On y était – Festival Iceland Airwaves

Publié le 25 novembre 2013 par Hartzine

On y était – Festival Iceland Airwaves, 30/10/13 – 03/11/2013

Descente de l’avion après trois heures de vol, de la roche volcanique à perte de vue, un vent glacé qui picote le visage et cette odeur de soufre qui titille les narines : nous sommes en terre viking pour la 15ème édition de l’Iceland Airwaves.

Ce qui a démarré en 1999 comme un événement festif purement local dans un hangar de l’aéroport de Reykjavík est devenu depuis quelques années déjà une référence mondiale en matière de musiques indépendantes officiant notamment comme un premier tremplin international pour beaucoup de groupes désormais confirmés. Le menu est plutôt du genre copieux : plus d’une centaine de groupes répartis sur une double sélection « on » et « off » entre salles à grandes capacités, petits clubs, bars et lieux insolites, des églises aux salons des hôtels en passant par les vitrines de magasins. De midi à l’aube, difficile d’échapper au son et il y en a pour tous les goûts. De la folk au rap, de l’indie à la techno, y’avait même du reggae islandais, c’est dire. Heureusement ce n’était qu’un épiphénomène, faut pas pousser non plus (oui tu l’as deviné, le reggae et moi, on n’est pas copains). Une profusion de concerts et de genres telle que l’on ne peut pas tout voir, l’embarras du choix.

Après un bref passage à l’hôtel histoire de retrouver les potos, on démarre doucement par un concert du collectif local Bedroom Community dans la Hallgrimskirkja, la grande église en forme de fusée qui décolle. Bon, à l’intérieur ça ne décolle pas vraiment malgré un cadre impressionnant, un orgue que Bach n’aurait pas renié et un son digne du petit Jésus. L’équipe de Valgeir Sigurðsson a un talent indéniable mais les vignettes sonores proposées arrivent malgré tout à faire pioncer et c’est pas la mamie assise devant moi qui me contredira – sur ce coup-là, le collectif porte bien son nom. L’envie de se caler sous une couverture est forte et les éclairs de la violoniste Nadia Sirota, les belles interprétations de quelques pièces d’Arvo Pärt et les fulgurances bruitistes de Ben Frost n’inverseront pas la tendance.

C’est le moment d’aller boire une bière au Kaffibarinn (bar faisant office de petite institution dans la scène musicale du coin) et d’enchaîner sur les concerts dans la grande salle du Harpa, le superbe bâtiment de l’architecte Olafur Eliasson, centre névralgique du festival. Ambiançage avec le collectif métissé local Retro Stefson puis la sensation dance pop carnaval du cru FM Belfast. Tout le monde danse, chante, balance des rubans, la foule est en liesse. C’est complètement débile, les gens kiffent et ça en devient communicatif. Une bonne première soirée tout en contradictions pour se mettre dans le bain.

En parlant de bain, on attaque la journée du lendemain par une session piscine car ici elles sont toutes équipées de hot tubs et de saunas grâce aux joies de la géothermie – ça a ses avantages de vivre sur un putain de volcan. Après ce petit traitement anti-gueule de bois, direction le bar classe situé au dernier étage du Harpa et sa très belle vue sur la ville pour les concerts « off » de Good Moon Dear et Ghostigital. Si le premier duo batterie/machines et son électro raffinée est une plaisante découverte, j’avais déjà pris ma claque sur le groupe d’Einar Örn, ancien membre des Sugarcubes et chargé culturel de la ville de Reykjavík (ici les musiciens font aussi de la politique) à l’occasion de la dernière édition d’Air d’Islande, festival partenaire de l’Airwaves qui se tient chaque année à Paris depuis maintenant six ans (prochaine édition les 31 janvier et 1er février, on vous en reparlera bientôt). Leur électro indus est toujours aussi tranchante et la présence du frontman toujours aussi imposante, à la fois drôle et inquiétante.

Petit passage au Dolly bar pour un apéro vodka offert par la marque islandaise partenaire du festival avant de continuer ce début de soirée au Harlem, petit club intimiste, pour les sets bass jungle de Thizone, acid house de Subliminal et techno bruitiste de Quadruplos. Ce soir on fait tout à l’envers : début de soirée club puis concert de Jagwar Ma au Reykjavík Art Museum. Les Australiens distillent leur pop très british à la perfection et si le combo ne m’a pas plus emballé que ça sur disque, ils prennent une autre dimension en live. Un bon groupe de scène. Retour au Harpa pour le concert de Yo La Tengo, institution indie que l’on ne présente plus. Après la prestation toujours aussi classe des Ricains, place aux Canadiens de Metz et leur noise rock abrasif tout en puissance et décibels. Les titres s’enchaînent, la tension est palpable, je vis une petite cure de jouvence tant j’ai l’impression d’assister à ce qui se fait de mieux au sein d’une scène que j’ai longtemps écumée avant de m’y désintéresser peu à peu. Plutôt agréable finalement, cette petite madeleine de Proust. À la sortie de la salle, le ciel nous gratifie d’une magnifique aurore boréale. Les lumières blanches puis vertes dansent sous la voûte céleste et ce spectacle surnaturel clôturera cette deuxième journée en lui conférant un caractère inoubliable.

Vendredi, place au cirque médiatique : nous embarquons à bord d’un bus avec une délégation internationale de journalistes. La RP du festival souhaitant réellement nous en mettre plein la vue, l’excursion va durer près de cinq heures. L’Islandais aime l’Islande et il veut que tu saches pourquoi et même si ce chauvinisme exacerbé est plutôt amusant, on le comprend car c’est un bled vraiment à part. Des paysages à couper le souffle et des stats assez tarées pour des mecs qui, il n’y a encore pas si longtemps, kidnappaient des meufs pour les faire venir sur leur caillou. Ici, rien de plus banal que d’écrire un bouquin, un tiers des gens l’ont fait. Ils jouent tous de plusieurs instruments et la plupart ont des groupes, pour les autres c’est le cinéma (si c’est pas déjà fait mate Noi Albinoi, très bon film) ou la pêche à la baleine.

Premier arrêt paumé près d’une chute d’eau en dehors de la ville. Bienvenue dans le studio de Sigur Rós. Pour un enthousiaste du son qui n’a jamais rien tripoté de mieux qu’un Microkorg, un Juno 106 ou une ESX-1, c’est Disneyland. Un lieu mortel, du matos dans tous les sens et un concert privé de Hjaltalin histoire de se mettre bien avec, entre autres, une belle reprise de Beyoncé, sans oublier les rafraîchissements alcoolisés omniprésents.

Un tour de bus tout terrain pour se paumer un peu plus dans le paysage et deuxième arrêt à la maison du Prix Nobel islandais de littérature, Halldór Laxness. On entre chez quelqu’un et même si la baraque de l’alpha dog culturel aujourd’hui décédé est devenu un mini musée, l’ambiance est intimiste et cosy. En plus d’écrire de bons trucs, Halldór était mélomane et organisait tous les dimanches des concerts classiques ou jazz dans son salon de 12m². Du coup, tout ce beau monde muni d’appareils photo se serre et prend place sur les canapés ou le parquet pour un concert du trio de la pointure latin jazz islandaise Tómas R. Einarsson accompagné de la chanteuse Ragnheidur Gröndal. S’ensuit une lecture de l’écrivain Andri Snær Magnason, auteur entre autres de Bónus, un bouquin marrant, tu comprendras quand t’iras en Islande. Malgré le ventre vide, la caisse de la veille et les rafraîchissements qui s’enchaînent, je vis un moment intéressant. Le talent d’orateur d’Andri n’est pas mis à contribution par hasard puisqu’il est aussi là pour présenter le spin-off littéraire de l’Airwaves, l’Airwords, dont il sera le président. La musique pour les jeunes, la littérature pour les vieux, c’est connu, histoire de brasser le public le plus large possible car que les choses soient claires, la vocation première du festival, en bon outil de communication, est d’attirer le touriste pendant la saison basse. Bon, étant donné la programmation de grande qualité et les cool vacances que tu passes ici, on a vu pire comme carotte.

Dernier arrêt de notre petit safari au Syrland Studio où des grands noms nationaux (Sugarcubes, Björk, Sigur Rós) et internationaux (Blur) ont mis en boîte un certain nombre de morceaux que tu possèdes certainement sur ton lecteur mp3. Réception digne de monsieur l’ambassadeur avec discours et tout, au bar la vodka s’est ajoutée à la bière, il manque juste les Ferrero Rocher. Heureusement, le buffet nous évite le K.O. et pendant que l’on savoure notre premier repas de la journée, un couple nous interprète deux mouvements de musique contemporaine dans la lumière bleue diffuse de la grande salle d’enregistrement.

Retour en ville et au Harpa pour Omar Souleyman et une performance qui sera l’un des moments forts de ce festival. Le roi syrien de la fête accompagné de son fidèle musicien virtuose Rizan Sa’id amène la chaleur et la température prend des proportions moyen-orientales. Crowd-surfing, clappements de mains, transe. Björk danse à deux pas de nous, personne ne résiste au moustachu aux lunettes noires et au keffieh. Pendant que certains iront prendre des clichés de la belle Aluna George ou pogoter mollement sur le hardcore fiotte tendance planche à roulettes de Fucked Up, on retrouve Sean Nicholas Savage et sa swing pop mélancolique dans le petit amphithéâtre, et ce dernier confirme tout le bien que je pensais déjà de lui après sa prestation au Heart of Glass, Heart of Gold en septembre dernier (lire le report). Accompagné cette fois-ci de son seul claviériste, le caractère intimiste de ses compositions est mis en valeur et sa présence scénique est toujours aussi touchante et divertissante. On remonte dans la grande salle pour une gifle surprise hyperprotéinée et chargée en testostérone de la part de Gluteus Maximus, side-project des mecs de Gus Gus. Le beat est lourd et sombre, un Monsieur Loyal à la Barnum arpente la scène en scandant implacablement le nom du groupe avec sa voix robotique tandis que des haltérophiles hommes et femmes installés de part et d’autre de lui commencent à pousser la fonte en rythme sur le gros son techno, du génie. Merci à la famille Ferrigno électronique et skál.

Au gré de nos déambulations du lendemain après-midi, on assistera à une chouette performance du duo électro-synth Aaron & the Sea et aux grimaces de deux collègues qui ont eu la riche idée de goûter au hakari dans la halle du marché. Le soir, le Reykjavík Art Museum accueille un plateau trois étoiles. On retrouve Ghostigital cette fois-ci en format big band accompagné par Captain Fufanu et les enfants Örn pour un live électrique. Un DJ aux airs de Dennis Rodman rachitique les remplace sur scène et prépare l’audience pour Mykki Blanco. La diva transgenre du rap US débarque et ne tarde pas à prendre le contrôle de la salle avec son charisme et son flow intenses. Le public en redemande, le son finira par être coupé, on ne plaisante pas avec le timing du côté des régisseurs islandais. Pas grave, le set sera terminé a capella et par un bain de foule. Ah tiens, revoilà Björk qui fait une apparition le temps d’un hug avec Mykki – le gars s’est mis tout le monde dans la poche. On continue avec le super live du Britannique Gold Panda et le concert du combo post-punk féminin Savages. Il se fait tard, c’est le moment d’aller au Harlem. Hermigervill porte le dancefloor à ébullition avec ses interprétations disco-cheesy terriblement dansantes de standards de la variété islandaise. Pedro Pilatus enchaîne avec son électro fourre-tout puis est rejoint par son prédécesseur pour un DJ-set hip hop/trap, bounce bitch.

Repos dominical bien mérité après quatre jours de festival et après-midi détente thermale au Blue Lagoon.

Le gros événement de cette dernière journée était bien évidemment le concert de Kraftwerk. À occasion spéciale, conditions spéciales : le concert était déjà sold out avant même le début du festival (il fallait réserver à l’avance) et notre précieux sésame média ne nous y donnant pas accès, on ira voir des concerts au Kex puis au Dolly pour des DJ-sets électro et un live du jeune producteur Daithi. Installé au milieu du bar entouré par ses machines, il dégaine, en bon Irlandais, un violon avec lequel il fera des boucles pour construire ses progressions. Bonne petite soirée qui s’achèvera en after party improvisée dans le studio des Múm histoire de terminer sur une note aussi alcoolisée qu’incongrue. Takk fyrir Reykjavik et bless bless.

Alexandre Poveda

Photoshoot par Patrice Bonenfant