Effets des pesticides sur la santé : le militantisme en guise d’information

Publié le 12 novembre 2013 par Copeau @Contrepoints
Analyse

Effets des pesticides sur la santé : le militantisme en guise d’information

Publié Par Contrepoints, le 12 novembre 2013 dans Sciences et technologies

L’Autorité européenne de sécurité des aliments (European Food Safety Authority – EFSA) a publié récemment une étude sur les liens entre pesticides et santé. La façon dont elle a été relayée par la presse pose question quant à la déontologie de certains journalistes.

Par Wackes Seppi.

Dans une livraison précédente, M. Anton Suwalki a décrit les contorsions déployées par M. Stéphane Foucart, journaliste au Monde, pour ne pas trop éreinter M. Gilles-Éric Séralini et sa désormais célèbre « étude » de l’influence sur les rats Sprague-Dawley du maïs GM portant l’événement NK 603 et de l’herbicide Roundup®. Nous avions précédemment critiqué un autre article de M. Foucart mettant en cause, de manière ahurissante, les règles d’évaluation de la sécurité environnementale des produits phytosanitaires.

L’actualité nous oblige à revenir sur la question de la déontologie de l’information, ainsi que de l’activisme.

L’EFSA publie…

Le 18 octobre 2013, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (European Food Safety Authority – EFSA) a publié une étude de la littérature sur les liens entre pesticides et santé, « Literature review on epidemiological studies linking exposure to pesticides and health effects », menée par cinq membres du Département Hygiène et Épidémiologie de l’École de Médecine de l’Université d’Ioannina en Grèce, sur la base d’un appel d’offre de l’EFSA.

Une publication sans fanfare qui n’a, semble-t-il, retenu l’attention que de quelques médias français et d’une association française. Par Toutatis ! Les pesticides nous tombent sur la tête ! Et exclusivement sur nous !

Selon le résumé, les chercheurs ont examiné 43.259 citations (présentées dans un document annexe) et retenu 603 articles publiés après 2006 et présentant plus de 6.000 analyses portant sur 23 grandes catégories d’affections.

Leur crime ? Car il y a « crime » : « Malgré la grande quantité de données disponibles et le nombre important (> 6000) des analyses disponibles, on ne peut pas tirer de conclusions fermes pour la majorité des résultats étudiés. Ce constat est décevant surtout quand on tient compte des nombreuses recherches dans ce domaine. Toutefois, cette observation est en accord avec des études antérieures sur l’épidémiologie environnementale et en particulier sur les pesticides, lesquelles études reconnaissent toutes que ces études épidémiologiques souffrent de nombreuses limitations et que l’hétérogénéité des données est telle qu’on ne peut pas tirer des conclusions définitives. » (Notre traduction)

Les auteurs n’ont donc pas alimenté le fonds de commerce des prêcheurs d’apocalypse.  Pire : « Nous avons également effectué une méta-analyse mise à jour des principaux résultats et de ceux pour lesquels nous avons identifié une méta-analyse pertinente publiée après 2006. Cela n’a été possible que pour les leucémies de l’enfant et la maladie de Parkinson. Pour ces deux résultats, nous avons trouvé des associations significatives entre l’exposition aux pesticides et la maladie, en accord avec des résultats publiés précédemment. »

… et la contestation se déchaîne

Enfin, il faut rester mesuré.  Le déchaînement semble limité à la France hypocondriaque et technophobe.

Le site Pourquoi docteur du Nouvel Observateur

Le pompon de l’incurie, voire de la mauvaise foi, est décroché sans conteste par : « Santé : l’Europe disculpe les pesticides » sur le site Pourquoi docteur du Nouvel Observateur.

L’Europe ? Qui disculpe ? M. Bruno Martrette descend dans les tours dès le chapeau : « L’Autorité européenne de sécurité alimentaire (sic, c’est « des aliments ») ne s’alarme pas du danger des pesticides. Pour ces (sic) experts, seules deux pathologies pourraient avoir un lien avec une exposition. »

Il attribue donc l’étude à l’EFSA, alors même que celle-ci avait bien pris soin de préciser – sur chaque page de l’étude, qui plus est – que : « Le présent document [...] ne peut pas être considéré comme un produit de l’EFSA ». En d’autres termes, il a écrit sans consulter l’étude…

On doit même se demander s’il a lu le résumé. Car le fait de ne pouvoir trouver une association significative qu’entre pesticides et deux maladies ne signifie pas que « seules deux pathologies pourraient avoir un lien ». On notera aussi l’emploi du conditionnel, qui serait curieux à la lumière des conclusions de l’étude s’il n’était pas malveillant.

De plus son billet comporte une pseudo-citation de l’étude qui, en outre, témoigne d’une connaissance approximative du sujet (ou d’un sérieux manque de professionnalisme).

Au total donc, une vision à travers le prisme déformant de l’aversion pour une EFSA coupable de ne pas être assez alarmiste.

Le Monde

M. Stéphane Foucart a été plus subtil dans Le Monde. C’eût été déchoir s’il avait fait le même amalgame entre l’Université d’Ioannina et l’EFSA. Il en laisse donc le soin à son compère : « « Il eut été très surprenant de voir l’EFSA reconnaître facilement que les pesticides qu’elle autorise depuis des années constituent un risque pour la santé, commente François Veillerette, porte-parole de l’association de défense de l’environnement Générations futures. Sauf à reconnaître la faiblesse de l’évaluation des risques mise en œuvre à l’EFSA ! » Le rapport commandé par l’agence n’a cependant, stricto sensu, pas valeur d’opinion de l’agence et n’est qu’une contribution extérieure. »

Voilà donc l’« information » par Le Monde, version Foucart : on donne la parole à un militant qui ne s’embarrasse guère d’objectivité, pour qu’il exprime une énormité, et on rectifie dans la foulée, sachant que le lecteur peu averti aura fatalement gobé l’énormité. Du grand art !

Sur le fond, M. Foucart se livre à la même simplification synonyme de désinformation que M. Martrette : « L’étude, chargée de synthétiser les travaux publiés dans la littérature scientifique, conclut de manière rassurante à un lien avec seulement deux pathologies : maladie de Parkinson et leucémie infantile. »

Car, visiblement, il n’a pas non plus lu l’étude. Car celle-ci fait état d’autres associations. Par exemple, dans le cas des maladies respiratoires : « Nous concluons donc que pour le DDT, mais pas pour le chlorpyrifos et le paraquat, il existe des données récentes suggérant une association modérée, statistiquement significative, entre l’exposition à ces pesticides et l’asthme. »

Générations Futures

Qu’attendre d’un militant anti-pesticides et propagandiste de l’agriculture biologique, notamment par dénigrement de l’agriculture conventionnelle qui nous nourrit ? Il suffit de s’en remettre au double titre de son brûlot : « Pesticides: une nouvelle étude de l’EFSA à contre-courant de toute la science »  et « Danger des pesticides : l’EFSA se distingue encore par une sous-estimation du risque des pesticides pour la santé humaine ! »

Là encore, la mauvaise foi est patente puisque Générations Futures invective l’EFSA tout en précisant, de manière plutôt désinvolte : « À noter que ce rapport n’est pas un rapport de membres de panel d’experts de l’EFSA mais un rapport réalisé par des chercheurs de l’Université de Ioannina en Grèce, répondant à une question posée par l’Agence. » Précision annulée, plus loin, par une déclaration à l’emporte-pièce de M. Veillerette : « …l’EFSA persiste à commanditer des rapports lénifiants qui ne peuvent rien montrer pour justifier un système d’évaluation et d’homologation des matières actives pesticides déficient… »

En clair : l’EFSA n’a pas commandité que le rapport… mais aussi le résultat… avec un objectif inavouable. Accusation grave, sans le moindre début d’élément de preuve. En tout cas, les cinq auteurs de l’étude, dont l’honnêteté intellectuelle est ainsi mise en cause de manière gratuite, apprécieront.

L’Inserm a dit…

Une expertise instrumentalisée…

Dans un bel élan d’unanimité, ces personnages font état d’une discordance grave entre ce « rapport de l’EFSA » et une expertise collective de l’Institut national de la Santé et de la Recherche médicale (Inserm), « Pesticides – Effets sur la santé », publiée le 13 juin 2013, avec force flonflons.

L’expertise avait été commandée par la Direction générale de la Santé à une date que nous n’avons pas pu déterminer. On ne peut toutefois que s’interroger sur la relative concomitance des deux études, et probablement des appels d’offres (publiés les 28 juin et 12 juillet) ; et, partant, sur l’utilisation des deniers publics par le gouvernement français. Ce, d’autant plus qu’il y a une concomitance similaire pour, appelons-le comme cela, la réédition de l’infâme « étude » Séralini.

L’expertise avait aussi suivi, de peu, la publication par l’Institut de veille sanitaire (InVS) du second tome du rapport « Exposition de la population française aux substances chimiques de l’environnement consacré aux pesticides et aux polychlorobiphényles non dioxin-like (PCB-NDL) », lequel s’inscrit dans le cadre du volet environnemental de l’Étude nationale nutrition santé (ENNS).  Un rapport qui avait fait moins de bruit, vu notamment qu’il se prêtait moins à la fabrication de peurs (sauf à dissuader les propriétaires de chiens et chats de les antipucer, ou les parents de traiter leurs enfants contre les poux).

L’étude des universitaires d’Ioannina disculpait donc les pesticides selon M. Martrette, alors que le rapport de l’Inserm était selon lui « alarmant »… Il est vrai que l’Inserm avait « soigné » sa communication et mis l’accent sur les liens trouvés, même faibles, plutôt que sur les résultats non concluants (rappelons ici qu’absence de preuve de lien ne signifie pas preuve de l’absence de lien ; mais, dans le contexte de l’hystérie antipesticides française, une communication plus équilibrée aurait été bienvenue).

Aucun des commentateurs de l’étude de l’Université d’Ioannina n’a relevé que les deux études avaient des portées différentes – et qu’en conséquence accuser l’une d’invraisemblance et de partialité relevait de la manipulation.

Ioanninna ? C’est une étude des études postérieures à 2006 (et d’études référencées). L’Inserm ? C’est apparemment une étude colligeant les données des 30 années précédentes (études non sourcées). Que la première fasse état de deux « associations significatives » et que la deuxième trouve quatre présomptions de lien fortes (cf. bilan à l’annexe 2 de l’étude) n’est donc pas, de ce seul fait, une indication de biais ou, comme l’écrit M. Veillerette dans ses titres, d’une « étude de l’EFSA à contre-courant de toute la science » – grands dieux ! Toute la science – ou d’une « sous-estimation du risque des pesticides pour la santé humaine ».

S’agissant de l’expertise de l’Inserm, l’Union des Industries de la Protection des Plantes (UIPP) avait en son temps relevé : « Le rapport de l’Inserm est une synthèse de 30 années d’études épidémiologiques : de ce fait, il fait référence d’une part à des produits qui pour la grande majorité ne sont aujourd’hui plus sur le marché, et d’autre part à des pratiques d’utilisation obsolètes. » L’UIPP avait aussi noté : « La lecture du rapport Inserm confirme que la procédure d’autorisation de mise sur le marché est efficace et protectrice. » Lecture évidemment à l’opposé de celle des marchands de peur.

Il se trouve que c’est aussi celle de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) : « Cette expertise constitue une contribution très utile pour l’Anses dans le cadre de son travail d’évaluation des risques liés à l’exposition aux pesticides. Elle conforte les mesures prises depuis une quinzaine d’années dans le cadre de la règlementation européenne de retirer du marché les substances les plus directement suspectées d’effets néfastes pour la santé, et donc désormais interdites en Europe [...] »

M. Martrette dit…

« Nous sommes donc ici bien loin du rapport alarmant de l’Inserm qui alertait sur les nombreux dangers des pesticides pour les agriculteurs, mais aussi pour les riverains ! »

Peut-on lui suggérer que le rapport de l’Inserm n’est pas si alarmant ?

… et M. Foucart dit…

« L’image de la science neutre et souveraine en prend un coup : sur les mêmes sujets et à partir des mêmes données, l’expertise parvient parfois à des conclusions radicalement différentes, selon l’organisme qui l’organise. »

Eh bien non ! Les conclusions ne sont pas radicalement différentes.

… quant à M. Veillerette…

Il offre à ses lecteurs un véritable feu d’artifice.  Mais on peut retenir que : « Cette étude commissionnée par l’EFSA sur les liens entre pesticides et pathologies suit une méthodologie technique excessivement prudente qui a pour conséquence qu’à l’arrivée… les chercheurs ne sont plus capables de tirer la moindre conclusion de ces centaines d’études de haut niveau sauf pour 2 pathologies. »

En d’autres termes, le résultat ne plait pas… donc la méthodologie n’est pas bonne…

Il n’y a de bonne science que de conforme aux attentes militantes ! Lyssenko doit se réjouir dans sa tombe !

La divine surprise du CEO

Des conflits d’intérêts à la pelle…

La publication par l’EFSA – sans fanfare – de l’étude des chercheurs de l’Université d’Ioannina est intervenue quasi simultanément avec celle d’une « organisation non gouvernementale », le Corporate Europe Observatory, dont une spécialité est la chasse aux conflits d’intérêts et, quand il n’y en a guère, leur fabrication.

« Unhappy meal. The European Food Safety Authority’s independence problem » est une analyse de la politique de l’EFSA en matière de gestion des conflits d’intérêts, laquelle se termine par une série de recommandations dont certaines ne sont pas dénuées d’intérêt (si l’on ose dire…). Mais le problème principal de cette organisation – qui alimente le positionnement idéologique de maints acteurs de la politique européenne – est sa vision intégriste du conflit d’intérêts. Tellement jusqu’au-boutiste que le vivier d’experts se dépeuplerait ou se limiterait à des personnes n’ayant jamais eu de contacts avec le secteur privé honni et, partant, une expertise au mieux limitée.

M. Foucart en retient le plus « croustillant »

M. Foucart en a essentiellement retenu le côté « croustillant » dans un article jumeau de celui examiné ci-dessus : « Sécurité alimentaire européenne : 59 % des experts en conflit d’intérêts ». Un article qui fait la part belle à la thèse du CEO qui « met en évidence, pour la première fois, l’ampleur des liens d’intérêts noués entre les experts de l’agence et le monde industriel. » En fait, ce n’est pas la première fois, mais qu’importe.

M. Foucart précise bien que : « Les conclusions de l’ONG sont contestées par l’EFSA. Le désaccord tient essentiellement à la définition même du conflit d’intérêts. » Il cite aussi les réponses de l’EFSA, mais aucun intertitre ne vient les souligner, et elles sont entrelardées de commentaires de lui-même ou du CEO. Nous aurons donc l’impudence de déclarer que l’impartialité de l’information passe aussi par un équilibre dans la présentation (à commencer par un titre plus honnête).

M. Martrette à sens unique

Pour M. Martrette, qui titre : « Europe : l’Autorité de sécurité alimentaire plombée par les conflits d’intérêts », la question est : « Le scandale va-t-il prendre de l’ampleur ? », le parlementaire européen et « paysan pour l’Europe » (interdit de rire !) José Bové ayant produit quatre paragraphes sur son blog (avec des « trucs » pitoyables du style : « plus de 60% des scientifiques… » quand le chiffre exact est de 122 experts mis en cause par le CEO sur 209, soit 58,4%). En fait, le scandale, c’est que M. Martrette ne s’est pas donné la peine de présenter les réponses de l’EFSA.


Sur le web.

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