[Critique] A SERIOUS MAN

Par Onrembobine @OnRembobinefr

Titre original : A Serious Man

Note:
Origine : États-Unis
Réalisateur : Joel Coen, Ethan Coen
Distribution : Michael Stuhlbarg, Fred Melamed, Richard Kind, Adam Arkin, Sari Lennick, Amy Landecker…
Genre : Comédie/Drame
Date de sortie : 20 janvier 2010

Le Pitch :
Minneapolis, 1967. Larry Gopnik, un professeur de physique juif qui enseigne dans une petite est un homme très sérieux. Sa fille lui vole de l’argent pour se faire refaire le nez, son fils drogué fume de l’herbe avant sa propre bar mitzvah et veut juste qu’il répare l’antenne de la télé, et son frère Arthur, un bon-à-rien squatte la maison. Mais Larry et Arthur sont tous les deux consignés au motel du coin quand la femme de Larry, Judy, qui veut divorcer, fait emménager son amant pompeux, Sy Ableman, dans la demeure familiale. Avec les factures des avocats s’empilant sur son bureau, les problèmes inquiétants qu’a Arthur avec les autorités et une dispute de territoire avec le voisin, Larry est presque tenté d’accepter le pot-de-vin que lui propose l’étudiant coréen qui veut avoir son diplôme. Et les rabbins auxquels il rend visite pour des conseils et du réconfort ne font que réciter des platitudes. Et au-dessus de tout ça, Dieu a ses propres méthodes pour guider ses sujets, et comme le découvriront Larry et sa famille, elles ne sont pas toujours plaisantes…

La Critique :
Un vieux dicton proclame : si tu veux faire marrer Dieu, parle-lui de tes projets. Mais si tu veux qu’il se taise, pose-lui une question.

Après leur sérieusement génial No Country for Old Men, Joel et Ethan Coen ont fait le génialement sérieux A Serious Man, qui porte tous les signes d’une œuvre d’amour et s’attaque à d’énormes mystères cosmiques et existentiels dans un cadre trompeusement banal. Essentiellement Le Livre de Job selon un duo de sceptiques ricaneurs, c’est un film sur le silence de Dieu, bouillonnant d’une profonde panique existentielle, vu à travers le prisme drôlement fissuré des minuties quotidiennes.

Se déroulant dans une banlieue de Minneapolis, le film suit Michael Stuhlbarg dans le rôle de Larry Gopnik, un professeur de physique et véritable paillasson humain dont la vie entière commence brusquement à s’écrouler, procédant de mal en pis avec le même genre d’intensité boule-de-neige et l’élan une-chose-après-l’autre que les frères Coen appliquent typiquement à leurs polars.

Voyez plutôt : le fils gâté de Larry est toujours en train de fumer de la weed quand il devrait se préparer pour sa bar mitzvah, tandis que sa fille pioche des dollars dans son portefeuille en cachette, faisant des économies pour se faire refaire le nez. Son frère bizarre et dérangeant appelé Arthur (le génial Richard Kind) squatte le canapé, écrivant des équations mathématiques dans son petit cahier. Le redneck effrayant d’à côté essaye de franchir la limite de la propriété et il y aussi cet étudiant coréen cryptique qui pense pouvoir s’acheter une bonne note. Le directeur du comité titulaire n’arrête pas de traîner autour de son bureau, faisant de vagues allusions à des lettres anonymes qui accusent Larry de turpitude morale.

Mais ce ne sont que des indignités mineures comparé à ce qui vient ensuite. La première surprise arrive quand Mme. Gopnik (Sari Lennick) annonce qu’elle va le quitter pour Sy Ableman, chef de la communauté joué avec un zeste grandiose de condescendance par Fred Melamed. Exilé au motel « éminemment habitable » de la ville (manque de bol, il partage une chambre avec Arthur), Larry s’effondre, en pleine crise spirituelle.

Est-ce que tout ceci se résume à une épreuve de foi ? Qu’essaye de lui dire le bon Dieu? La recherche de Larry pour une explication céleste l’amène à travers la hiérarchie des rabbins du coin, dans une série de séances de thérapie désespérément marrantes et de paraboles décousues qui demeurent obstinément non résolues. Est-ce que les malheurs épiques du professeur Gopnik se résument à des accidents dans l’indifférence d’un univers chaotique, ou peut-être font-ils tous partie d’un grand projet divin tellement complexe et mystérieux que nous, mortels, ne pouvons même pas espérer comprendre ? Et vraiment, laquelle des deux réponses est la plus réconfortante quand votre femme couche avec Sy Ableman ?

Comme toujours, les Coen sont rejetés par certains comme étant des snobs ricaneurs et nihilistes qui prennent un pied à tourmenter leurs personnages. Oui, le film est bel et bien impitoyablement drôle, et il est facile de voir comment la maîtrise accomplie qu’ont les deux cinéastes de leur art pourrait donner l’impression d’être un peu trop kubrickien dans sa précision glaciale. Mais une telle interprétation de A Serious Man passe volontairement sous silence la structure ouverte, flexible et interrogatrice du film.

Le film commence avec une ancienne fable en yiddish sur un rabbin errant qui fait une sortie délibérément ambigüe, et la porte menant à l’intervention divine reste légèrement entre-ouverte. Toute l’œuvre est conçue pour nous frustrer dés le début, divertissant tout en torturant son public, mais toujours inachevé et interprétable, comme si les Coen admettent pour la première fois qu’ils n’ont pas toutes les réponses. À cet égard, il y a deux façons de voir la séquence finale troublante du film. D’un côté, ça pourrait juste être un autre désastre, une énième malchance merdique dans une vie bien triste qui en regorge. Mais le timing de certains évènements suggère, très légèrement, que le personnage jusque-là passif qu’incarne Larry est en train de se faire punir pour une raison particulièrement valable.

Il y a beaucoup à digérer ici ; des thèmes costauds visualisés dans cette façon comique et classiquement démesurée qu’adoptent les frères Coen. Ostensiblement, les tentatives de l’Homme à imposer de l’ordre sur l’inconnu en prennent plein la gueule, mais les frangins s’investissent également pour nous donner un aperçu de l’Amérique juive à cette époque particulière : un monde de temples préfabriqués et de rabbins cloués à leurs bureaux où des années de tradition culturelle et religieuse se mélangent difficilement à la commercialisation des États-Unis. Un des meilleurs détails apparaît sous la forme d’un mur gigantesque recouvert de tableaux, chaque centimètre rempli par les tentatives mathématiques effrénées de Larry pour démontrer le principe d’incertitude. « Même si vous ne comprenez pas, vous en serez responsable à mi-parcours » note-il, résumant sans le savoir le dilemme philosophique central du personnage.

Peut-être que le seul sage conseil du film arrive assez tôt, de la bouche d’un gangster coréen imposant, alors en pleine discussion, qui demande à Larry « d’accepter le mystère ». Et en fin de compte, avons-nous vraiment d’autre choix que de faire exactement cela ?

@ Daniel Rawnsley

Crédits photos : StudioCanal