Il y a longtemps, j’ai travaillé pour un groupe d’usines qui
fabriquaient des bouteilles en verre. Il était alors déficitaire. La cause en était une surproduction locale (une usine de trop). En outre, il était menacé par le
départ d’un client, 10% de son chiffre d’affaires. Le problème venait de la rigidité des chaînes de production. Elles sont optimisées pour
produire, pas cher, à pleine cadence. Finalement, nous avons trouvé une
solution. On appellerait cela « lean production » aujourd’hui. (Comme
quoi, les livres ne sont pas toujours utiles !) Mais j’en ai surtout
retenu l’idée que l’équilibre d’une entreprise tient à peu de choses. Beaucoup
de secteurs sont optimisés pour réaliser une petite marge en fonctionnant à
cadence maximale.
Et c’est peut-être par là que se fait la destruction
créatrice de Schumpeter. Une innovation comme Internet par exemple n’attaque
pas tout un marché, mais seulement une petite proportion. Mais, la perte est
suffisante pour torpiller l’industrie existante. Il semble que ce soit ce qui
arrive aux libraires. Les vendeurs en ligne ne leur prennent qu’une part
marginale de chiffre d’affaires, mais c’est assez pour compromettre leur
avenir. Bien entendu, l’entreprise attaquée pourrait s’adapter.
Cependant, mon expérience montre que c’est difficile. Ne serait-ce
que parce qu’elle est optimisée pour son fonctionnement actuel, et que, en
quelque sorte, elle a licencié sa capacité à changer pour faire des économies.
A cette étape de ma réflexion, il me semble qu’il est
dangereux de laisser le « marché » conduire le changement. En
particulier lorsqu’il est entre les mains d’un tout petit nombre d’individus,
qui n’en font qu’à leur tête (cf. les multimilliardaires des technologies de l’information).
Car, il prend des décisions qui affectent nos vies. Elles
devraient être de l’ordre de la démocratie.