Inspection du Travail: qui parlera au nom des salariés ?

Publié le 14 novembre 2013 par Juan
Michel Sapin, ministre du Travail, voudrait "réformer" l'inspection du Travail. Les premières annonces ont suscité des critiques différentes de la part des représentants du patronat, d'une part, et des personnels de l'inspection, d'autre part. Et des salariés ? Personne ne s'est visiblement exprimé sur le sujet.
Le ministre Sapin a présenté son projet le 6 novembre dernier en Conseil des ministres.
La France compte actuellement un agent pour 8.000 salariés, soit 2.236 agents de contrôle, dont 743 inspecteurs et 1.493 contrôleurs, un nombre dérisoire au regard de l'ampleur des fraudes, et de leur complexité grandissante - dans son exposé des motifs, Sapin pointe notamment les "pratiques d’entreprises en réseau", ou les prestations de service internationales illicites. Quelque 260.000 interventions ont été réalisées en 2012. Dans les années 2000, les effectifs avaient été artificiellement gonflés par la fusion de l’inspection du régime général avec celles des transports, de l’agriculture et de la mer. Et la RGPP des années Villepin/Sarkozy a réduit les effectifs de secrétariat tout en imposant des objectifs chiffrés: "A partir de 2006, chaque agent se voit fixer un objectif de 200 interventions par an, dont 60 % de contrôles en entreprise".
Résultat, la "casse humaine" est réelle.
Le projet tient en trois points.
1. Augmenter le nombre d'inspecteurs: en dix ans, le gouvernement veut transformer en inspecteurs l'essentiel des contrôleurs actuels, qui disposent de moins de pouvoir: "La première étape concernera 540 contrôleurs et sera menée sur la période 2013-2015."
2. Autoriser les inspecteurs à infliger des amendes administratives (ils ne peuvent aujourd'hui que saisir la justice) ou à arrêter certains travaux dangereux pour les salariés. Les critiques patronales portent sur cette plus grande rapidité potentielle de la sanction. Le secrétaire général de la CGPME plaide pour le recours à la justice: "nous voulons un respect du débat contradictoire." Et un vice-président du MEDEF s'inquiète: "le gouvernement devrait plutôt se préoccuper des simplifier les règles." En décembre dernier, le Monde Diplomatique revenait sur l'ampleur des procédures judiciaires qui ne débouchaient sur rien: "Près d’un tiers des procès-verbaux s’égarent dans les rouages de la machine judiciaire ; 20 % sont classés sans suite par les parquets ; et un gros tiers seulement débouchent sur des poursuites."
3. Créer des "unités de contrôle" (UC) de 8 à 12 agents, "pour renforcer d’une part son efficacité, grâce à une approche plus collective tout en conservant l’ancrage territorial (la section) et, d’autre part, la compétence générale sur l’ensemble du code du travail." Cette mesure fait hurler des représentants du personnel de l'inspection: ces derniers craignent de perdre leur indépendance au profit d'un travail en équipe. Le ministère plaide au contraire pour une meilleure coordination collective. Gérard Filoche, ancien inspecteur du travail lui-même, parle carrément de "casse".Lui et d'autres ont manifesté le 22 octobre dernier.
Leur première critique portent sur le caractère variable de la taille des UC: "les UC seront à géométrie variable (entre 8 à 12 agents) et à tout moment le nombre d’agents à l’intérieur d’une UC pourra être diminué sans que cela ne pose de problèmes puisque seul le nombre d’UC aura une définition réglementaire". Seconde récrimination, la prétendue réduction des effectifs de catégorie C (agents de secrétariats), et la transformation de leur métier ("les secrétaires ne doivent plus effectuer des tâches de frappe.").
Troisième et dernière critique, une perte d'indépendance: l'indépendance des inspecteurs est garantie par l’article 6 de la convention 81 de l’OIT. Qu'en sera-t-il demain si les inspecteurs sont regroupés dans des UC ? Si leurs travaux sont "pilotés" par le ministère ? "Demain, tout ce qui sera infra Unité de Contrôle n’aura pas d’existence règlementaire et pourra être créé, supprimé, modifié sur simple décision de la hiérarchie. (...) Demain, tout type de regroupement de services pourra avoir lieu, tout cadre spécialisé d’organisation pourra être retenu" clamait l'intersyndicale CGT-FO-FSU-SUD le 22 octobre dernier.
Résumons: du côté des milieux patronaux, on s'inquiète de ce renforcement des pouvoirs. Du côté des représentants syndicaux, on dénonce la fin de l'inspection du travail...
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