Pourquoi Hollande devrait craindre la coagulation.

Publié le 06 novembre 2013 par Juan

Crédit:  Elysee.fr

C'est la nouvelle théorie à la mode, l'explication d'une séquence de reculades sur le fond mineures mais trop fréquentes pour passer inaperçues: le spectre d'une "coagulation" d'intérêts contradictoires mais convergents pour l'occasion. Si Hollande s'en méfie, est-il conscient de sa responsabilité ?


Dans un billet publié ce lundi sur le Point.fr, on développe l'idée. L'article n'est pas signé, c'est peut-être Emmanuel Berreta, nouveau patron de la rubrique politique de cet hebdo d'opposition.
Imaginez que vous débarquez de loin, d'un autre pays, peut-être même d'une autre planète. Lisez donc la presse, écoutez donc les conversations. La France vous semblera effectivement au bord d'une crise de nerfs générale sans que l'on comprenne bien comment elle en sortira.
Ce lundi 4 novembre était ainsi exemplaire de ces débuts de semaine du quinquennat depuis bientôt un an: un psychodrame tous azimuts. Rentrée des classes oblige, dans quelques lycées franciliens, des élèves protestaient encore pour le retour de Léonarda et de sa famille, et du jeune Arménien Khatchik, voire pour l'arrêt de toutes les expulsions de clandestins.  Ailleurs, à cause de l'assassinat de deux journalistes français au Mali, François Hollande convoque une réunion de crise à l'Elysée. 
Malgré un hommage qu'on imaginait quasi-national, on entend des voix ici ou là pour critiquer sans vergogne la responsabilité des autorités françaises, et/ou de ces journalistes tués.
Dans un éditorial fameux pour Marianne, Jean-François Kahn voulait sortir Hollande du jeu politique, "par le haut". C'est-à-dire le remettre en position d'arbitre, comme Nicolas Sarkozy, cramé par les 10 premiers mois de son mandat agité, avait tenté de le faire en son temps. Lundi soir, Yves Calvi en rajoutait une couche, sur France 2, en dédicaçant son émission Mots Croisés à ce fichu thème: "Hollande, la paralysie ?".
Des manifestants "pour l'emploi" et "contre la crise" ont scandé ce samedi en Bretagne, "Hollande démission". Lundi matin, alors que quelques réunions associant pouvoirs publics et représentants locaux débutaient, nos médias de toute nature et toute obédience titraient sur notre président "désarmé face au bourbier breton" . Dans le Point.fr, on pouvait donc lire que "la révolte des "bonnets rouges" préfigure le cauchemar de François Hollande : la "coagulation", soit l'union de tous les mécontentements."
On citait un conseiller anonyme: "On sent une tension de plus en plus forte de certaines franges de la population sur l'immigration, la laïcité, la pauvreté (...), cela devient éprouvant". Ou un ministre, également anonyme: "Je ressens un grand désarroi de la part de ceux qui nous ont élus. (...) Au point où on en est, je me demande vraiment comment on va s'en sortir".
Donc, coagulation... ou pas ?
L'heure est effectivement grave.
On réalise, en cette période de fausse rentrée, que les plans sociaux s'accumulent. La Bretagne s'indigne d'une éco-taxe qui n'a pas eu lieu. Mais en Bretagne, comme ailleurs, le vrai trouble est quasiment existentiel: les plans sociaux se multiplient: Alcatel Lucent, Sanofi, La Redoute, Tilly-Sabco, FagorBrandt, Marine Harvest, on en dénombre au moins 1.000 en 12 mois. Et, à Bercy, on promet pire encore: "Les mois de novembre et de décembre vont être terribles (...). De grosses restructurations vont encore être annoncées, avec un impact local important sur l'emploi."
Le Pacte de Compétitivité venait de fêter sa première bougie. Louis Gallois, auteur du rapport éponyme mais peu suivi était presque satisfait: "Avant que la situation ne s’améliore, il faut qu’elle arrête de se détériorer. On en est au moins là aujourd’hui." Mais ceci est encore insuffisant. L'incantation neo-lib à la compétitivité de nos coûts du travail est une voie sans limite. Il y a toujours un pays moins cher sur la surface du globe. Louis Gallois lui-même espérait mieux et plus fort: "pour combler le retard sur l’Allemagne par exemple il aurait fallu 100 milliards de baisses de charges. Un choc 5 fois plus important. Mais si les patron n’investissent pas ou n’embauchent pas, c’est aussi parce que la conjoncture n’est pas bonne, que l’euro est trop élevé et enfin parce qu’ils doutent."
Hollande a toujours su, jusqu'à présent, dé-coaguler les oppositions. On l'a constaté sur la réforme des retraites (qui connait une péripétie provisoire au Sénat où le compte pénibilité a été refusé par la droite, et l'allongement de la durée de cotisations par la gauche), ou l'ANI.  En Bretagne, un large dispositif de concertation tous azimuts, comme pour transformer la Bretagne en "laboratoire des remèdes potentiels face à la crise", a été déployé: un plan régional, la suspension de l'éco-taxe pour en négocier les modalités, des rencontres avec tous les syndicats de salariés et patronaux, les organisations professionnelles, les élus et préfets départementaux.
Mais cette stratégie du "déminage permanent" se retourne aujourd'hui contre son auteur. 
Primo, elle nuit à la lisibilité de l'action. Car Hollande n'incarne finalement plus aucun dessein. Le "redressement" est une cause incertaine tant les paramètres internationaux sont imprévisibles, et insuffisamment motivante. L'action hollandaise est insuffisamment visible. Prenez ce Pacte de Compétitivité tant loué dans les milieux patronaux, il faut le chercher pour le trouver ! Et à force de taper sur tout le monde, il s'est privé de quelques réformes fortes mais clivantes - une réforme fiscale - et, en conséquence, de quelques arguments politiquement forts - le redressement dans la justice.
Secundo, en période de crise (des finances publiques, du chômage, etc), le déminage consiste moins à satisfaire un peu tout le monde - on n'en a plus les moyens - qu'à prendre le risque de mécontenter un peu chacun. Nicolas Sarkozy criait fort pour masquer une immobilité hors norme. Hollande agit par petites touches au point d'agacer. En d'autres termes, il désolidarise progressivement son propre camp, initialement déjà étroit compte tenu de l'état du pays.