Abolir la prostitution ?

Publié le 05 novembre 2013 par Lheretique

J'avoue être très tenté par la proposition d'abolir la prostitution : à vrai dire, le seul fait d'imaginer les 343 connards les menottes au mains et embarqués dans une fourgonnette de police me met en soi en joie.

Mais, d'un autre côté, il y a quelque chose qui me chiffonne dans cette proposition : tout d'abord, il me semble que la lutte contre le proxénétisme devrait être la priorité en matière de lutte et je ne pense pas que la bonne intention de faire disparaître la prostitution officielle en viendra à bout. Ensuite, ce qui me choque plus que tout dans la prostitution c'est la situation de violence que subit une femme, situation que j'associe à l'esclavage et au viol. Rien ne me choque plus que le mot "pute" qui m'insupporte et le mépris avec lequel il est employé pour désigner des femmes qui se prostituent. Il n'y a qu'à voir l'usage que font les 343 connards du déterminant possessif accolé à ce mot pour comprendre qu'ils considèrent ces femmes comme un bien que l'on peut traiter comme on l'entend dès lors qu'on paie, et encore. Ils font hypocritement semblant de croire qu'il ne s'agit que d'une relation contractuelle librement consentie.

Mais justement, c'est un peu là où le bât blesse pour moi : je veux l'abolition de la prostitution parce que la plupart du temps, c'est une situation de violence, pas parce qu'il y a paiement en échange d'une relation sexuelle. Non que j'approuve d'une quelconque manière un tel "échange commercial" mais plutôt que je juge qu'il est difficile de le rendre répréhensible moralement.

Pour moi, la sphère de la prostitution est plus large que la définition qu'on lui reconnaît : le mannequinat avec les porcs de photographes qui tentent de monnayer des recommandations contre des faveurs sexuelles, et dans la même veine les échelons du star-system pour les femmes sont au fond de même nature que la prostitution traditionnelle. Je pense que cet univers interlope n'est pas réglementé ni contrôlé et il devrait l'être. Mais du coup, où commencent et où s'arrêtent les limites ?

Je voudrais être certain de légiférer sur une base saine : je ne lutte pas contre les pratiques sexuelles déviantes ou non mais bien contre l'esclavage des femmes. Il ne serait pas honnête d'occulter que des jeunes femmes choisissent parfois de se prostituer, je ne parle évidemment pas de celles que l'on trouve dans les réseaux, parce qu'une passe avec un homme riche rapportera le salaire d'une caissière en une nuit. Bien que je désapprouve formellement de telles relations, je ne suis pas certain que ce soit le rôle de la loi de légiférer à ce sujet, dès lors que ces jeunes femmes sont protégées.

En même temps, si on encadre ces pratiques, il est évident que le jeu de la libre concurrence amènera assez vite sur le "marché" des prostituées à bas coût. Tout cela est fort sordide, au final mais pas simple à définir.

On en revient quand même finalement à la place de la sexualité dans nos sociétés. Les relations sexuelles ont un statut particulier dans nos lois, que nous le voulions ou pas, car dans le cas contraire, vendre la force de ses bras et louer l'usage de son sexe reviendraient l'un comme l'autre à louer son corps. Pour décréter l'un mauvais, il faudrait en faire autant pour l'autre.

Une violence faite à une femme, ce n'est pas seulement une relation sexuelle non consentie : c'est aussi une douleur qui lui est infligée lors d'un rapport sexuel, et de ce fait, cela va bien au-delà de la seule prostitution. Les premiers rapports sexuels entre jeunes gens rentrent aussi dans cette catégorie et, pour moi, le jeune mâle imbécile qui fait mal à sa compagne la première fois n'est guère plus estimable que le client de la prostituée...

Bref, je m'aventure dans des méandres dont je ne connais pas l'issue.

C'est un débat difficile et je ne puis conclure. Je comprends la position de Libre affichage  mais il y a quelque chose qui continue pourtant de me heurter. J'ai lu aussi l'article de la tovaritcha spartakiste Rosaelle sur le sujet : Je ne suis pas sûr de la suivre. Je lis chez elle ces lignes : 

Ok. On va dire que c'est comme ça. C'est vrai que des prostituées sont violentées par des clients, voire pire. On va laisser volontairement de côté la question des réseaux et de la traite des femmes. Oui mais... Si je suis ce raisonnement, et on n'est pas loin de la réalité, dans l'échangisme, il arrive que des femmes soient forcées par leur compagnon (j'ai lu des histoires à ce propos), et qu'elles soient violentées, allant contre leur volonté, on s'en sert comme jouet sexuel. Donc faudrait interdire l'échangisme? De la même manière, faut interdire aussi la pornographie, puisque les femmes qui y bossent sont soumises aux fantasmes des réalisateurs et on sait pas si elles sont pas forcées, d'ailleurs, et si elles aiment faire ça. Interdisons la pornographie!

Peut-être. Peut-être faudrait-il interdire en effet tout cela. Pourquoi considérer comme une évidence que les films pornographiques auraient une légitimité ? On est tout à fait dans la problématique de la violence faite aux femmes en tout cas.

 Il faut aussi interdire le sado-masochisme, ça tombe sous le sens.

Ça en revanche, non : on n'est pas dans le cadre d'une violence faite aux femmes, en tout cas, pas telle que je l'ai définie. Je rappelle qu'il y a une contrainte dans la violence qui ne se trouve pas dans le sado-masochisme envers et contre toutes les apparences puisqu'il s'agit de relations qui apportent du plaisir aux deux partenaires. Or, par essence, le plaisir et la contrainte sont antagonistes.

Faut arrêter le bordel: le sexe n'est pas un instrument de domination machiste de la société patriarcale. C'est surtout un acte entre deux personnes consentantes, quel que soit le lieu ou les circonstances. Si ça n'en est pas, ce sont des violences.

Là, d'accord, mais le problème demeure entier ; il est où le curseur des violences ? Je ne sais pas s'il est vain de débattre. Je sais que Platon a écrit nombre de dialogues qualifiés d'aporétiques, c'est à dire sans issue apparente. Ils ont pourtant fait progresser la pensée philosophique.

Je ne sais pas s'il y a une issue, mais la violence faite aux femmes mérite en tout cas bien qu'on en débatte quand bien même nous aboutissons à une aporie.