Le pouvoir absolu

Publié le 20 décembre 2013 par Lana

Les images du centre de Lampedusa, je ne peux pas les regarder. Les récits des crimes des policiers ayant torturé et humilié des SDF à Bruxelles, je ne peux pas les entendre. C’est physique. Ca m’anéanti, ça atteint mon humanité et mon sentiment de sécurité. Je ressens physiquement à quel point le monde est dangereux. Le pouvoir absolu, je ne peux pas le supporter. Je suis toujours hantée par les images d’Abou Ghraïb. J’ai quasiment une réaction de panique quand je vois une photo tirée du reportage d’Arte sur Sainte-Anne.

Alors, il y a des moments où je ne peux plus rien lire sur la psychiatrie. Je n’alimente plus beaucoup la catégorie des actualités de ce blog parce que c’est au-dessus de mes forces. 

Je ne dis pas que la psychiatrie est équivalente à Abou Ghraïb, qu’on s’entende bien. Mais je dis que le pouvoir absolu est présent en psychiatrie, pas tout le temps, pas toujours, mais son ombre plane toujours.

Premièrement, parce que l’hôpital psychiatrique (et c’est bien ce dont je parle ici quand je dis psychiatrie) est une institution, et qu’une institution ça se base sur la négation de l’individu. Il faut faire marcher l’institution, respecter ses règles, et pour cela, le plus simple, le plus rapide, c’est d’exiger des individus qu’ils s’oublient. Pour justifier le port des uniformes dans l’hôpital où j’ai séjourné, une infirmière m’a dit "Comme ça, on est tous pareils". Tout était dit.  Même vêtements, mêmes horaires, mêmes activités, mêmes pensées. Pas de différences, pas de critiques, pas d’espoirs personnels, pas d"originalité, pas de fantaisie. Ca, c’est l’institution. Et celui qui voudra s’y opposer ferait bien de savoir à quoi il s’attaque et s’il est prêt à en payer le prix. Adolescente dans une école religieuse, externe, c’était plutôt drôle, le prix à payer était le mépris des dirigeants et une réputation salie. Ca en valait la peine. A l’hôpital, j’ai choisi de dire ce qu’il fallait, parce que le prix à payer était trop lourd, parce que je me battais contre bien plus fort que moi, parce que je ne voulais pas y perdre ma liberté ni laisser mon esprit s’enfoncer dans les brumes des neuroleptiques trop fortement dosés.

Deuxièmement, ce qui fait que le pouvoir absolu est présent en psychiatrie, c’est l’absence effective de droits des personnes souffrant de maladies mentales. Oh, je sais bien que sur papier nous avons des droits. Mais ceux-ci sont bafoués régulièrement, en misant sur l’ignorance du patient, en utilisant même la menace à l’occasion, ou la punition. Ensuite, ces droits ne sont que très relatifs puisqu’ils sont la plupart du temps suivi de la mention "sauf en cas d’urgence". En clair, des droits nous n’en avons pas beaucoup et on peut nous les enlever à tout moment. Par exemple, si vous êtes en hospitalisation libre, vous avez le droit de refuser un traitement. Personne ne vous le dit, donc vous avez intérêt à être bien renseigné avant. Mais si vous demandez ce droit, on peut changer votre régime d’hospitalisation afin de vous imposer votre traitement. Donc, finalement, vous avez juste le droit d’être d’accord avec ce qu’on vous dit de faire. Si ça ne ressemble pas à du pouvoir absolu, je ne sais pas ce que c’est.

Ce pouvoir absolu d’êtres humains sur d’autres êtres humains, je ne le supporte pas, y compris sous couvert de bienveillance. La malveillance, le plaisir de faire souffrir, la plupart des gens les trouvent insupportables. Je ne veux pas le comprendre et ne le comprendrai jamais. La bienveillance qui ne veut rien écouter, qui broie les êtres humains, elle est tout aussi insupportable, car quand on veut la remettre en question, on est face à un mur, face à quelqu’un qui veut croire qu’il sait mieux que l’autre ce qui est bon pour lui. Les deux broient les êtres, et c’est en cela que les institutions punitives et les institutions soignantes, éducatives, etc peuvent se rejoindre, dans la négation de l’autre.

Voilà pourquoi par moment je ne peux plus rien lire sur la psychiatrie que j’ai connue, parce que mon coeur s’emballe, parce que je tremble, parce que je pleure, parce que je me souviens de ce pouvoir absolu, ou de son ombre, son ombre qui annonce les plus grands dangers, la vulnérabilité d’une personne sans défense face à une institution qui a tous les pouvoirs.


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