L’Europe à compte d’auteur

Publié le 02 décembre 2013 par Oz

POUR EUX, pas de course d’obstacles. Pas de comités de lecture, de lettres de refus, de retours à l’envoyeur. Pas d’attentes vaines ni d’espoirs déçus. Ils sont auteurs mais n’ont pas emprunté les chemins habituels : ils se sont autoédités. Grâce au Net, chacun peut faire imprimer à la demande et vendre son livre. A moindre frais : chez l’éditeur allemand Books on Demand (BoD), leader européen de la publication numérique, la formule basique avec attribution d’un ISBN – ce numéro qui permet d’identifier chaque livre publié – et référencement auprès des principaux distributeurs français coûte par exemple 39 euros à l’auteur. Qui se verra reverser 50 % du prix de vente public hors taxe.

Une formule sans surprise, mais non sans émotion : 72 % de ces auteurs décrivent l’instant où ils ont pour la première fois tenu leur livre en main comme « le meilleur moment » de l’entreprise. C’est ce que révèle une enquête réalisée par l’Ecole supérieure de management appliqué d’Erding (Allemagne) auprès 1 748 des quelque 25 000 auteurs de BoD, issus de sept pays (France, Danemark, Allemagne, Finlande, Autriche, Suède et Suisse). Ses conclusions devaient être révélées le 21 novembre dans l’après-midi.

Spécificités françaises

L’étude « ne permet pas de dessiner un profil type », constate Noémie Derhan, responsable chez BoD du marché français. Ainsi, en Finlande, où le simple fait d’écrire assure un certain prestige, de nombreux jeunes auteurs en quête de reconnaissance se lancent dans l’aventure. En France, à l’inverse, l’autoédition est encore loin d’avoir acquis ses lettres de noblesse. Le prestige reste du côté de la tradition et des grandes maisons.

Autre spécificité de notre pays : 86 % des auteurs français de BoD ont publié leur premier texte grâce à cette plate-forme, contre 68,6 % dans l’ensemble des pays concernés par l’enquête. Et 41,8 % des auteurs français autoédités – contre 34,2 % au niveau continental – n’ont pas cherché à passer par un éditeur traditionnel, sachant à quel point la mission est impossible : les maisons d’édition rejettent 98 % des écrits reçus par la poste.

Si l’on prend en compte les sept pays, 33 % des auteurs n’en sont pas moins parvenus à se faire éditer également par une maison d’édition classique. S’ils viennent ou reviennent au numérique, c’est parce qu’ils y « trouvent du plaisir » (65,3 %) et que l’écriture est avant tout « un loisir » (61,3 %, et 84 % en Finlande). Des notions manifestement plus abstraites en France, où seuls 50 % des auteurs les citent. Il est vrai que les auteurs français badinent peut-être un peu moins avec l’écriture : presque un tiers d’entre eux affichent plus de quatre ouvrages dans leur bibliographie, et 37 % déclarent y travailler plus de dix heures par semaine (contre 31 % au niveau des sept pays et 15 % en Suède). A noter encore : les auteurs suisses sont ceux qui dépensent le plus en prestations de services complémentaires (conception de la couverture, relecture, marketing…) : 55 % d’entre eux déboursent plus de 200 euros, contre 15 % seulement des auteurs français. Reflets de crise.

Guides pratiques (32 %), littérature générale (30,8 %) et ouvrages spécialisés (27,3 %) ont les faveurs de la publication numérique. Mais là encore, les disparités sont importantes. Au Danemark, les guides pratiques sont majoritaires (54,1 %), tandis qu’en France, les romans (29,5 %) sont devancés par les ouvrages spécialisés (31,6 %). En Finlande, au contraire, la fiction (44,1 %) et la poésie (33,3 %) occupent le dessus de la pile. En France, la poésie témoigne d’une belle vivacité, représentant 26,3 % des publications.

S’ils ne rêvent pas de prix littéraires, ces auteurs ont leurs propres critères de réussite. Les Autrichiens et les Danois mesurent leur succès aux retours directs de leurs lecteurs, tandis que 39 % de l’ensemble des auteurs interrogés préfèrent se fier au nombre d’exemplaires vendus. Puisque l’édition traditionnelle n’hésite pas à puiser dans le vivier numérique pour trouver de nouvelles histoires et de nouveaux talents, chacun pourra caresser l’espoir d’une carrière d’auteur à succès. Chez BoD, quelques titres ont déjà figuré parmi les best-sellers. Ainsi, Lucy avec c, roman de vulgarisation scientifique signé du physicien Markolf H. Niemz, s’est vendu, en 2006, à 20 000 exemplaires en moins de trois mois.

Olivier ZILBERTIN

(Article publlié dans Le Monde des Livres daté du 22 novembre 2013)