Comment traiter les descriptions et les détails techniques dans un récit de Science-Fiction ? Par Mickaël Guichaoua

Publié le 04 décembre 2013 par Thibaultdelavaud @t_delavaud

C’est au tour de Mickaël Guichaoua de vous proposer un article. Mickaël est un membre actif de l’association Saisons d’Écriture, dont j’ai souvent parlé. Il est également un passionné de science-fiction et d’Histoire et donne dans cet article de nombreux conseils pour améliorer son écriture. Bonne lecture !

La lecture, tant de classiques que d’auteurs récents de SF, et ma propre expérience d’écriture m’ont fait prendre conscience de problèmes récurrents dans l’écriture d’un récit de science-fiction. Je souhaite vous faire partager mes réflexions dans ce domaine.

Je me suis aperçu d’une façon générale que les erreurs étaient les mêmes en SF et dans le genre historique, que j’affectionne particulièrement. En effet, dans le roman historique, il est tentant de vouloir décrire une foule de détails qui montrent qu’on connaît bien son sujet et qui sont supposés donner plus de poids à l’ambiance du récit. En SF, l’auteur a aussi envie de faire de longues descriptions techniques ou d’explications sur sa société du futur. L’historien qui se fait romancier a tendance à insérer de nombreux termes d’époque, le futuriste, lui, en invente. Dans les deux cas, le lecteur ne comprend généralement pas de nombreux mots employés sans se référer au glossaire.

Il s’agit d’une erreur.

Décrire légèrement mais précisément

D’abord multiplier les détails alourdissent le récit et ralentissent l’action. Le lecteur se perd également dans les trop nombreux termes techniques et néologismes. Il ne se souvient généralement pas du quart de ces termes, passé quelques pages, et finit par s’ennuyer. Imaginez si, dans un récit se situant à l’époque actuelle, vous décriviez précisément le fonctionnement de tous les véhicules et appareils technologiques de notre temps. Le résultat serait catastrophique.

Comme dans un récit historique, il faut mieux distiller les termes et explications au compte-goutte, de façon à ne pas ralentir le rythme de votre récit. Et les insérer au bon endroit. Ce peut être à l’occasion d’une discussion. C’est la méthode souvent utilisée par Isaac Asimov, il place des explications au cœur d’une discussion entre ses personnages, explications qui sont elles-mêmes d’un intérêt capital pour son intrigue. C’est aussi le cas du précurseur de la SF, Jules Verne, par exemple, avec les explications du Capitaine Nemo à bord du Nautilus. On peut aussi les placer en même temps qu’une action exécutée par les personnages. Ainsi, par exemple, vous pouvez faire se parler deux personnages qui réparent un engin, et en même temps qu’ils expriment leur sentiments, vous pouvez ponctuer le dialogue par la description de gestes concernant les aspects techniques de la réparation.

Ensuite, il peut être avisé de ne pas trop détailler. Comme dans tous les autres genres littéraires, la surabondance de détails descriptifs tue l’imagination du lecteur. Il peut suffire de préciser qu’il y a des vaisseaux spatiaux ou des robots, est-il vraiment utile de décrire leur fonctionnement ? Est-il utile de préciser que votre vaisseau fait 38m de long et qu’il est composé de 14 salles et que sa propulsion est à particules ? Pourquoi ne pas simplement décrire en une phrase le sentiment d’un personnage à la vue d’un tel vaisseau ? La même remarque m’a été faite pour un récit historique, j’avais décrit précisément une église du IVème siècle et un autre auteur m’avait montré comment réécrire mon passage en décrivant les sentiments des gens qui entraient dans le bâtiment.

Les exemples de Matrix et de Dune

Parfois, il arrive que vous ne pouvez pas échapper aux explications. Là, il faut que vous sondiez les connaissances de votre lectorat. Pour cela, mieux vaut essayer de vous fixer à une certaine moyenne. Par exemple avant la sortie du film Matrix, grand succès populaire, peu de gens savaient ce qu’était une matrice ni ce que pouvaient impliquer des mondes virtuels. Lors de la sortie du film d’animation japonais Ghost in the Shell, antérieur à Matrix, peu de gens le comprenaient car peu de choses étaient expliquées. Alors, les scénaristes de Matrix, conscients à l’époque de la faible culture des gens en matière de mondes virtuels, ont fait un choix scénaristique tout à fait censé : la première demi-heure du film est consacrée à une vaste explication sur l’univers du film. Et pour réussir cette explication, ils ont utilisé au maximum les possibilités scénaristiques et l’action. Au départ, Néo ignore la matrice et le monde virtuel, le spectateur s’identifiant à lui, il peut aisément comprendre les explications au fur et à mesure de l’évolution du scénario. D’abord on lui dit que son monde n’est pas vraiment réel, ensuite on le met devant un choix, celui de la vérité ou de l’ignorance. Et enfin on le place brutalement dans le monde réel. Ensuite, commence l’explication du pourquoi et du comment tandis qu’on l’initie aux mondes virtuels et à ses possibilités infinies. Imaginez si à la place on avait fait découvrir les mondes virtuels et la matrice en deux minutes d’explications techniques. Le film aurait probablement été un échec. Aujourd’hui, vous pourriez très bien parler des les mondes virtuels dans votre récit sans avoir besoin d’explications, cela fait désormais partie d’un savoir majoritaire. Par contre si vous deviez parler téléportation en parlant des théories de la corrélation, il sera nécessaire de l’expliquer à la manière des frères Wachowski, à condition que cette explication soit au centre de votre univers.

En revanche, dans le cycle de Dune de Frank Herbert, l’auteur a choisi de ne pas décrire avec précision les différents éléments de son univers. Il a créé un monde totalement nouveau, sans aucun lien avec notre vie sur Terre ni avec notre époque. Le résultat est saisissant car on se laisse emporter dans l’histoire et les mystères ne sont là que pour éveiller notre curiosité. En fait, ce monde est similaire aux univers de la fantasy. Il n’est pas véritablement important de savoir si la technologie décrite est possible, ni si la société est crédible, ce qui tient en haleine le lecteur demeurent avant tout l’histoire, la forme agréable du style, des dialogues et une action qui évitent l’ennui du lecteur. La réactualisation des mythes, qui depuis l’Iliade et l’Odyssée, la Bible ou les romans arthuriens du Moyen-Âge, contribue toujours au succès des grandes sagas, quelque soit leur genre. Dans Dune, on retrouve tous ces ingrédients : trahison, amitié, amour impossible, périple du héros semé d’embûches, vengeance, destin prophétique… Ainsi, comme j’ai choisi dans le genre historique de ne pas laisser l’Histoire prendre le pas sur la romance, essayons de ne pas oublier le lecteur quand on écrit de la SF !

Auteur : Mickaël Guichaoua, membre de l’association Saisons d’écriture