La Cheneaudière

Par Gourmets&co

La Cheneaudière

(Alsace) par Ericka Morjon

: cuisine banale

: cuisine d’un bon niveau

: cuisine intéressante et gourmande

: cuisine de haut niveau… à tous les niveaux

: cuisine exceptionnelle

… nature et volupté …

Notre dernier coup de cœur gastronomique nous emmène dans le petit village alsacien de Colroy-la-Roche. Situé à 60 km de Strasbourg, avec ses 486 habitants, il abrite une vénérable maison, La Cheneaudière, fondée en 1974 et membre de Relais et Châteaux depuis 1975. Le lieu mérite bien un (petit) détour, puisqu’en plus de sa table réputée, il est fort agréable de séjourner dans son hôtel de charme quatre étoiles (voir rubrique Hôtels). Son fondateur, Marcel François, était un amoureux du bien-vivre et du bien-recevoir comme le raconte sa fille, Mireille : « Il n’était pas du métier, il voulait juste réaliser son rêve, créer un établissement de charme où il pourrait cuisiner pour ses amis. »

Quarante ans plus tard, on aime toujours cuisiner à La Cheneaudière. Le chef, Roger Bouhassoun, y officie depuis plus de treize ans (depuis peu secondé par un autre chef, Daniel Stein). Après un apprentissage à l’hôtel des Vosges, à Lutzelbourg, il est passé à l’Erckmann Chatrian à Phalsbourg, et a été second de cuisine chez le traiteur Kieffer, toujours à Strasbourg. Puis, chef pendant quinze ans à l’Auberge Saint-Martin, à Kintzheim.

Roger Bouhassoun est un Lorrain pur jus : réservé, pudique, humble mais accueillant et plein d’humour. Et généreux. Cela se ressent dans l’assiette : c’est franc, honnête, goûteux, entier. Le slogan de la Maison, « Calme, luxe et nature », se retrouve complètement dans la carte, et le chef tire le maximum de son environnement exceptionnel. Il se fournit autant que possible chez les petits fermiers alentours, les petits producteurs pratiquant une agriculture bio ou raisonnée, et chez les éleveurs du coin. Il est fier de son lieu pêché à la ligne en haute mer qu’il achète à un pêcheur breton. Le chef fait ses desserts avec du vrai lait de ferme, fait son jambon, son lard (très bon au demeurant), sa saucisse, et ses gigots fumés.

En entrée, un Duo de foie gras, dont celui aux épices de pain d’épices qui se révèle bien équilibré et d’une belle tenue. Créée par Roger Bouhassoun il y a huit ans, le blanc à fromage d’Alsace (munster d’une semaine, non passé en cave) et truffes noires en ravioles de pâte fraîche, beurre blanc au parmesan, est devenu un indétrônable de la carte. Un plat puissant et subtil à la fois, gourmand, dont chaque bouchée révèle de nouvelles saveurs. Autre grand classique, le tartare de saumon frais d’Irlande légèrement fumé par les soins du chef, préparé à table, et qui fut une recette du fondateur, Marcel François.

Cuisson parfaite pour le Homard en fricassée avec sa käse knepfle (sorte de quenelle au fromage) moelleuse et sa sauce homardine, merveilleuses herbes aromatiques du jardin, sauce superbe, knepfle goûteuse et délicate. Un plat à saucer.

Pigeon, sa poitrine farcie cuite en basse température, ses cuisses rôties, son jus corsé, fenouil confit et girolles. Là aussi, belle cuisson, du puissant et de l’équilibre, la force de la volaille est adoucie par l’accompagnement.

Le plateau de fromages proposé par la maison mérite d’être découvert (y compris par les clients originaires de la région!), différents munsters (quelques surprises), tommes, ribeaupierres, chèvres…

En dessert, la glace rafraîchissante à la fraise préparée avec du vrai lait de ferme bio nous comble de souvenirs gourmands, nous ramène à des lectures de la collection Bibliothèque rose ou de la comtesse de Ségur.

On termine en beauté avec la tarte au chocolat 1er cru de plantation Vénézuela servie avec son whisky alsacien (distillerie Meyer), et sa glace onctueuse au lait nature. Un beau mariage, délicat et « brut » à la fois.
En plus d’une belle carte des vins, le sommelier propose des accords mets/jus de fruits. Un effort appréciable et, paraît-il, très réussi.

Questions à Roger Bouhassoun

Votre déclic cuisine?
C’est venu très tôt, vers sept ans. J’habitais un village d’une soixantaine d’habitants. Pendant mes vacances scolaires et tous les jeudis, j’allais donner des coups de main aux paysans du coin, ou je leur vendais des timbres, je voyais ce qu’il se passait dans les cuisines, j’étais gourmand.

Un chef qui vous a marqué?
Paul Haeberlin. Il était simple, humble, il avait toujours un mot gentil. Il venait régulièrement déjeuner à l’auberge Saint-Martin et quelquefois, quand il venait saluer en cuisine, il attrapait un couteau, il donnait un coup de main.

Faites-vous de la cuisine de terroir?
Non! Je suis très territorial mais je ne suis pas terroir. J’essaie au maximum d’acheter des produits locaux, sinon de la région, puis de France, ensuite d’Europe. Mon sel ne vient pas de l’Himalaya mais il vient de Nancy, je cuisine avec du vrai lait de vache qui vient d’une ferme qui est à 3 km d’ici. Mes fournisseurs sont comme des gens de ma famille, ils ne me vendent que de la qualité, des produits qui sont tellement bons que s’ils ne me les vendaient pas, ils les garderaient pour eux ou pour un proche.

Votre « patte », votre style?
Ici, il n’y a rien qui fume, ce n’est pas grandiloquent. Quand on travaille avec de bons produits, il n’y a pas grand chose à faire pour les sublimer. Quand le client voit son plat arriver, il se dit « tiens, il n’y a pas le feu d’artifice du 14 juillet », mais c’est un feu d’artifice de goûts, la fête est dans la bouche.

Des plats qui vous ressemblent?
Ma marque de fabrique, c’est surtout la sauce. Pour moi, une assiette doit toujours se terminer par un petit morceau de pain, et la sauce. Le client doit se dire « mais comment ont-ils fait cela? » Ce sont les sauces qui font la différence.

La course aux étoiles vous intéresse?
Personnellement, non. Pour la Maison, pour l’équipe, ce serait une bonne chose, bien sûr. Pour moi, le plus important est de voir les étoiles dans les yeux des gens. Peut-être que je suis trop simple…

Restaurant de La Cheneaudière
Colroy-la-Roche 67420
Tél. : 03 88 97 61 64
www.cheneaudiere.com
Ouvert tous les soirs, et le midi les samedis, dimanches et jours fériés.
Menu : 57 euros (5 plats, vin compris) uniquement au déjeuner.
Menu Rustique-chic : 3 plats à 55 euros
Menu Dégustation : 7 plats à 100 euros.
Carte : environ 90 euros.