Ayrault et l'impossible réforme de l’hyperfiscalité française

Publié le 27 novembre 2013 par Sylvainrakotoarison

« On aura beau multiplier les concours Lépine de la fiscalité, une ponction trop lourde sera toujours une charge et un frein sur l’activité économique. » (François Bayrou, 7 octobre 2013)

Le Premier Ministre Jean-Marc Ayrault a "lancé" ses consultations ce lundi 25 novembre 2013 pour préparer sa réforme fiscale. Précisons bien qu’il s’agit de "sa" réforme fiscale et de la réforme de personne d’autre.

Il y a un petit côté magique dans ce coup politique extraordinaire qui a mis sur le fait accompli non seulement tous les ministres, le Ministre des Finances Pierre Moscovici compris, premier concerné, absent de la première journée de consultations pour cause de voyage en Chine, mais aussi, apparemment, le Président de la République François Hollande lui-même ! Il a profité de l’éloignement présidentiel en Israël (Pierre Moscovici était aussi en Israël) pour envoyer son missile fiscal.

Jean-Marc Ayrault a délivré son message dans "Les Échos", le soir du 18 novembre 2013, en ces termes : « Le système fiscal est devenu très complexe, quasiment illisible, et les Français, trop souvent, ne comprennent plus sa logique ou ne sont pas convaincus que ce qu’ils paient est juste, que le système est efficace. Or, dans un État démocratique, l’impôt est un acte citoyen : c’est la contribution à l’effort collectif, c’est la base du pacte social. (…) Jusqu’ici, nous avons répondu à l’urgence pour redresser la barre. Il nous faut désormais bâtir pour l’avenir. (…) Cette remise à plat va bien évidemment nécessiter un dialogue approfondi. (…) Au terme de la concertation, le gouvernement prendra ses responsabilités comme il l’a fait pour les retraites (…). Il faut avoir le courage et la lucidité de remettre les choses à plat. (…) L’objectif, c’est de parvenir à des règles plus justes, plus efficaces, et plus lisibles. ».


Commentant l’initiative du Premier Ministre, le président de la Commission des finances du Sénat, Philippe Marini (UMP), qui est pourtant favorable au principe d’une réforme fiscale, a refusé la méthode adoptée sans cohérence : « Une vraie initiative en termes de stratégie fiscale doit être menée en début de quinquennat, et pas après dix-huit mois de démarches incertaines et contradictoires. ».

L’instinct de survie est ce qu’il y a de plus résistant dans tout écosystème et l’environnement politique n’y échappe guère. À court terme, l’audace de Jean-Marc Ayrault lui vaut quelques semaines de répit. On le disait "partant" bien avant la fin de l’année, la maire de Lille Martine Aubry avait même déjeuné avec François Hollande à l’Élysée il y a quelques jours, et le voici remis en selle avec la bénédiction obligée de l’Élysée.

Il est sûr qu’à force d’entendre les opposants de toutes parts réclamer à corps et à cris une réforme fiscale, Jean-Marc Ayrault les a pris au mot et leur a répondu "chiche !" ; François Hollande ne peut même pas protester, puisqu’elle faisait partie de l’une de ses promesses électorales de 2012.


Non seulement Matignon a repris l’initiative là où le gouvernement s’était enlisé avec l’écotaxe sur le thème du matraquage fiscal et de "l’hyperfiscalité", selon l’expression de François Bayrou qui expliquait dans "Les Échos" du 7 octobre 2013 : « L’hyperfiscalité est un frein au moral des entreprises et des ménages, à l’efficacité, à l’investissement, à l’esprit d’entreprise. Elle interdit les anticipations et décourage la prise de risque. Il y a en plus l’aspect improvisé et bricolé qui prend des allures de record. Mais le fond de l’affaire est que lorsque les prélèvements sont trop lourds, il n’y a pas de bonne base sur lesquels les asseoir. On aura beau multiplier les concours Lépine de la fiscalité, une ponction trop lourde sera toujours une charge et un frein sur l’activité économique. ».

Le leader centriste a bien compris l’ADN de ce gouvernement : l’improvisation et le bricolage. Pourtant, il n’avait pas encore été au courant de cette annonce (c’était un mois et demi avant), une annonce qui a surpris tous les ministres, c’est dire le degré d’impréparation.

Mais dans cette audace de Matignon, qui a dû bluffer tous les hiérarques du PS, il y a une part de provocation quasi-suicidaire.

Car comment aboutir à une réelle réforme fiscale qui satisfasse les Français dans une situation politique, économique et sociale aussi dégradée que celle d’aujourd’hui ?

Le Premier Ministre a assuré que cette réforme fiscale se ferait "à imposition constante". Vous l’avez donc bien compris, cela signifie tout simplement que "vous" payeriez plus après cette réforme. Pourquoi ? Parce que ce gouvernement considère qu’un ménage est riche lorsqu’il gagne plus de 1 700 euros net par mois. C’est donc le seuil facilement prévisible à partir duquel on payerait forcément plus (ce qui est déjà le cas depuis dix-huit mois).

À court terme toujours, Jean-Marc Ayrault peut donc se donner une image d’ouverture de responsable qui consulte le peuple, à savoir, les organisations syndicales et patronales, les formations politiques et parlementaires etc. (à l’exception du FN, semble-t-il). Les consultations du 25 novembre ont déjà montré une extrême inquiétude des syndicats. Force ouvrière, avec raison à mon sens, a pleinement insisté sur son opposition très ferme à la retenue à la source.


En fait, au sein des services de Bercy, il n’y a pas d’improvisation : les réformes sont déjà prêtes depuis belle lurette, depuis des années, mais elles risqueraient d’être politiquement explosives.

De quoi s’agit-il ? Essentiellement de la fusion de la CSG et de l’impôt sur le revenu (IR). Dit comme cela, cela ne veut pas dire grand chose. En traduction plus libre, cela donne : instaurer un taux progressif à la CSG (actuellement à taux presque unique) en fonction de l’ensemble des revenus du ménage.

Comme on le voit, la créativité initiée par le Premier Ministre Michel Rocard (la CSG a été appliquée à partir du 1er février 1991) est sans limite : les pointilleux s’apercevront qu’une part de la CSG payée sur le salaire reste imposable sur le revenu, exactement de la même manière que l’État assujettit à la TVA ses propres taxes sur l’énergie (l’imagination fiscale est un trésor de subtilités). En 2013, la CSG devrait recueillir plus de 90 milliards d’euros, soit 50% de plus que l’impôt sur les sociétés et 20% de plus que l’impôt sur le revenu. Quant à la TVA, elle récolterait le double de la CSG (186 milliards d’euros).


L’élément majeur de cette supposée "justice fiscale" serait donc d’imposer plus lourdement …tous les revenus qui ne sont pas issus de salaires, à savoir, les revenus du capital. Y aurait-il alors un effet néfaste sur l’investissement qui ne va déjà pas très fort en ce moment ? C’est fort probable. La taxation de l’épargne des gens (PEL, PEA, assurance-vie etc.) a déjà beaucoup découragé l’investissement. La CSG à taux progressif renforcerait immanquablement ce cercle vicieux alors que l’investissement est la pierre angulaire de toute reprise de l’activité et de l’emploi.

Le président du Medef Pierre Gattaz a été abasourdi par l’annonce de Matignon : « Il dit qu’il veut améliorer la fiscalité, mais sans toucher aux niveaux de prélèvements obligatoires. (…) La CSG progressive va toucher la classe moyenne et l’épargne. C’est dogmatique et politique, alors qu’il faudrait une fiscalité intelligente. » (19 novembre 2013).

Parmi les chantiers qui vont sortir de la boîte de Pandore, il devrait aussi y avoir la fiscalité des collectivités locales qui pèse actuellement environ 120 milliards d’euros, reposant sur des valeurs locatives complètement fantaisistes établies il y a plus de quarante ans.

Le plus grave, c’est que la situation se prête très mal à engager une réforme fiscale qui bouleverserait la vie des Français. Car plusieurs conditions sont manquantes pour son succès.

D’une part, pour être valable et durable, la réforme devrait recevoir l’adhésion d’une grande majorité des Français. Or, 80 à 85% des Français sont déjà en colère contre ce gouvernement aveugle, sourd et autiste. Comment une majorité de l’opinion publique pourrait-elle faire confiance à une équipe en bout de course ?

D’autre part, ce qui importe le plus aux contribuables, ce n’est pas la simplicité ou la complexité des impôts et taxes (au contraire, celle-ci dénote justement une prise en compte de cas multiples), c’est simplement le niveau global des prélèvements obligatoires. Aujourd’hui, la coupe est pleine et rééquilibrer l’imposition, à pression constante, c’est faire nécessairement des mécontents, et pas seulement chez ceux, très rares, qui gagnent plus d’un million d’euros par an.

Par conséquent, une réforme fiscale ne peut réussir sur du long terme que si elle est associée à une baisse effective de la pression fiscale, du moins pour le plus grand nombre des contribuables. C’est d’ailleurs le meilleur moyen de la rendre populaire.

Évidemment, sur ce point, il y a une impasse, pas seulement pour la majorité présidentielle mais aussi pour l’opposition. L’ancien Ministre des Finances François Baroin en a convenu sur RTL le 25 novembre 2013, dans la situation budgétaire actuelle, il serait irresponsable de baisser l’imposition (pourtant trop élevée).

Ce n’est donc qu’en période de relative "prospérité" (réduction des déficits publics, retour à la croissance etc.) qu’une telle réforme pourrait s’imaginer. C’est ce qu’avait d’ailleurs rappelé prudemment le Ministre des Finances Pierre Moscovici le 5 novembre 2013 (il y a donc peu de temps) : « C’est une fois que la croissance aura repris que, peut-être, nous pourrons passer à des réformes plus importantes. ».

Par ailleurs, le gouvernement croit-il vraiment que les initiatives économiques vont se renforcer dans un climat de terreur fiscale renouvelée, de peur et d’inquiétude sur l’instabilité fiscale et sociale qui en fait autant d’épées de Damoclès pour les entrepreneurs et créateurs d’activités ? Cette annonce au contraire renforcera l’attentisme des investisseurs à un moment où il est d’autant plus crucial de les attirer mieux qu’un frisson de reprise se fait sentir chez nos partenaires économiques.

La résultante de tout cela, c’est que la réforme fiscale doit passer APRÈS la nécessaire réduction de la dépense publique. Il faut de la marge pour faire ce type de réforme et sans marge, pas d’adhésion populaire, pourtant indispensable si les pouvoirs publics ne veulent pas engendrer une grève de l’impôt. Jusqu’à maintenant, les citoyens français ont été, pour la plupart, honnête et légaliste et sont conscients de la nécessité de payer des impôts : il ne faudrait pas les noyer dans une situation à laquelle ils ne pourraient plus faire face financièrement, malgré toute leur bonne volonté.


Finalement, la solution la plus souhaitable, ce serait que cette réforme fiscale ayraut-hic soit oubliée par le prochain gouvernement qui sera probablement nommé après les désastres électoraux de l’année 2014. Après tout, l’essentiel de ce qu’on demande aux gouvernants en temps de crise, c’est qu’ils mettent en œuvre tous les moyens de l’État au service d’un retour à l’activité économique créatrice d’emplois. Et l’un de ces moyens, c’est de baisser considérablement les dépenses publiques qui valent aujourd’hui 57% du PIB ! Tout le reste n’est que considérations purement politico-politiciennes, qui n’ont comme incidence que la colère grandissante de la "France d’en bas" qui se meurt.

Dans leur tour d’ivoire des palais nationaux, visiblement, les éléphants socialistes sont encore loin des réalités du peuple. Que faudrait-il donc pour qu’ils ouvrent les yeux et s’alarment vraiment du sort de leurs compatriotes ?

Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (27 novembre 2013)
http://www.rakotoarison.eu

Pour aller plus loin :
L’impôt retenu à la source, est-ce une bonne idée ?
François Hollande.
Jean-Marc Ayrault.
L’écotaxe.
Jean-Marc Ayrault dans "Les Échos" du 18 novembre 2013.


http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/ayrault-et-l-impossible-reforme-de-144313