Centrale à béton, fleuriste et servitude de passage

Publié le 08 décembre 2013 par Christophe Buffet

Voici un arrêt qui juge que la servitude de passage n'est pas aggravée à l'occasion du changement d'activité du bénéficiaire de la servitude : 

"Vu l'article 702 du code civil ;

Attendu que celui qui a un droit de servitude ne peut en user que selon son titre, sans pouvoir faire, ni dans le fonds qui doit la servitude, ni dans le fonds à qui elle est due, de changement qui aggrave la condition du premier ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 23 avril 2012), que la société T2G est propriétaire d'un fonds, sur lequel son locataire exerce une activité de production de béton et au profit duquel une servitude conventionnelle de passage a été constituée qui grève le fonds voisin appartenant à la société Lafay ; que se plaignant d'une aggravation des conditions d'exercice de cette servitude, la société Lafay a assigné la société T2G aux fins de voir imposer des limites à la circulation des véhicules sur le passage et d'obtenir une indemnisation ;

Attendu que pour accueillir ces demandes, l'arrêt, qui relève que postérieurement à l'acquisition par la société T2G du tènement bénéficiant de la servitude, la construction antérieurement implantée a été considérablement étendue par un bâtiment édifié spécialement pour l'activité de la société Gential et que le site est ainsi passé de l'activité propre de négoce de fleurs artificielles exercé dans le bâtiment d'origine qui nécessitait la circulation de quelques véhicules légers par jour à l'exploitation d'une centrale à béton entraînant l'augmentation et la modification de la nature du trafic dû au passage fréquent de camions gros-porteurs, retient que le changement dans les conditions d'utilisation de la servitude à raison de l'activité exercée dans les locaux de la société T2G constitue une certaine aggravation de la servitude conventionnelle de passage ;

Qu'en statuant ainsi, par des motifs impropres à caractériser une aggravation de l'exercice de la servitude alors que le titre constitutif stipulait, au profit du propriétaire du fonds dominant, "à titre de servitude réelle et perpétuelle, un droit de passage tous usages pour lui permettre d'accéder à son fonds", la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 23 avril 2012, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;

Condamne la société Lafay aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Lafay à payer à la société T2G la somme de 3 000 euros ; rejette la demande de la société Lafay ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trente octobre deux mille treize.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Coutard et Munier-Apaire, avocat aux Conseils, pour la SCI T2G.

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit que la SCI T2G était responsable d'une aggravation de la servitude conventionnelle de passage consenti par la SAS LAFAY et, en conséquence, de lui avoir fait interdiction de procéder à des entrées et des sorties groupées de camions et de camion toupie et de charger les remorques qui ne sont pas adaptées au transport des matériaux, de lui avoir enjoint de prendre toutes mesures utiles et nécessaires pour éviter la formation de la flaque boueuse à la sortie de sa propriété et pour permettre le bon écoulement des eaux de pluie, d'installer un dispositif adapté de nettoyage des roues des camions et de procéder systématiquement au nettoyage des roues de tout camion sortant de sa propriété, le tout sous astreinte de 500 ¿ par passager régulier constaté, et, enfin, de l'avoir condamnée à payer à la SAS LAFAY la somme de 9.409,74 euros au titre de la dégradation de l'assiette de la servitude et une somme de 5.200 ¿ hors taxes au titre de l'entretien annuel de l'assiette de la servitude ;

AUX MOTIFS PROPRES QU' « il résulte des dispositions de l'article 702 du Code civil que sont prohibés les changements contraires au titre puisque le titulaire de la servitude ne peut en user que suivant son titre et que si le titre ne restreint pas l'exercice de la servitude à un usage déterminé ou des modalités particulières, l'interdiction d'aggraver la servitude ne concerne que les actes qui modifient la servitude elles-mêmes et qui aggravent la condition du fonds servant ; il est ainsi admis que le principe de fixité oblige le propriétaire du fonds dominant à ne pas rompre l'équilibre, issu de la conciliation de deux intérêts, entre l'utilité que lui procure la servitude et la charge qu'elle représente pour le propriétaire du fonds servant, le juge devant tenir compte notamment des circonstances de fait, de l'état des lieux, des besoins du fonds dominant à l'époque de la constitution de la servitude ainsi que du préjudice que le propriétaire du fonds servant peut éprouver par suite des changements apportés dans le fond auquel la servitude est due ; qu'il est enfin constant que pour que l'aggravation apportée à la condition du fonds servant entraîne la prohibition du changement, il faut qu'elle soit à la fois certaine, actuelle, sensible et appréciable et qu'elle cause un préjudice au fond servant ; qu'en l'espèce l'acte du 28 juin 1989 contenant constitution de la servitude litigieuse prévoit que : « l'acquéreur concède aux vendeurs à titre de servitude réelle et perpétuelle, un droit de passage tous usages pour lui permettre d'accéder à son fonds. Ce droit de passage s'exercera sur la partie figurant en pointillés sur le plan qui va demeurer ci annexé après mention (partie nord du tènement vendu). Il est ici stipulé qu'en aucun cas l'assiette de la servitude de passage ne pourra être utilisée pour les besoins du stationnement d'un véhicule quelconque. Les frais de création et d'entretien de cette servitude seront à la charge du tènement 1 (parcelles 215, 216, 217, 439 et 441) et du tènement 2 (parcelles 297, 300, 438 et 440) proportionnellement à la superficie respective desdits tènements. Fonds servant : parcelles A 297, 300, 338 et 440 (LAFAY) Fonds dominants : parcelles A 215, 216, 217, 439 et 441, aujourd'hui SCI T2G » ; que si le changement d'affectation, que les parties n'avaient pas prévu, du bâtiment édifié sur le tènement bénéficiant de la servitude, du fait de l'exploitation de la centrale béton ne peut être considéré comme un changement non conforme au titre eu égard à la portée générale de cet acte qui ne prévoit aucune restriction d'utilisation et aucune clause fixant la nature des engins motorisés autorisés à emprunter le passage, en revanche la SAS LAFAY est fondée à invoquer les dispositions de l'article 702 du Code civil dès lors qu'il résulte de la modification des conditions d'utilisation du passage, une aggravation de la situation de son fonds ; qu'il n'est pas contesté en effet, que postérieurement à l'acquisition par la SCI T2G le 3 octobre 2003 du tènement bénéficiant de la servitude, la construction antérieurement implantée a été considérablement étendue, soit environ trois fois et demi par rapport à l'existant, par un bâtiment édifié spécialement pour l'activité de la société GENTIAL et que le site est ainsi passé de l'activité propre de négoce de fleurs artificielles exercée dans le bâtiment d'origine qui nécessitait la circulation de quelques véhicules légers par jour, à l'exploitation d'une centrale à béton entraînant l'augmentation et la modification de la nature du trafic dû au passage fréquent de camions gros-porteurs ; qu'en effet les éléments régulièrement produits par la SAS LAFAY établissent que depuis le début de l'activité de la société GENTIAL, l'assiette du droit de passage est utilisée par celle-ci d'une manière intensive qui s'apparente à du stationnement prohibé par l'acte constitutif de la servitude et que l'entrée sur le site et la sortie sont limitées pour les véhicules de la SAS LAFAY, par la présence dans les deux sens des camions circulant pour les besoins de l'activité de la centrale àbéton ; que dans son rapport l'expert judiciaire confirme que les passages entrant et sortant de la centrale à béton de la société GENTIAL génèrent des embouteillages principalement en début et fin de journée à l'arrivée et au départ du personnel de la SAS LAFAY et que les départs groupés de toupie engendrent un encombrement momentané de la servitude ; que les photographies prises en 2004-2005 ainsi que les procès-verbaux d'huissier de justice, notamment ceux du 9 septembre 2003, 13 janvier 2006, 10 octobre 2006, 10 décembre 2007 versés aux débats, démontrent que l'assiette du passage est jonchée de résidus d'agrégats servant à la fabrication du béton, de gravillons qui se répandent aussi sur le parking LAFAY et de laitance de béton qui provient de l'exploitation de la centrale àbéton, car le terrain de la société GENTIAL et boueux et recouverts de larges flaques d'eau boueuse, dans lesquels les camions, dont le chargement n'est pas recouvert de leurs bâches, viennent de faire demi-tour avant de regagner la sortie ; que dans son rapport l'expert judiciaire fait observer qu'à la sortie de la propriété de la SCI T2G se crée fréquemment une flaque boueuse qui peut atteindre plusieurs dizaines de mètres carrés d'extension et peut s'étendre de part et d'autre du portail en partie sur la propriété de la SAS LAFAY, que les véhicules sortant de la société GENTIAL traversent cette flaque et vont éclabousser la voie et transporter la boue qui se trouve sur leurs roues, sur la servitude de passage ; qu'il ajoute que d'une part les eaux de pluie ne sont pas correctement traitées à l'échelle de l'ensemble de la propriété de la société T2G et que le dispositif d'infiltration dans le seul est insuffisant, créant cette situation de façon répétée et durable, que d'autre part la société T2G fournit du béton en vrac à des particuliers dont les remorques ne sont pas tout adaptées au transport du béton, des graviers et du sable, occasionnant ainsi des fuites de ces matériaux ; que par ailleurs, les photographies produites par l'intimée (constat du 13 février 2006) démontrent que l'état du revêtement de l'assiette de passage est dégradé et que la poussière est très présente sur le site ; qu'à cet égard, l'expert judiciaire a relevé que la chaussée qui date de 1994/1995 est en fin de vie et présente depuis 2006, soit deux ans après le début de l'activité de GENTIAL, une usure anormale pour une réalisation datant de moins de 20 ans (enrobé craquelé, ornières, faïençage) en raison certes d'utilisation importante de lourds tonnages de la société T2G mais encore plus du fait de l'hétérogénéité des matériaux employés et d'une épaisseur très insuffisante de la couche de fondation aux endroits précisément la chaussée dégradée ; qui souligne que la poussière se concentre davantage du côté sud de la propriété LAFAY c'est-à-dire du côté le plus proche de la centrale à béton mais également de l'installation de concassage qu'il ajoute en parti sud-ouest, de sorte qu'il ne lui est pas possible d'établir de corrélation entre la génération de poussière et le passage des véhicules entrant et sortant de la centrale ; que s'il considère qu'à son avis l'empoussièrement est très majoritairement causé par l'activité de concassage, en revanche les signes que la poussière est mise en mouvement par le passage des camions qui la soulèvent, créant ainsi la gêne et que la climatisation des bureaux LAFAY est justifiée par le fait que l'ensemble du site est en poussière et en périodes sèches, mais pas par les seuls passages de camions ; qu'il précise que le tonnage par jour transité sur le passage et de 1,095 tonnes du fait de la SCI T2G soit un rapport des tonnages transportés de 7,3 pour GENTIAL est de 1 pour LAFAY, l'expert notant une utilisation déséquilibrée du passage au profit de la SCI T2G (trois fois plus importante) ; que l'expert conclut en définitive, que les conséquences des passages de camions et toupies sur l'activité de la SAS LAFAY sont limitées à la dégradation des conditions d'accès de réception de la clientèle ainsi que des conditions de travail des personnes présentes dans les bureaux, sans toutefois avoir des conséquences économiques autres que négligeable sur l'activité de la société LAFAY ; qu'il en déduit une dépréciation du fonds servant de 50 % sur l'assiette de la servitude (502 m2) et de 25 % sur les abords proches soit 150 m², et une dépréciation de 10 % sur la surface 293 m² des locaux en façade, tout en retenant que la servitude de passage liée au lot de la SCI T2G implique forcément une contrainte sur le lot LAFAY quelle que soit l'activité qui s'exerce et donc les moins-values ; qu'il résulte de ce qui précède, que le changement dans les conditions d'utilisation de la servitude à raison de l'activité exercée dans les locaux de la SCI T2G constitue une certaine aggravation de la servitude conventionnelle de passage, de par l'entretien du passage et l'encombrement de celui-ci, qui ne nécessite pas toutefois d'ordonner la suppression de cette activité, mais un aménagement des conditions de son exercice et ce d'autant que la SCI s'engage à procéder aux travaux en portant création d'un accès sur la route départementale 1532 sur la commune de Sassenage et expose qu'elle a mis en place après expertise, un balayage de l'assiette de passage » ;

1./ ALORS QUE l'on ne peut reprocher au propriétaire du fonds dominant d'aggraver la servitude, quel que soit le préjudice causé, tant que les modifications qu'il apporte à l'exercice de cette servitude sont en conformité avec son titre ; que dès lors, en retenant, pour considérer que la SCI T2G s'était rendue coupable d'une aggravation de la servitude conventionnelle de passage consentie par la société LAFAY au sens de l'article 702 du code civil, que les conditions actuelles d'utilisation du passage impliquaient une circulation plus intensive et de véhicules plus lourds que par le passé, tout en constatant que le titre établissant la servitude, qui mentionnait « un droit de passage tous usages pour lui permettre d'accéder à son fonds » ne prévoyait aucune restriction d'utilisation du droit de passage et qu'aucune clause ne fixait la nature des engins motorisés autorisés à emprunter le passage, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le texte précité ;

2./ ALORS, subsidiairement, QUE l'acte du 28 juin 1989 constitutif de la servitude litigieuse, annexé à l'acte de vente du 3 octobre 2003 conclu entre la société CRYSKA et la société T2G stipule que « l'acquéreur concède au vendeur à titre de servitude réelle et perpétuelle, un droit de passage tous usages pour lui permettre d'accéder à son fonds ¿ il est ici stipulé qu'en aucun cas l'assiette de la servitude de passage ne pourra être utilisée pour les besoins du stationnement d'un véhicule quelconque » ; que la Convention internationale de Vienne sur la signalisation routière du 8 novembre 1968, entrée en vigueur en France le 6 juin 1978, définit le stationnement comme étant une immobilisation pour une raison autre que la nécessité d'éviter un conflit avec un autre usager de la route ou un obstacle, ou d'obéir aux prescriptions de la réglementation de la circulation, et ne se limitant pas au temps nécessaire pour prendre ou déposer des personnes ou des choses, excluant ainsi qu'il existe la moindre ambiguïté sur le sens de ce terme ; que dès lors, en retenant, pour considérer que l'usage de la servitude fait par la société T2G n'était pas conforme au titre, que son caractère intensif et la présence dans les deux sens de camions générant, par moments, des embouteillages, s'apparentaient à du stationnement prohibé, la cour d'appel, qui a méconnu le sens et la portée clairs et précis de l'acte du 28 juin 1989, a violé l'article 1134 du code civil."