Alerte à la pollution à Paris : Serge Federbusch dissipe le nuage d'intox de la mairie pour Atlantico !

Publié le 14 décembre 2013 par Delanopolis
Interrogé avec deux experts, un climatologue et un médecin, sur la question de l'alerte à la pollution qui a défrayé la chronique ces derniers jours, Serge Federbusch s'est livré à un indispensable exercice de désenfumage. Lire aussi ICI.


Atlantico : L'Association de surveillance de la qualité de l'air en Île-de-France, Airparif, a annoncé un dépassement du seuil d'alerte aux particules fines du mardi 10 au jeudi 12 décembre. Cette pollution affecte également les régions nord, est et sud-est de la France, selon le ministère de l'Écologie. A quoi ces niveaux de pollution sont-ils dus ? Sont-ils à mettre uniquement sur le compte de la période hivernale ?

Matthias Beekmann (directeur de recherche au Laboratoire Interuniversitaire des Systèmes Atmosphériques (LISA), CNRS, Université Paris Est Créteil, Université Paris Diderot)

Ce pic de pollution est lié à une situation météorologique à caractère anticyclonique. Cet anticyclone, dont le centre se situe au-dessus des Alpes, amène une masse d'air d'origine continentale, ce qui explique que toutes ces zones soient touchées en même temps. Puis s'ajoute une dimension locale, comme en attestent les cartes de relevés de pollution, notamment à Paris. A cause de ce contexte anticyclonique, qui provoque une absence de vent et un grand froid, la dispersion verticale et très mauvaise, la pollution restant très proche du sol. Par conséquent, à pollution égale sur l'ensemble de l'année, la météo provoque des pics. Au sol, les sources de pollution pour ces pics de particules fines (d’un diamètre inférieurs de 2.5 micromètres) les plus importantes sont environ à part égale le trafic et l’industrie. Pour les particules de type organique, il se rajoute une source en hiver, qu’on a encore du mal à quantifier avec certitude, c’est la combustion du bois. Il s'agit donc dans l’ensemble d'une pollution anthropique.

Quelles zones sont les plus touchées par la pollution atmosphérique en général ? Quelles activités expliquent ces plus forts niveaux de concentration ?

Matthias Beekmann : Il faut avant tout distinguer deux types de pollutions. D'abord, celle par particules, que nous constatons en ce moment. Elle est beaucoup plus importante en hiver, et au printemps. L'été, la pollution est plus de nature photo-oxydante, à cause d'une intensité plus élevée du rayonnement solaire, qui provoque des réactions chimiques dans l'atmosphère, et entraîne par conséquent des pics d'ozone. Cette pollution ne se voit pas seulement dans les villes, elle concerne de plus larges régions, notamment le Sud-Est, en région PACA.

La pollution par particules concerne surtout la partie nord de la France, et notamment et le Nord-Pas-de-Calais et l’Île-de-France. Pour ne mentionner que cette dernière, il faut savoir qu'environ 70% des particules qui se trouvent dans l'atmosphère sont importées de l'extérieur : elles ne sont pas émises sur place.

Quelles évolutions constate-t-on en matière de pollution atmosphérique ? Globalement, a-t-on effectué des progrès, et quels efforts reste-t-il à fournir ?

Matthias Beekmann : En ce qui concerne la pollution à l'ozone, on constate que les pics ont baissé en intensité, car les précurseurs (les gaz) ont eux-mêmes diminué. En revanche les valeurs de fond restent inchangées : les concentrations n'ont cessé de monter jusque dans les années 90, pour ensuite se stabiliser. A une échelle très globale, on constate un phénomène de compensation : les émissions responsables de cette pollution à l'ozone ont baissé en Europe et aux Etats-Unis, alors qu'ils ont augmenté dans les pays asiatiques.

Pour ce qui est des particules, on constate une tendance globale à la baisse depuis quelques décennies, qui est logiquement liée à une baisse des émissions en Europe. En revanche, pour reprendre l'exemple de Paris, les niveaux de particules ne baissent pas dans l'atmosphère depuis 10 ans malgré une baisse des émissions. En fait, les liens entre émissions et concentrations sont complexes. Notamment, les mécanismes de formation de nouvelles particules à partir des gaz par condensation sont encore incertains, et font actuellement objet de recherches intenses.

Des efforts importants restent à fournir sur les particules de suie, qui sont la composante chimique la plus mauvaise pour la santé. Ce type de pollution est plus davantage provoquée par les émissions locales (type trafic) que par le transport à longue distance. Mais il s'agit là d'un problème reconnu, des plans sont mis en place, notamment dans les centre-villes, pour réduire les émissions liées au trafic.


Atlantico : Quelles sont les populations les plus exposées à la pollution de l'air ? Les Franciliens sont-ils en première ligne ?


Pierre Souvet (cardiologue, président de l'Association santé environnement - ASEF).

Personne n'échappe à la pollution de l'air. Certains sont tout de même plus sensibles, notamment ceux qui ont déjà des pathologies respiratoires (asthme, insuffisance respiratoire), et les enfants, qui ont souvent un volume d'air inhalé plus important que les adultes. Mais que ce soit à Paris ou ailleurs, l'exposition moyenne pour ces populations sera la même.

Notons que dans les villes la pollution est inhomogène : dans les rues dites "canyon" (hauts immeubles et circulation dense), la concentration sera plus forte. Même si les chiffres sont globaux, on constate des disparités selon les quartiers. Compte tenu des conditions météorologiques favorables à l'accumulation des particules en Île-de-France, les Franciliens se retrouvent indéniablement dans un véritable bocal de polluants issus des pots d'échappement, de l'industrie et du chauffage au bois.


Atlantico : Quelles sont les substances les plus nocives ? Quels sont leurs effets sur la santé ?

Pierre Souvet : Tout le problème, en ce moment, vient des particules, qui sont issues des différentes combustions. Elles ont un effet inflammatoire sur l'arbre respiratoire et sur le système vasculaire. Ce stress oxydatif provoque une exacerbation du phénomène respiratoire : asthme, ou poussée d'insuffisance respiratoire. Sur le plan coronaire, en cas de pic de pollution, on constate un doublement, voire un triplement du risque d'infarctus. Sur le long terme on constate une augmentation des maladies coronariennes et vasculaires (de 15 à 30%), des pathologies respiratoires (15 à 30%) et des phénomènes cancérigènes. Car il faut savoir que ces particules sont de véritables "cheval de Troie" sur lesquels se déposent les produits toxiques qui sont dans l'air : métaux lourds, allergènes et pesticides. L'oxyde d'azote, qui est souvent lié aux particules, provoque une inflammation et une accentuation des phénomènes irritatifs : yeux qui coulent, le nez et la gorge qui grattent, et des toux. L'ozone, qui est estival, provoque des gènes respiratoires également, mais surtout des irritations.

Quels sont les chiffres de la mortalité en lien avec la pollution ? Constate-t-on un développement des maladies respiratoires ?
Pierre Souvet : Plus que les périodes aiguës ponctuelles, c'est la chronicité de la pollution tout au long de l'année qui a des incidences sur la mortalité. A Marseille et à Paris on relève une diminution de 7 à 8 mois de l'espérance de vie par rapport à la référence de Stockholm, dont le taux est celui qui est préconisé par l'Observatoire mondial de la santé (10 microgrammes de particules fines par m3, contre 17 ou 18 pour Paris et Marseille en moyenne). Le coût estimé par la dernière étude européenne se situe entre 20 et 30 milliards d'euros par an (traitement médical, journées de travail et perte de vie compris). Sans nul doute, l'intoxication chronique est beaucoup plus problématique que la toxicité aiguë, même si cette dernière a un effet choc, beaucoup plus ressenti par les personnes.

Ajoutons que nous ne sommes pas très cohérents en ce qui concerne la lutte contre la pollution de l'air. Nous devrions en effet accélérer le processus de limitation de chauffage au bois à l'ancienne, qui dégage beaucoup de particules et dont la valeur énergétique est faible, et limiter la circulation automobile. Tout cela à condition de disposer d'une alternative. Sauf que si on augmente la TVA des transports en commun, cela ne va pas dans le bon sens. Le bonus malus sur les voitures, quant à lui, est basé sur le CO2 mais ignore totalement l'aspect particulaire : une petite voiture diesel sans filtre à particules pourra avoir un bonus…

Atlantico : Selon la mairie de Paris, en dix ans la pollution de l'air a fortement baissé. La politique menée par la municipalité consistant à restreindre les zones de circulation y est-elle pour quelque chose ? Pourquoi ?


Serge Federbusch : Il s’agit d’une opération de com’ et d’intoxication de la mairie à des fins électoralistes destinée à masquer son échec sur cette question.

L’astuce consiste, comme toujours, à mélanger les calculs et les concepts. Ainsi, quand la ville mentionne que la baisse de la pollution est due « à la fois aux aménagements, aux nouvelles appliquées aux véhicules et à, l’usage des transports en commun», elle escamote la part respective de ces facteurs.

En réalité, la baisse de la pollution à Paris relevée par l’organisme Airparif et vantée par la mairie (essentiellement moins 32% d’oxyde d’azote de 2002 à 2007, dont 6% seraient attribuables aux modifications de conditions de circulation) serait plus importante sans les politiques néfastes mises en oeuvre. Le trafic de voitures particulières a baissé de 15 % et, concomitamment, du fait des améliorations techniques apportées aux moteurs et aux carburants, l’ensemble des émissions des véhicules privés a baissé de 54 %. Alors, comment est-il possible que l’amélioration globale ne soit que de 32 % ?

Sans la politique "delanoiste" et à trafic égal, nous aurions pu sur ce critère améliorer la qualité de l’air de 54% au lieu de 32%, du seul fait des nouvelles motorisations et carburants.


Atlantico : Qu'est-ce qui n'a pas fonctionné dans le dispositif mis en place par la municipalité sur cette période ? Concrètement, de quoi faudrait-il se débarrasser ?


Serge Federbusch : Pourquoi cet échec ? La très sérieuse Société de mathématique a modélisé l’impact dû au ralentissement de la circulation automobile sur la pollution. La science rejoint ainsi le sens commun : « Les émissions de CO2 dues aux véhicules particuliers (et, plus généralement, aux transports) sont devenues une préoccupation pour de nombreuses municipalités ; le remède proposé passe souvent par une réduction de la vitesse autorisée. Cette façon de voir est en apparence légitime : moins un moteur tourne vite, moins il consomme de carburant et donc moins il émet de CO2. Mais, en réalité, elle recèle une faute de logique : si les véhicules vont moins vite, ils restent plus longtemps dans chaque artère.

Or ce sont les émissions par artère qui intéressent les riverains et la municipalité ; elles ne diminuent nullement avec la vitesse. Nous prenons ici l'exemple de la Voie Georges Pompidou à Paris : à 50 km/h, pour un trafic régulier, les émissions sont de l'ordre de 7,2 tonnes de CO2 par heure ; à 40 km/h, elles seraient de 8 tonnes de CO2 par heure : cette réduction de vitesse se traduit, pour une artère donnée, par une augmentation de plus de 10 % des émissions.» De plus, les effets de report de la circulation sont catastrophiques et évidemment dissimulés par la mairie.

Ainsi, M. Jean-Claude Aron, président d’une association de riverains des 10e et 9e arrondissements, a dû batailler longuement pour obtenir d’Airparif les relevés de pollution au carrefour Lafayette /Magenta, haut lieu des méfaits delanoistes. La moyenne annuelle en dioxyde d’azote en 2002 était de l’ordre de 75 µg/m3 et en 2010 de l’ordre de 80 µg/m3 soit une différence de l’ordre de 5% (l’objectif annuel de qualité de 40 µg/m3 devenu une valeur limite en 2010 était dépassé).

La moyenne annuelle en particules PM10 en 2002 comme en 2010 était de l’ordre de 40 µg/m3 (40 µg/m3 étant la valeur limite à ne pas dépasser), enfin la moyenne en benzène de l’ordre de 8 µg/m3 en 2002 était deux fois plus faible en 2010 (l’objectif de qualité de 2 µg/m3 était dépassé, la valeur limite de 5 µg/m3 était dépassée en 2002).

Ainsi donc, pour deux des trois principaux polluants, les objectifs sont loin d'être atteints et il y a même une augmentation du simple au double pour le pire polluant, le dioxyde d'azote ! Comme échec, il n'y a pas mieux. Cela n'empêche pas à la "Voix de son maire"® de répéter en boucle, à chaque fois que le sujet revient sur le tapis, que sa politique est un succès et qu'elle est inspirée par le souci de la santé des Parisiens.


Atlantico : Quelles solutions mettre en place pour fluidifier la circulation et en même temps préserver la qualité de l'air parisien ? D'autres grandes villes peuvent-elles servir d'exemple ?

Serge Federbusch : D'abord un grand bravo à Delanoë et Hidalgo : leur politique a permis à Paris d'être classée deuxième en France pour les embouteillages, juste derrière Marseille. Et encore, sur certains critères, Paris est plus mal loti : 155 heures cumulées perdues par automobiliste et par an contre 117 en 2012 à Marseille car la circulation parisienne est difficile à toute heure de la journée et pas seulement aux seules périodes de pointe du matin et du soir, comme c’est le cas dans la cité phocéenne.

Autre énorme différence entre ces deux villes : Marseille n'a pas gaspillé des milliards d'euros pour soi-disant réduire la circulation et la pollution à grands coup d'opérations de com' et de travaux ineptes depuis 12 ans.

Pour reprendre l’exemple cité plus haut, la pollution par le NO2 (dioxyde), qui est représentative de la pollution automobile a diminué de 17% dans Paris et de 75 % dans l’ensemble du réseau routier français, mais augmenté de 5% au carrefour Lafayette Magenta avec des niveaux qui sont le double des teneurs moyennes qui, elles, sont un peu supérieures aux normes.

Deux constats terribles : la pollution a diminué trois fois plus vite en France entière qu'à Paris et elle a augmenté sur les axes civilisés chers à Delanoë & Co. Il faut donc d’urgence re-fluidifier le trafic en revoyant les aménagements «embouteillagènes» décidés par la municipalité. Les boulevards sectionnés en lanières sont devenus des chausse-trappes à véhicules.

Mais cela ne suffira pas. Pour réduire la pression automobile, trois solutions : améliorer les transports collectifs notamment souterrains, augmenter l’offre de taxis en supprimant le numerus clausus et instaurer un péage urbain qui permettra de financer le développement du réseau public. Il faudra que ces trois politiques soient articulées : la mise en place de la tarification à l’entrée de Paris doit être concomitante de solutions de stationnement et de dessertes du centre par le métro qui soient satisfaisantes pour les entrants. Sur ces points politiquement ultra-sensibles, seul un referendum municipal pourra donner aux élus la légitimité d’affronter les lobbies et corporations en tout genre.

Hélas, à l’heure actuelle, aucun discours de vérité n’est tenu par les deux candidates du système. Hidalgo et NKM, par démagogie, refusent ainsi le péage urbain et se contentent de parler des bus au diésel pour éviter d’aborder les sujets 100 fois plus importants en terme de pollution.