Le Pays sans adultes d’Ondine Khayat: un livre choc et magique

Par Douceurlitteraire

«  Ca m’a rassuré de savoir que dans ma tête, il n’y a pas un cratère comme dans celle du Démon, et que dans ma poitrine, il y a un cœur pour ranger tous les gens que j’aime. Des fois, je pose la main sur mon cœur, et je tends l’oreille. Les battements de nos cœurs, c’est rien d’autre que les murmures de tous ceux qui habitent dedans. Quand il n’y a plus personne, il s’arrête de battre. Il faut un grand cœur pour y mettre tous les gens qu’on aime, et laisser de la place à tous ceux qu’on va aimer, mais qu’on ne connaît pas encore. Un grand cœur en forme de loft, même si on doit abattre des tas de cloisons. Un cœur avec des fenêtres pour voir le ciel, et dessiner dessus des beaux nuages en barbe à papa. »

Parler à travers le regard d’un enfant de onze ans, tel est le pari que s’est donné Ondine Khayat pour aborder le sujet délicat et sensible qu’est la violence d’un père sur sa femme et ses enfants.

Se boucher les oreilles pour ne plus entendre les cris, rentrer de l’école la boule au ventre, peur de dire le mot qui déclenchera sa colère, voir sa mère le visage ensanglanté, cacher ses bleus sous un pull pour ne pas les montrer à l’école, trop de choses insupportables pour des enfants de 11 et 13 ans.

Se construire un monde meilleur et rêver au pays sans adultes pour pouvoir accueillir tous les enfants malheureux, disparaître dans une autre vie avec leur mère, tels sont les souhaits de ces deux enfants obligés de grandir trop vite pour se protéger. Le langage enfantin du narrateur apporte une poésie là où la peur tétanise, des rêves là où l’espoir s’amenuise, des ailes et des étoiles pour couvrir les cris et les coups.

Slimane, le narrateur, vit à travers les yeux de son frère Maxence. Ce grand frère qu’il chérit de tout son cœur, le protège, répond à ses questions, lui explique le monde et les erreurs des adultes, de leur mère paumée. Grâce à ses ailes en papiers, Slimane s’y accroche avec son frère pour se protéger de la terreur du Démon et de sa folie d’alcoolique violent. Terrorisé autant que Slimane, Maxence essaie de survivre avec son frère, essaie de convaincre sa mère de quitter le Démon, mais les rechutes fréquentes des illusions et les coups de plus en plus violents font que l’espoir disparaît peu à peu pour disparaître complètement pour Maxence.

 Slimane tente de rejoindre son frère dans le pays sans adultes, mais se retrouve à l’hôpital entouré d’enfants tout aussi cassés que lui par la vie. C’est dans ce monde entre parenthèse que Slimane va casser sa coquille, qu’il va peu à peu comprendre que la vie peut être plus belle lorsqu’on est entourée de belles personnes, qu’on veut l’aider à vouloir vivre.

Après une première partie très dure, émouvante aux larmes mais tellement réaliste, on progresse avec Slimane dans son monde sans Maxence, dans son combat pour vivre et dans sa relation aux autres et surtout avec Valentine, jeune anorexique suivie à l’hôpital. « En retournant dans ma chambre, il y a plein de pensées qui s’entrechoquent dans ma tête. Max s’est envolé, moi je rêve de le rejoindre. Valentine mange presque pas, mais Hugo, lui il veut vivre plus fort que nous tous. Hugo, il se bat pour vivre. Hugo, quand il parle de la vie, il y a des étoiles dans ses yeux, même s’il est tout pâle et qu’il a plus de cheveux. L’hôpital, c’est comme si on ouvrait le monde avec une fermeture éclair, et qu’on regardait en dessous. »

Terriblement bien écrit, touchant avec des notes d’humour, ce livre est une leçon de vie et d’espoir et permet de ne pas oublier ces enfants qui n’ont rien demandé aux malheurs de la vie. « Nos yeux, qui ont vu les mêmes choses, se percutent en plein vol. C’est des yeux d’enfants qui ont vu la vie en face, quand elle enlève ses beaux habits et qu’elle se déshabille dans l’obscurité. Des yeux d’enfants assaisonnées au beurre noir. »

 Le Pays sans adultes, Ondine Khayat. Éditions Anne Carrière 2008, Le Livre de poche 2010.

Article paru sur le webzine culturel