101,2 milliards d'euros (5,3 % de PIB) et 119,3 milliards d'euros (6,2 % de PIB) de recettes fiscales". Ni Sarkozy ni Hollande n'avaient encore "récupéré" pareille somme ...
On avait beau publié quelques statistiques et documents pour attester de la réalité,  la mode était à râler contre les impôts.
Mi-septembre, le site critique d'information ACRIMED, dénonce l'intoxication à l'oeuvre:
"Une fièvre nouvelle se serait emparée de la France en cette fin d’été : le « ras-le-bol fiscal » des Français face à l’augmentation prétendument déraisonnable des prélèvements obligatoires. Quoi qu’on pense du niveau de ces prélèvements, un constat s’impose : la mise à l’agenda du « ras-le-bol fiscal » dans le débat public a très largement relevé d’une construction médiatique."
Le terrain est propice: l'inquiétude sociale est forte, le chômage est massif, la reprise économique est timide.
Fin septembre, la veille de la présentation en conseil des ministres de la fameuse loi de finances tant attendue, le mensuel Capital s'inquiète encore du "coup de massue".
Un exemple parmi d'autres.

 
Le gouvernement Hollande y est pour quelque chose.
Hollande a renoncé à une réforme fiscale d'ampleur. L'argument principal, en résumé, est que l'économie française est trop fragile pour supporter une telle remise à plat.
Ensuite, Hollande préfère la réforme par petites touches. On en fera le bilan plus tard. Il n'empêche que cette méthode des petits pas ressemble surtout à un supplice chinois, déjà évoqué dans ces colonnes; un interminable feuilleton où chaque jour s'accompagne d'un nouvel impôt. Elle propage l'idée que cette affaire est sans limite ni fin.
Enfin, Hollande n'a aucune autre réforme sociale ni protectrice à faire valoir pour compenser, au moins à gauche, la détestable impression que tout le monde y passe. Au contraire, la réforme des retraites est comme un coup supplémentaire, anxiogène à souhait.
Au final, il suffit d'une mesurette pour améliorer les comptes de la Sécu - 200 millions d'euros de relèvements de cotisations sociales sur les PEL et les PEA pour déclencher une bronca généralisée... ça y est, nous sommes. Le ras-le-bol fiscal est général.
A bon entendeur...