L’Amérique à rebours (« Capitaine, mon capitaine ! » ou fin d’un mythe ?)

Par Borokoff

A propos de Capitaine Phillips de Paul Greengrass 

Adaptation du récit autobiographique : A Captain’s Duty : Somali Pirates, Navy SEALs, and Dangerous Days at Sea, coécrit par le Capitaine Richard Phillips lui-même et l’écrivain Stephan Talty, Capitaine Phillips retrace la prise en otages dont le personnage incarné par Tom Hanks et son équipage ont été victimes, entre le 8 et le 12 avril 2009, au large des côtes somaliennes, après que quatre pirates africains sont parvenus à monter illégalement à bord de son navire de marine marchande, le Maersk Alabama…

Autant ne pas mâcher ses mots, ne pas y aller par quatre chemins comme on dit : Capitaine Phillips est un thriller plutôt réussi. Si l’on fait en général confiance assez aveuglément à Paul Greengrass en matière de rythme et de film d’action, l’exploit d’un tournage dans des conditions aussi éprouvantes est à saluer.

Mais la crainte du spectateur, au début du film, était double. Double, parce que d’une part, le début du film laisse croire à une sorte de Piège en haute mer qui va être un hommage à l’héroïsme des Américains et d’autre part parce que le rôle du capitaine a été confié à Tom Hanks, spécialiste pas toujours finaud du héros sauveur du monde (Il faut sauver le soldat Ryan) ou du benêt génial (genre Rain Man) devenu héros malgré lui (Forrest Gump).

Et bien, mauvaises langues que nous sommes, la suite du film nous fera démentir et déjouer tous ces pronostiques. Centré sur la confrontation psychologique et la relation qui s’instaurent entre le chef des preneurs d’otages Muse (Barkhad Abdi, acteur aussi formidable qu’inconnu au bataillon) et Phillips (Hanks, avec l’âge, a épuré son jeu de certains tics et joue tout en retenue et en sobriété au final), Capitaine Phillips prend à peu la forme d’un thriller aussi haletant qu’âpre, tendu qu’incertain dans la tournure de plus en plus tragique et confuse que prennent les évènements.

Certes, le courage dont a fait preuve Phillips pour protéger (en les cachant) coûte que coûte son équipage et au péril de sa propre vie, a été réel et indéniablement mis en valeur dans le film, mais ce sont davantage les liens psychologiques profonds et ambigus qui s’instaurent entre Phillips et Muse qui sont développés et qui intriguent et fascinent le plus, rendant l’objet assez passionnant.

Barkhad Abdi

C’est entre ces deux-là que Greengrass a choisi de planter sa caméra, pour creuser leur psychologie, pour creuser dans l’âme et les motivations de deux hommes que tout oppose, instaurant par-là peu à peu le trouble dans l’esprit du spectateur. Ainsi, Muse n’est pas un preneur d’otages fou ou un illuminé comme on pourrait le croire. C’est un pêcheur certes désespéré mais en aucun cas un type hystérique ni inexpérimenté comme peuvent l’être ses acolytes. Jeune homme posé et calme au contraire, froid et intelligent, il sait qu’il n’a plus rien à perdre, pion d’un vaste système, « dernier maillon d’une longue et complexe chaîne d’acteurs qui contrôlent ce business très rentable », comme l’a rappelé Greengrass dans une interview tout en précisant que « si la piraterie somalienne a débuté en réaction contre la surpêche étrangère « , elle est aussi née dans un pays acculé économiquement, « décimé par la guerre civile depuis la chute du régime dictatorial en 1991. » C’est ce contexte qu’il ne faut pas oublier et que Greengrass restitue intelligemment dans son film.

Au point que, sans tomber dans la complaisance ni un pathos déplacé, on comprendrait presque le désespoir de Muse et de ses hommes pour en arriver là…

Pour répondre à Phillips qui lui dit que le Maersk Alabama a le droit de circuler librement dans des eaux internationales, Muse lui rétorque que les Américains et le monde entier pillent bien illégalement et sans vergogne leur poisson, au point de vider les mers somaliennes…

Déclamé ainsi, l’argumentaire, tout en nuances, a du poids. De quoi décontenancer en tout quoi. Sans justifier bien sûr une telle prise d’otages, Greengrass parvient, par une mise en scène dont on connait tout le potentiel et le talent, les caractéristiques comme le style très personnel (caméra à l’épaule, effets de cadrages / décadrages, de champs / contre champs voire hors-champs), à nous plonger dans un huis-clos à la fois tragique et intimiste dont les enjeux dépassent bientôt les hommes du bateau.  Merci aux compositions d’Henry Jackman au passage…

La scène finale, qui suit la riposte des S.E.A.L.S américains, est bouleversante. Il faut reconnaître à Tom Hanks ce qui lui revient quand il joue aussi merveilleusement. Là-encore, toute l’intelligence de Greengrass est de remettre le débat dans un champ humain, de replacer son film dans un cinéma de chair et de sang (au sens propre) dont l’essence est d’émouvoir. L’expérience traumatisante que cette prise en otages a été pour Phillips revient ainsi au centre du film, pour ne pas qu’on oublie ce qu’a d’abord vécu un capitaine de navire marchande certes très brave mais bientôt dépassé par les évènements (les personnages qu’aiment à interpréter Hanks retombent toujours sur leurs pieds malgré tout), ce qui contribuera à sa légende et n’en fera un héros que plus grand (Hanks retombe su ces pieds) pour la nation…

Boucle bouclée mais la fable demeure grinçante comme la démonstration subtile mais glaçante derrière l’apparent savoir-faire de Greengrass, plus malin qu’on ne le croit…

http://www.youtube.com/watch?v=YofxKkKB2VI

Film américain de Paul Greengrass avec Tom Hanks, Catherine Keener, Barkhad Abdi… (02 h 14)  

Scénario de Billy Rain d’après le livre de Richard Phillips et Stephan Talty :  

Mise en scène : 

Acteurs : 

Compositions de Henry Jackman :