Immigrés : l’urgence du droit de vote

Publié le 02 décembre 2013 par Pascal_martineau

Une fois n’est pas coutume, je suis, sur le fond, d’accord avec Manuel Valls. Oui le risque communautariste, même s’il reste très minoritaire, est aujourd’hui réel dans notre pays. Le nier, c’est adopter la stratégie de l’autruche. Il n’y a qu’à, pour s’en convaincre, regarder l’augmentation, dans la rue, du nombre de femmes totalement voilées ou de jeunes ostensiblement musulmans : djellaba, fez, barbe et... baskets.
L’annonce de l’émergence de listes à caractère communautariste dans certaines villes de banlieue est un signe inquiétant du repli opéré par certains. 
« Elevé » à la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC), je fais partie de ces chrétiens laïcs qui considèrent que notre place de croyants est d’être au cœur du monde, au milieu des hommes et des femmes qui constituent les sociétés où nous vivons et travaillons. Le repli sur soi, observé aussi dans les autres religions du Livre (chrétiens et juifs), n’est pas la solution. Bien au contraire, faire « bande à part » détruit le tissu de notre société laïque et républicaine. De tous temps, les chrétiens dont je suis se sont engagés dans les organisations laïques et non confessionnelles de notre société : associations, syndicats, partis politiques, aux côtés tant de croyants d’autres religions que de non-croyants. 

Responsabilité collective
Pour autant, craindre ce repli communautariste ne suffit pas. Il faut, au moment où nous commémorons le trentième anniversaire de la marche contre le racisme et pour l’égalité1, s’interroger sur notre responsabilité collective. La racine du mal se trouve essentiellement dans l’absence d’efforts prolongés et réels faits - sans remonter jusqu’à la période coloniale -, depuis la Libération pour permettre aux populations étrangères de s’intégrer. Et pourtant, nous sommes allés les chercher, durant les Trente glorieuses, ces travailleurs immigrés, jusque dans leur bled, pour reconstruire la France d’après-guerre, bâtir nos ponts, nos autoroutes, nos immeubles, fabriquer nos voitures à la chaîne, et même cultiver nos vergers2. Puis, quand, avec le premier choc pétrolier, est venue la crise, on leur a fait comprendre qu’ils n’étaient plus les bienvenus dans ce pays qu’ils avaient nourri bien plus qu’il ne les avait nourris eux-mêmes. Petit à petit, les cités HLM qu’ils avaient construites ont été désertées par les « Blancs », transformant nombre de ces cités dortoirs en ghettos. Puis, bien plus tard, alors même qu’ils payaient leurs impôts depuis des décennies, on leur a refusé la citoyenneté française, celle qui leur aurait permis de voter aux élections locales. On leur a fait des tracasseries pour le regroupement familial. On a rejeté les demandes de titre de séjour de leurs frères et sœurs. A leurs fils et à leurs filles, même diplômés, on a refusé des emplois à cause du prénom, du nom de famille et de l’adresse inscrits sur leur CV ou à cause de l’école, du collège, du lycée – eux-mêmes devenus des ghettos – dont ils étaient sortis. 

Bouc émissaire
Et on s’étonnera que certains, aujourd’hui, ne sachant plus à quelle branche laïque et républicaine se rattraper, s’accrocher, soient tentés par un repli communautariste, attirés par les sirènes du fondamentalisme, dans des milieux où l’on attise la haine de l’autre, où l’on fait de la laïcité la bouc émissaire de leur misère et de leur exclusion.
Cela n’excuse en rien certains comportements. Mais admettons-le, au moins, ça les explique. On voudrait que, toutes et tous, sans broncher, respectent une société qui n’a eu de cesse de les exclure, de les stigmatiser, eux et leurs parents et grands-parents.
En tout cas, la pire des réponses à ce repli communautariste serait d’avoir peur du droit de vote des immigrés non communautaires aux élections locales, au point d’y renoncer encore. Au contraire, l’instauration de ce droit, maintes fois promis par la gauche, est plus urgent que jamais.


1. Courez voir La Marche de Nabil Ben Yadir : beau, fort, drôle, émouvant, militant, dérangeant. A conseiller aux antiracistes et à prescrire aux racistes.
2. Dans les années 70, mon père était permanent syndical CFDT en Touraine. Il me racontait comment les patrons des vergers du Val de Loire affrétaient de petits avions pour l’Algérie dans lesquels ils ramenaient – clandestinement-  des travailleurs immigrés qu’ils faisaient travailler dans leurs vergers dans des conditions (in)dignes des champs de coton.