Beau portrait de femme malgré plusieurs déceptions (Elisir d’Amore)

Par Borokoff

A propos de The Immigrant de James Gray 

Marion Cotillard

1921. Ewa (Marion Cotillard) et sa sœur Magda, deux jeunes immigrées polonaises qui viennent d’arriver à New-York, croient dur comme fer à  l’ « American dream » et à leur chance de réussite et d’intégration aux Etats-Unis. Mais les ennuis commencent lorsque Magda est diagnostiquée « tuberculeuse » par les autorités douanières et envoyée en quarantaine su Ellis Island. Quant à Magda, elle se voit tout juste sauvée de l’expulsion grâce à l’intervention de Bruno (Joaquin Phoenix), qui n’est autre qu’un proxénète… Obligée de se prostituer pour pouvoir payer des soins onéreux pour sa sœur, Magda voit en l’arrivée d’Orlando (Jeremy Renner), un illusionniste cousin de Bruno, un espoir de s’en sortir. Mais c’est sans compter sur la jalousie maladive de Bruno, tombé amoureux de Magda…

L’annonce de la sortie d’un film de James Gray est tout sauf anodin. C’est même quelque chose que l’on attendait à la fois religieusement et en piaffant d’impatience depuis l’inoubliable Two Lovers.

Du coup, dire que l’on a été déçu par The Immigrant est un mot difficile à écrire et à prononcer. Un mot qui écorche les lèvres tant il colle mal au cinéma de Gray, à tout le bien que l’on en pense, toute l’émotion qui s’en dégage habituellement, rien qu’à l’évocation de The Yards, de La Nuit nous appartient ou de Little Odessa.

Marion Cotillard

L’émotion, c’est pourtant justement ce qu’il manque dans cette reconstitution historique alors qu’elle est d’ordinaire l’essence même du cinéma de Gray, ce que l’on ressent dans chacune de ses mises en scène.

Mais étrangement, elle est absente dans The Immigrant, remplacée par une forme de grâce qu’incarne Cotillard, irréprochable et que portent les sublimes compositions de l’inamovible Chris Spelman. Le film dans son entier fait d’ailleurs penser à une fable. Mais la déception vient du sentiment que c’est comme si Gray semblait s’être assagi sur ce coup-là, peut-être fatigué par ses combats minants avec des studios hollywoodiens qui ne l’auront jamais à la bonne de toute façon. Maudit Gray.

Marion Cotillard, Jeremy Renner

L’histoire se passe pendant l’ente deux-guerres aux Etats-Unis, à une époque de forte immigration étrangère et qui correspond au début de la Prohibition (1919-1933). Cosigné par Gray et Ric Menello, le scénario s’articule autour d’un trio amoureux mais plus encore de la désillusion et du désenchantement amoureux progressifs que connait le personnage de Bruno. Comme dans Two Lovers, c’est Phoenix qui interprète magistralement ce personnage excessif et violent, impulsif et névrosé. En un mot, inquiétant. Bruno semble porter des blessures secrètes, des traumatismes qui expliqueraient ces emportements et ce caractère si irascible et imprévisible.

Joaquin Phoenix

Mais le personnage joué par Phoenix n’est pas le héros du film. L’héroïne, c’est Magda, la timide mais courageuse Polonaise prête à tout pour sauver sa sœur, y compris à louer son corps au plus offrant. Cotillard campe avec brio une Magda qui recèle une part de mystère dans la difficulté notamment pour le spectateur à deviner ses sentiments réels à la fois pour Orlando (bluffant Renner dans un rôle dramatique) et pour Bruno, pour qui elle semble éprouver plutôt de l’empathie, dans la scène finale, voire une sorte de pitié, fruit de sa foi catholique.

Jusqu’au bout, impossible de savoir, de deviner précisément ce que ressent exactement Magda pour Bruno mais plus encore pour Orlando. Est-elle amoureuse de ce dernier ? Ne voit-elle pas surtout en lui l’espoir de s’en sortir ? Une lumière au bout du tunnel et du cauchemar qu’elle traverse ?

Ce mystère qui subsiste reste un des atouts majeur du film, au même titre que les compositions de Spelman et le jeu merveilleux du trio d’acteurs.

Mais à nouveau, on en revient à ce qui manque dans ce film, de l’émotion. La mise en scène du cinéaste américain parait plus linéaire, non pas plus lisse mais moins tendue que d’ordinaire. Pourtant, les éléments du cinéma de Gray sont bien présents – du jeu inspiré par Chaplin de Phoenix au songe que fait Magda avec sa soeur dans un paysage de roseaux, de l’influence de la peinture (scène finale) chez Gray aux chants d’opéra italiens pour la bande originale du film – mais rien n’y fait, le style est moins flamboyant, moins incandescent. Sans être raté, The Immigrant parait moins inspiré que les précédents films de Gray, moins bouleversant. On est loin en tout cas de la puissance dramatique, du pouvoir d’évocation (on serait tenté de dire de faire frémir le spectateur) de Two Lovers par exemple. Surtout, on a du mal à saisir les enjeux réels de The Immigrant

Un passage à vide ou un « coup de moins bien » que l’on pardonne volontiers à Gray. En espérant qu’ils soient passagers…

http://www.youtube.com/watch?v=Y59E5_ySyAo

Film américain de James Gray avec Marion Cotillard, Joaquin Phoenix, Jeremy Renner… (01 h 57)  

Scénario de James Gray et Ric Menello : 

Mise en scène : 

Acteurs : 

Compositions de Chris Spelman :