L’impôt-sture : la fiscalité comme finalité

Publié le 26 novembre 2013 par Copeau @Contrepoints
Opinion

L’impôt-sture : la fiscalité comme finalité

Publié Par Baptiste Créteur, le 26 novembre 2013 dans Fiscalité

La France est l’un des pays où la fiscalité est la plus lourde. La docilité fléchissante des contribuables menace le consentement à l’impôt, au secours duquel volent les réformes en profondeur préparées en catastrophe et les tribunes enflammées des amoureux de l’impôt.

Par Baptiste Créteur.

Les collectivistes entonnent un nouveau refrain qui fait de la lutte fiscale sa lutte finale, de la fiscalité sa finalité. Sous leur plume et dans leur bouche, la fiscalité est juste, redistributive, digne ; elle est le socle du vivre ensemble, elle assoit le lien social ; elle soigne de tous les maux et fait revenir l’être aimé, qu’on l’appelle communauté, nation, patrie, plein emploi, bien commun, intérêt général, justice sociale, république, démocratie.

Partant de là, la critique de la fiscalité est dangereuse ; on ne peut que flirter dangereusement avec le populisme quand on parle d’impôts. La pensée bonne et approuvée, certifiée conforme, permet tout plus de revendiquer « non pas moins d’État, mais mieux d’État ».

Mais on ne peut pas décemment demander moins d’État, ou s’opposer à plus d’État, à trop d’État. On ne peut questionner ni le niveau de l’impôt, ni sa légitimité intrinsèque ou compte tenu de ce qui en est fait ; et si on ose assimiler l’impôt à un poids pesant sur les citoyens et une entrave à leurs projets, les boucliers arc-en-ciel du camp du bien se lèvent en chœur, cherchant à provoquer un effet de masse qui permettra d’évoquer un tollé dans un camp, l’union sacrée dans l’autre.

Pour le camp du bien, remettre en question l’impôt, c’est non seulement mettre en péril le vivre ensemble républicain, c’est aussi manquer à ses devoirs de citoyen et – merci Bernard-Henri Lévy – laisser passer une chance en refusant d’exercer ce formidable droit de l’homme qu’est le paiement de l’impôt.

Comprenons le philosophe qui, à la guerre où il pose comme au combat où il glose, cherche la victoire facile ; évoquer les droits de l’homme aujourd’hui, c’est comme évoquer le droit divin hier, c’est tuer la réflexion dans l’œuf. Les droits de l’homme sont un point Godwin à l’envers. De la même façon qu’Hitler est le mal absolu, les droits de l’homme sont le bien absolu ; et de la même façon qu’on refuse de s’intéresser aux origines socialistes du nazisme, on refuse de définir précisément les droits de l’homme.

On peut se demander si les révoltés contre l’impôt sont de gauche ou de droite ; extrêmes ou non ; s’ils sont manipulés, par qui, et à quelle fin ; s’il est encore fécond le ventre de la bête immonde ; si les Bretons sont plutôt des marins ou des collabos. On peut aussi chercher à entendre les messages délivrés par les insurgés fiscaux et par les penseurs de l’impôt comme spoliation.

Au lieu de cela, Bernard-Henri Lévy tente de noyer le poisson :

J’ai mon idée sur le sujet, fondée sur le fait que c’est l’esprit de résistance, de sagesse et de résistance, ou de résistance et de sagesse, qui finit toujours, en Bretagne, aux heures cruciales, par avoir raison de l’autre – mais, pour l’instant, elles sont ouvertes.

Avant de percer au travers de la confusion qu’il avait lui-même générée, en reprenant de plus belle :

Ce qui est clair, en revanche, c’est que ce mouvement est le catalyseur d’une révolte antifiscale qui va bien au-delà de la Bretagne – et dont il n’y a, pour le coup, rien à attendre de bon.

Et s’il n’y a rien à attendre de bon de la révolte antifiscale, c’est parce qu’elle remet en question le fondement du vivre ensemble festif et citoyen : l’État. Et c’est là l’erreur de Bernard-Henri Lévy, qui se trompe également sur la vie politique française.

Car s’il est bien un endroit où les extrêmes, mais aussi les moins extrêmes, les plus modérés et les centristes radicaux se rejoignent en France, ce n’est pas dans leur rejet de l’impôt, au contraire ; c’est dans leur consentement inconditionnel à l’impôt et leur amour infini pour l’État. Avis que défend aussi BHL, qui s’adonne par là à l’impôt-sture collectiviste.

L’impôt-sture, c’est confondre contribuable et citoyen. Le premier paie ses impôts, le second veille au respect de ses droits. La distinction est d’importance, car payer ses impôts n’est sans doute pas nécessaire pour être citoyen, et certainement pas suffisant. Certains (et il ne suffit pas de les citer au pluriel pour les discréditer comme le font les Bernard-Henri Lévy et autres Gérard Filoche) « les David Friedman et autres Murray Rothbard plaidant, au nom d’un droit naturel poussé à l’extrême, pour une société décapitée, auto-instituée, sans État », conçoivent même les deux comme contradictoires.

Un citoyen veille au respect de ses droits, quelle que soit l’origine de la menace qui pèse sur eux. Il ne donne pas automatiquement son blanc-seing à l’État, dont la justification première est d’assurer les fonctions régaliennes de police, justice et armée, pour garantir à tous les citoyens leurs droits naturels : sûreté, propriété privée et libertés fondamentales. Si l’État menace ses droits, le citoyen fait usage du quatrième droit naturel, le droit de résistance à l’oppression.

L’approche des libéraux est centrée sur l’individu ; leur conception de l’État est postérieure à celle de son rôle en tant que garant (ou menace) des droits individuels. Il ne suffit pas pour les contrer d’évoquer ce qu’ils mettent en péril : une longue tradition de collectivisme et de centralisation, le contrat social, le vivre ensemble, le train de vie du Souverain, le Peuple Souverain même ; soit presque toute la pensée politique, ou plutôt presque toute la pensée politique pour Bernard-Henri Lévy – celle qui se fonde sur l’idée que l’individu est soluble dans le collectif, que le consentement est soluble dans le vivre ensemble.

Car tout ce que cette pensée individualiste met en péril reposait sur l’idée de base qu’elle rejette en bloc, selon laquelle la fin justifie les moyens, la « volonté générale » exprimée tantôt par un seul, tantôt par une majorité, peut et doit être la volonté de tous, peut et doit écraser la volonté de chacun. Ce que les penseurs individualistes revendiquent au contraire, c’est le droit pour chaque individu d’exister par et pour lui-même, le primat des droits individuels sur tout autre droit. Le droit naturel n’est pas poussé à l’extrême, les libéraux ne sont pas des extrémistes, ce sont des radicaux : ils refusent de renoncer à leurs principes.

Car la souveraineté du peuple, ce n’est pas seulement la souveraineté du peuple sur lui-même, par opposition à celle d’un autre souverain ; c’est aussi la souveraineté du peuple sur chaque citoyen. Et c’est au nom de cette souveraineté du peuple qu’ont été commises les plus grandes atrocités du siècle dernier, comme toujours commises au nom du Bien.

La pensée individualiste ne s’écarte pas d’un revers de la main, même quand on conçoit cette main comme le bras armé de la volonté collective exprimée par son avant-garde intellectuelle, ou son arrière-garde intellectuelle. Non seulement parce qu’elle repose sur des principes, mais aussi parce qu’elle propose une alternative, un modèle de société. Une société ouverte, composée d’individus libres guidés par leur libre-arbitre et mus par la quête de leur propre bonheur, quelle que soit sa forme ; des individus qui fixent leurs propres fins et les moyens d’y parvenir.

Prions pour l’impôt, a-t-on envie de dire en écho : sans lui, plus moyen ni de protéger les plus faibles, ni de secourir les plus démunis, ni, surtout, de confier à la lettre d’une loi le principe de cette responsabilité pour autrui.

Appartenir à certains cercles n’offre pas le droit de pratiquer la pensée circulaire. On ne peut pas justifier la responsabilité pour autrui par la responsabilité pour autrui, pas plus qu’on ne peut faire abstraction de la réduction de la pauvreté que permet, et que seul permet, la liberté.

Mais Bernard-Henri Lévy, malgré son refus de concevoir l’individu en tant que tel, a le mérite de représenter une certaine élite qui ne mérite sans doute pas ce titre mais qui s’arroge tout de même certains privilèges pour mieux garder ceux dont elle jouit.

L’impôt est un devoir – mais c’est aussi un droit.

L’impôt c’est les droits de l’homme – quand, du moins, l’on consent à les placer au cœur du Politique.

Bernard Henri-Lévy peut, à lui seul, affirmer un devoir, en faire un droit, et lui donner la force du sacré en en faisant un droit de l’homme. Qu’il ne se prive pas d’user de son droit de l’homme, et de faire don de sa fortune au « Peuple Souverain » contre lequel se lève étrangement une part croissante du peuple.

Mais qu’il ne tente pas de priver les citoyens de leur droit naturel de résistance à l’oppression ; c’est à ce prix qu’ils sont citoyens plutôt que contribuables, à ce prix qu’ils défendent leur liberté contre laquelle, historiquement, l’État est la plus grande menace.


Plus de mots valises dans le Dictionnaire Incorrect mais Vaillamment Illustré de h16 et Olivier Vitri.

è