Ce soir à Vichy, Les Soliloques du pauvre du poète Jean Rictus

Par Hjb63

Invités par L'Académie du Vernet, le comédien Serge Dekramer récitera son adaptation du texte du poète Gabriel Randon dit Jehan-Rictus (1867 1933) alors que Michèle Lazès déroulera sa chorégraphie sur une musique de Katiaryna Zakryzheuskaia. Unique occasion pour les vichyssois et autes bourbonnais et auvergnats de voir cette reprise du succès de 2008 au Théâtre du Nord-ouest à Paris.

Samedi 16 Novembre 2013 à 19h30

Aletti Palace

3 Place Joseph Aletti (près de l’Opéra), 03200 Vichy

Participation 15 € (t. réduit 10€)- Spectacle + dîner 40€

(Places limitées. Réservation 04 70 30 20 20)

« Michèle Lazès met en scène Serge Dekramer dans Les Soliloques du pauvre du poète Jean Rictus. Un texte magnifique que le comédien nous rend sensible et actuel. » LE FIGARO

« L'interprétation de Serge Dekramer, impeccable de maîtrise et d'émotion, fait merveille dans cette langue fleurie de Jehan Rictus, cueillie entre les pavés du Montmartre des années 1900 ».

Pour plus de renseignements :

Marc BERTOLA vice-président

7, Imp. Gilbert

03200 VICHY

04 70 31 87 16

06 89 29 57 63

www.vitrail-bertola.com

mb.vitrail(at)wanadoo.fr avec (at)=@

Retrouvez le texte (et d’autres) sur le site que lui consacrent quelques passionnés.

Le Revenant

I

Des fois je m’ dis, lorsque j’ charrie

À douète... à gauche et sans savoir

Ma pauv’ bidoche en mal d’espoir,

Et quand j’ vois qu’ j’ai pas l’ droit d’ m’asseoir

Ou d’ roupiller dessus l’ trottoir

Ou l’ macadam de « ma » Patrie,

Je m’ dis : — Tout d’ même, si qu’y r’viendrait !

Qui ça ?... Ben quoi ! Vous savez bien,

Eul’ l’ trimardeur galiléen,

L’ Rouquin au cœur pus grand qu’ la Vie !

De quoi ? Ben, c’lui qui tout lardon

N’ se les roula pas dans d’ beaux langes

À caus’ que son double daron

Était si tell’ment purotain

Qu’y dut l’ fair’ pondr’ su’ du crottin

Comm’ ça à la dure, à la fraîche,

À preuv’ que la paill’ de sa crèche

Navigua dans la bouse de vache.

Si qu’y r’viendrait, l’Agneau sans tache ;

Si qu’y r’viendrait, l’ Bâtard de l’ Ange ?

C’lui qui pus tard s’ fit accrocher

À trent’-trois berg’s, en plein’ jeunesse

(Mêm’ qu’il est pas cor dépendu !),

Histoir’ de rach’ter ses frangins

Qui euss’ l’ont vendu et r’vendu ;

Car tout l’ monde en a tiré d’ l’or

D’pis Judas jusqu’à Grandmachin !

L’ gas dont l’ jacqu’ter y s’en allait

Comm’ qui eût dit un ruisseau d’ lait,

Mais qu’a tourné, qui s’a aigri

Comm’ le lait tourn’ dans eun’ crém’rie

Quand la crémière à ses anglais !

(La crémièr’, c’est l’Humanité

Qui n’ peut approcher d’ la Bonté

Sans qu’ cell’-ci, comm’ le lait, n’ s’aigrisse

Et n’ tourne aussitôt en malice !)

Si qu’y r’viendrait ! Si qu’y r’viendrait,

L’Homm’ Bleu qui marchait su’ la mer

Et qu’était la Foi en balade :

Lui qui pour tous les malheureux

Avait putôt sous l’ téton gauche

En façon d’ cœur... un Douloureux.

(Preuv’ qui guérissait les malades

Rien qu’à les voir dans l’ blanc des yeux,

C’ qui rendait les méd’cins furieux.)

L’ gas qu’en a fait du joli

Et qui pour les muffs de son temps

N’tait pas toujours des pus polis !

Car y disait à ses Apôtres :

— Aimez-vous ben les uns les autres,

Faut tous êt’ copains su’ la Terre,

Faudrait voir à c’ qu’y gn’ait pus d’ guerres

Et voir à n’ pus s’ buter dans l’ nez,

Autrement vous s’rez tous damnés.

Et pis encor :

— Malheur aux riches !

Heureux les poilus sans pognon,

Un chameau s’ enfil’rait ben mieux

Par le petit trou d’eune aiguille

Qu’un michet n’entrerait aux cieux !

L’ mec qu’était gobé par les femmes

(Au point qu’ c’en était scandaleux),

L’Homme aux beaux yeux, l’Homme aux beaux rêves

Eul’ l’ charpentier toujours en grève,

L’artiss’, le meneur, l’anarcho,

L’entrelardé d’ cambrioleurs

(Ça s’rait-y paradoxal ?)

L’ gas qu’a porté su’ sa dorsale

Eune aut’ croix qu’ la Légion d’Honneur !

II

Si qu’y r’viendrait, si qu’y r’viendrait !

Tout d’un coup... ji... en sans façons,

L’ modèl’ des méniss’s économes,

Lui qui gavait pus d’ cinq mille hommes

N’avec trois pains et sept poissons.

Si qu’y r’viendrait juste ed’ not’ temps

Quoi donc qu’y s’ mettrait dans l’ battant ?

Ah ! lui, dont à présent on s’ fout

(Surtout les ceuss qui dis’nt qu’ils l’aiment).

P’têt’ ben qu’y n’aurait qu’ du dégoût

Pour c’ qu’a produit son sacrifice,

Et qu’ cette fois-ci en bonn’ justice

L’aurait envie d’ nous fout’ des coups !

Si qu’y r’viendrait... si qu’y r’viendrait

Quéqu’ jour comm’ ça sans crier gare,

En douce, en pénars, en mariolle,

De Montsouris à Batignolles,

Nom d’un nom ! Qué coup d’ Trafalgar !

Devant cett’ figur’ d’honnête homme

Quoi y diraient nos négociants ?

(Lui qui bûchait su’ les marchands)

Et c’est l’ Pap’ qui s’rait affolé

Si des fois y pass’rait par Rome

(Le Pap’, qu’est pus riche que Crésus.)

J’en ai l’ frisson rien qu’ d’y penser.

Si pourtant qu’y r’viendrait Jésus,

Lui, et sa gueul’ de Désolé !

III

Eh ben ! moi... hier, j’ l’ai rencontré

Après menuit, au coin d’eun’ rue,

Incognito comm’ les passants

Des tifs d’argent dans sa perrugue

Et pour un Guieu qui s’ paye eun’ fugue

Y n’était pas resplendissant !

Y n’est v’nu su’ moi et j’y ai dit :

— Bonsoir... te v’là ? Comment, c’est toi ?

Comme on s’ rencontr’... n’en v’là d’eun’ chance !

Tu m’épat’s... t’es sorti d’ ta Croix ?

Ça n’a pas dû êt’ très facile...

Ben... ça fait rien, va, malgré l’ foid,

Malgré que j’ soye sans domicile,

J’ suis content d’ fair’ ta connaissance

— C’est vraiment toi... gn’a pas d’erreur !

Bon sang d’ bon sang... n’en v’là d’eun’ tuile !

Qué chahut d’main dans Paris !

Oh ! là là, qué bouzin d’ voleurs :

Les jornaux vont s’ vend’ par cent mille !

— Eud’mandez : « Le R’tour d’ Jésus-Christ ! »

— Faut voir : « L’Arrivée du Sauveur !!! »

— Ho ! tas d’ gouapeurs ! Hé pauv’s morues,

Sentinell’s des miséricordes,

Vous savez pas, vous savez pas ?

(Gn’a d’ quoi se l’esstraire et s’ la morde !)

Rappliquez chaud ! Gn’a l’ fils de Dieu

Qui vient d’ déringoler des cieux

Et qui comme aut’fois est sans pieu,

Su’ l’ pavé... quoi... sans feu ni lieu

Comm’ nous les muffs, comm’ vous les grues !!!

— (Chut ! fermons ça... v’là les agents !)

T’entends leur pas... intelligent ?

Y s’ charg’raient d’ nous trouver eun’ turne.

(Viens par ici... pet ! crucifié.)

Tu sais... faurait pas nous y fier.

Déjà dans l’ squar’ des Oliviers,

Tu as fait du tapag’ nocturne ;

— Aujord’hui... ça s’rait l’ mêm’ tabac,

Autrement dit, la même histoire,

Et je n’ te crois pus l’estomac

De r’subir la scèn’ du Prétoire !

— Viens ! que j’ te r’garde... ah ! comm’ t’es blanc.

Ah ! comm’ t’es pâl’... comm’ t’as l’air triste.

(T’as tout à fait l’air d’un artiste !

D’un d’ ces poireaux qui font des vers

Malgré les conseils les pus sages,

Et qu’ les borgeois guign’nt de travers,

Jusqu’à c’ qu’y fass’nt un rich’ mariage !)

— Ah ! comm’ t’es pâle... ah ! comm’ t’es blanc,

Tu guerlott’s, tu dis rien... tu trembles.

(T’ as pas bouffé, sûr... ni dormi !)

Pauv’ vieux, va... si qu’on s’rait amis

Veux-tu qu’on s’assoye su’ un banc,

Ou veux-tu qu’on balade ensemble...

— Ah ! comm’ t’ es pâle... ah ! comm’ t’ es blanc,

T’ as toujours ton coup d’ lingue au flanc ?

De quoi... a saign’nt encor tes plaies ?

Et tes mains... tes pauv’s mains trouées

Qui c’est qui les a déclouées ?

Et tes pauv’s pieds nus su’ l’ bitume,

Tes pieds à jour... percés au fer,

Tes pieds crevés font courant d’air,

Et tu vas chopper un bon rhume !

— Ah ! comm’ t’ es pâle... ah ! comm’ t’ es blanc,

Sais-tu qu’ t’ as l’air d’un Revenant,

Ou d’un clair de lune en tournée ?

T’ es maigre et t’ es dégingandé,

Tu d’vais êt’ comm’ ça en Judée

Au temps où tu t’ proclamais Roi !

À présent t’ es comme en farine.

Tu dois t’en aller d’ la poitrine

Ou ben... c’est ell’ qui s’en va d’ toi !

— Quéqu’ tu viens fair’ ? T’ es pas marteau ?

D’où c’est qu’ t’ es v’nu ? D’en bas, d’en haut ?

Quelle est la rout’ que t’ as suivie ?

C’est-y qu’ tu r’commenc’rais ta Vie ?

Es-tu v’nu sercher du cravail ?

(Ben... t’ as pas d’ vein’, car en c’ moment,

Mon vieux, rien n’ va dans l’ bâtiment) ;

(Pis, tu sauras qu’ su’ nos chantiers

On veut pus voir les étrangers !)

— Quoi tu pens’s de not’ Société ?

Des becs de gaz... des électriques.

Ho ! N’en v’là des temps héroïques !

Voyons ? Cause un peu ? Tu dis rien !

T’ es là comme un paquet d’ rancœurs.

T’ es muet ? T’ es bouché, t’ es aveugle ?

Yaou... ! T’ entends pas ce hurlement ?

C’est l’ cri des chiens d’ fer, des r’morqueurs,

C’est l’ cri d’ l’Usine en mal d’enfant,

C’est l’ Désespoir présent qui beugle !

IV

— Ed’ ton temps, c’était comme aujord’hui ?

Quand un gas tombait dans la pure

Est-c’ qu’on l’ laissait crever la nuit

Sans pèz’, sans rif et sans toiture ?

— (Pass’ que maint’nant gn’a du progrès,

Ainsi quand gn’a trop d’ vagabonds

Ben on les transmet au Gabon.)

Ceux d’ bon gré et ceux d’ mauvais gré

Et ceuss comm’ toi qu’ont la manie

D’ trouver que l’ monde est routinier,

Ben on les fout dans l’ mêm’ pagnier.

(Dam ! le Français est casanier,

Faut ben meubler les colonies !)

— On parle encor de toi, tu sais !

Voui on en parle en abondance,

On s’ fait ta tête et on s’ la paie,

T’ es à la roue... t’ es au théâtre,

On t’ met en vers et en musique,

T’ es d’venu un objet d’ Guignol,

(Ça, ça veut dir’ qu’ tu as la guigne.)

— Ousqu’il est ton ami Lazare ?

Et Simon Pierre ? Et tes copains...

Et Judas qui bouffait ton pain

Tout en t’ vendant comme au bazar ?

Et tes frangins et ta daronne

Et ton dab, qu’était ben jean-jean !

Te v’là, t’es seul ! On t’abandonne !

— Et Mad’leine... ousqu’alle est passée ?

(Ah ! pauv’ Mad’leine... pauv’ défleurie,

Elle et ses beaux nénés tremblants,

Criant pitié, miaulant misère,

Ses pauv’s tétons en pomm’s d’amour

Qu’ étaient aussi deux poir’s d’angoisse

Qu’on s’ s’rait ben foutu dans l’ clapet.)

— C’était la paix, c’était la Vie.

Ah ! tout fout l’ camp et vrai, ma foi,

T’ aurais mieux fait d’ te mett’ en croix

Contr’ son ventr’ nu... contr’ sa poitrine,

Ces dardés-là t’euss’nt pas blessé,

Sûr t’aurais mieux fait... d’ l’embrasser :

A n’avait un pépin pour toi !

V

Ah ! Généreux !... ah ! Bien-aimé,

Tout ton monde y s’a défilé

Et comm’ jadis, au Golgotha :

Eli lamma Sabacthani,

Ou n, i, ni c’est ben fini.

Eh ! blanc youpin... eh ! pauv’ raté !

Tout ton Œuvre il a avorté

Toi, ton Étoile et ta Colombe

Déringol’nt dans l’éternité ;

Tu dois en avoir d’ l’amertume.

Même à présent quand la neig’ tombe :

(On croirait tes Ang’s qui s’ déplument !)

Là, là, mon pauv’ vieux, qué désastre !

Gn’en a pas d’ pareil sous les astres,

Et faut qu’ ça soye moi qui voye ça ?

Et dir’ que nous v’là toi z’et moi,

Des bouff-la-guign’, des citoyens

Qu’ ont pas l’ moyen d’avoir d’ moyens.

Et que j’ suis là, moi, bon couillon,

À t’ causer... à t’ fair’ du chagrin,

Et que j’ sens qu’ tu vas défaillir

Et que j’ai mêm’ rien à t’offrir,

Pas un verre... un bol de bouillon !

Ohé, les beaux messieurs et dames

Qui poireautez dans les Mad’leines,

Curés, évêques, sacristains,

Maçons, protestants, tout’ la clique,

Maqu’reaux d’ vot’ Dieu, hé ! catholiques,

Envoyez-nous un bout d’hostie :

G’na Jésus-Christ qui meurt de faim !

VI

— Et pourtant, vrai, c’ qu’on caus’ de toi !

(Ah ! faut voir ça dans les églises,

Dans les jornaux, dans les bouquins !)

Tout l’ monde y bouff’ de ton cadavre

(Mêm’ les ceuss qui t’en veul’nt le plus !)

Sous la meilleur’ des Républiques

Gn’en a qu’ ont voulu t’ décrocher,

D’aut’s inaugur’nt des basiliques

Où tu peux seul’ment pas coucher.

— Et tout ça s’ passe en du clabaud !

Et quand y faut payer d’ sa peau,

Quand faut imiter l’ Fils de l’Homme,

Oh ! là, là, gn’a rien d’ fait... des pommes !

Les sentiments sont vit’ bouclés,

À la r’voyure, un tour de clé !

Les uns y z’ont les pieds nick’lés,

Les aut’s y les ont en dentelles !

— (Toi au moins t’ étais un sincère,

Tu marchais... tu marchais toujours ;

(Ah ! cœur amoureux, cœur amer)

Tu marchais mêm’ dessur la mer

Et t’ as marché... jusqu’au Calvaire !)

— Et dir’ que nous v’là dans les rues

(Moi, passe encor, mais toi ! oh ! toi !)

Et nous somm’s pas si loin d’ Noël ;

T’es presque à poils comme autrefois,

Tout près du jour où ta venue

Troublait les luisants et les Rois !

Ah ! mes souv’nirs... ah ! mon enfance

(Qui s’est putôt mal terminée),

Mes ribouis dans la cheminée,

Mes mirlitons... mes joujoux d’ bois !

— Ah ! mes prièr’s... ah ! mes croyances !

— Mais ! gn’a donc pus rien dans le ciel !

— Sûr ! gn’a pus rien ! Quelle infortune !

(J’ suis mêm’ pas sûr qu’y ait cor la Lune.)

Sûr ! gn’a pus rien, mêm’ que peut-être

Y gn’a jamais, jamais rien eu...

VII

Mais à présent... quoi qu’ tu vas foutre ?

Fair’ des bagots... ou ben encor

Aux Hall’s... décharger les primeurs !

(N’ va pas chez Drumont on t’ bouff’rait)

Après tout, tu n’étais qu’un youtre !

— Si j’ te servais tes Paraboles !

Heureux les Simpl’s, heureux les Pauvres,

Eul’ Royaum’ des Cieux est à euss.

— (C’est avec ça qu’on nous empaume,

Qu’on s’ cal’ des briqu’s et des moellons)

Ben, tu sais, j’ m’en fous d’ ton Royaume ;

J’am’rais ben mieux des patalons

Eun’ soupe, eun’ niche et d’ l’amitié.

(Car quoiqu’ t’ ay’ ben fait ton métier

Toi, ton grand cœur et ta pitié,

N’empêch’nt pas d’avoir foid aux pieds !)

— Ainsi arr’gard’ les masons closes

Où roupill’nt ceuss’ qui croient en Toi.

Sûr qu’ t’es là, su’ des bénitiers

Dans les piaul’s... à la têt’ des pieux ;

Crois-tu qu’un seul de ces genss’ pieux

Vourait t’abriter sous son toit ?

VIII

Ah ! toi qu’on dit l’Emp’reur des Pauvres

Ben ton règne il est arrivé.

Tu d’vais r’venir, tu l’as promis,

Assis su’ ton trône et « plein d’ gloire »

Avec les Justes à ta droite ;

Et te v’là seul dans la nuit noire

Comm’ un diab’ qu’est sorti d’ sa boîte !

Sais-tu seul’ment où est ta gauche ?

Oh ! voui t’es là d’pis deux mille ans

Su’ un bout d’ bois t’ouvr’ tes bras blancs

Comme un oiseau qu’ écart’ les ailes,

Tes bras ouverts ouvrent... le ciel

Mais bouch’nt l’espoir de mieux bouffer

Aux gas qui n’ croient pus qu’à la Terre.

Oh ! oui t’es là, t’ouvr’ tes bras blancs

Et vrai d’pis Y temps qu’on t’a figé

C’ que t’en as vu des affligés,

Des fous, des sag’s ou des d’moiselles

Combien d’ mains s’ sont tendues vers toi

Sans qu’ t’aye pipé, sans qu’ t’aye bronché !

Avoue-le va... t’ es impuissant,

Tu clos tes châss’s, t’ as pas d’ scrupules,

Tu protèg’s avec l’ mêm’ sang-froid

L’ sommeil des Bons et des Crapules.

Et quand on perd quéqu’un qu’on aime,

Tu décor’s, mais tu consol’s pas.

Ah ! rien n’ t’émeut, va, ouvr’ les bras,

Prends ton essor et n’ reviens pas ;

T’ es l’Étendard des sans-courage,

T’ es l’Albatros du Grand Naufrage,

T’ es le Goëland du Malheur !

IX

Quiens ! ôt’-toi d’ là et prends ta course,

Débin’, cavale ou tu vas voir,

Aussi vrai qu’ j’ai un nom d’ baptême

Et qu’ nous v’là tous deux dans la boue,

Aussi vrai que j’ suis qu’eun’ vadrouille,

Un bat-la-crève, un fout-la-faim

Et toi un Guieu magasin d’ giffes.

Ej’ m’en vas t’ buter dans la tronche,

J’ vas t’ boulotter la pomm’ d’Adam,

J’ m’en vas t’ rincer, gare à ta peau !

En v’là assez... j’ m’en vas t’ saigner.

J’ai soupé, moi, des Résignés

J’ai mon blot des Idéalisses !

— Arrière, arrièr’, n’ va pas pus loin !

Un moment vient où tout s’ fait vieux,

Où les pus bell’s chos’s perd’nt leurs charmes :

(Oh ! v’là qu’ tu pleur’s, et des vraies larmes !

Tout va s’écrouler, nom de Dieu !)

— Ah ! je m’ gondole... ah ! je m’ dandine...

Rien n’ s’écroule, y aura pas d’ débâcle ;

Eh l’Homme à la puissance divine !

Eh ! fils de Dieu ! fais un miracle !

X

— Et Jésus-Christ s’en est allé

Sans un mot qui pût m’ consoler,

Avec eun’ gueul’ si retournée

Et des mirett’s si désolées

Que j’ m’en souviendrai tout’ ma vie.

Et à c’ moment-là, le jour vint

Et j’ m’aperçus que l’Homm’ Divin..

C’était moi, que j’ m’étais collé

D’vant l’ miroitant d’un marchand d’ vins !

On perd son temps à s’engueuler...