Les rituels funéraires 2.0.

Par Annuclean

Les rituels funéraires 2.0.


De l’aimé disparu, on portait autrefois une mèche de cheveux. Convoquerons-nous bientôt, à la demande, sa voix et son image sur l’écran de nos téléphones tactiles ? Pourrons-nous virtuellement dialoguer avec lui, comme le met en scène la série télévisée britannique d’anthologie Black Mirror, créée par Charlie Brooker ? L’un des épisodes de sa saison 2 (2013), intitulé « Be Right Back » (« Je reviens tout de suite »), pousse en effet jusqu’à l’extrême les conséquences que pourraient avoir les nouvelles technologies sur nos relations avec les défunts. Une jeune femme, brisée par la mort accidentelle de son compagnon, fait appel à une compagnie spécialisée dans l’accompagnement des endeuillés. Laquelle, en utilisant le profil laissé par le défunt sur les réseaux sociaux et les données numériques qu’il a enregistrées durant sa vie, lui propose un sosie-robot presque aussi vrai que nature…

IMAGINAIRE BOUSCULÉ

Nous n’en sommes pas là. Mais, déjà, le brouillage généré par Internet entre réalité et virtuel bouscule notre imaginaire, modifiant du même coup la perception que nous avons de la mort. C’est en tout cas ce qu’affirme le sociologue Martin Julier-Costes, dont les récents travaux ont ouvert une fenêtre privilégiée sur ce que pourraient être les rituels funéraires de demain. En recueillant les témoignages de jeunes gens confrontés à la perte d’un des leurs, il a constaté à quel point Internet et les réseaux sociaux pouvaient constituer de nouveaux « espaces des morts« .

Lorsqu’un jeune meurt, il n’est pas rare que ses amis créent un blog, diffusent des vidéos sur Dailymotion ou YouTube, ou encore créent une page Facebook pour le défunt. « Cette plate-forme constitue un lieu commun pour échanger sur l’organisation des funérailles et adresser des messages aux proches, mais aussi au mort lui-même », précise-t-il. « A l’image d’une tombe dans un cimetière, la page Internet permet d’individualiser une mort à l’intérieur d’un espace collectif partagé. Pour les amis, c’est une manière de marquer cette mort au sein du groupe des pairs. Tout en la rendant publique et visible pour un collectif qui les dépasse, puisque tout le monde peut venir visiter la page. »

SE RECUEILLIR AVEC SON AVATAR DANS LE JEU

Au cours de son enquête, Martin Julier-Costes a rencontré une autre forme inédite de ritualisation funéraire. Le lieu de la cérémonie est World of Warcraft (WOW), ce jeu en réseau qui compte des millions de joueurs dans le monde dans lequel chacun choisit un avatar (un personnage) et rejoint une « guilde » pour effectuer des missions.

« Ayant appris le décès d’un des joueurs, les membres d’une guilde ont décidé de se recueillir dans le jeu avec leurs avatars respectifs. Réunis auprès d’un lac, le personnage du défunt au bord de l’eau, ses compagnons l’ont entouré et ont partagé un moment de recueillement », relate le sociologue. Sites Internet, réseaux sociaux ou jeux vidéo multijoueurs, ces lieux virtuels, affirme-t-il, répondent au même invariant anthropologique que le cimetière ou l’église : le besoin d’être en lien avec les morts et de leur accorder une place parmi les vivants.*

Source : Lemonde.fr


Une erreur, une modification?, signalez la dans: Poster un avis