D'un coté le pur bonheur, saisi dans son instantanéité. De l'autre le paradis factice, et le rêve imposé.
Il exerçait deux métiers. L'homme public était photographe de mode, acceptant des travaux alimentaires pour faire vivre sa famille. L'homme privé pratiquait, presque en amateur, une sorte d'anthropologie des éreintés.
Il a toute sa vie été tiraillé entre le désir, non pas de s'élever socialement mais de vivre dans des lieux d'exception. Et c'est en l'écoutant parler de son métier que j'ai compris le message que son oeuvre nous transmet.
Il aurait voulu vivre la vie de château. Pas pour se la couler douce. On le constate dans les clichés qu'il a faits à Palm Spring en 1060. Le luxe y est au mieux kitchissime, au pire ridicule. Même le milliardaire le plus digne, celui du Miroir de la salle de bains, suinte le désœuvrement, la vacuité ...
Quand il parlait de sa jeunesse, Robert Doisneau estimait qu'il n'avait pas eu l'enfance qu'il méritait. Du coup il avait envie que les choses changent pour tous ceux qu'il désignait sous l'expression des éreintés de la vie.
Alors, inlassablement, dès qu'il parvenait à se libérer de ses obligations alimentaires, il partait à la recherche des sans logis, des anciens taulards, des tatoués, des souteneurs, des prostituées... qu'ils appelaient les infirmières de l'amour. C'était le plus souvent le soir. Il pouvait attendre des heures s'il le fallait que se présente le bon moment pour immortaliser l’aura des petites gens. C'était tout ce qu'il pensait pouvoir faire et c'était déjà quelque chose.
Jamais Robert Doisneau n'a volé une âme. Il revenait le lendemain dans le bar où il avait fait des photos la veille pour déposer un tirage à l'attention des héros anonymes, comme on dit aujourd'hui. La légende des clichés indiquait toujours leur prénom ou leur nom.
Il préférait travailler en solitaire, un peu en cachette, et sans demander d'autorisation pour officier dans les lieux publics. C'est en n'ayant pas de témoin qu'il pouvait réaliser les meilleurs clichés. Il délimitait un cadre, qu'il nommait "mon petit théâtre" et il attendait que les gens viennent se mettre dedans, un peu comme l'araignée guette ses proies. Jacques Prévert avait sa propre formule : Robert installait son miroir à alouettes, sa piégerie de braconnier.
Il pouvait ainsi patienter deux heures jusqu'à ce que la fatigue le pousse à songer à abandonner la planque ... En général il patientait encore quelques secondes et la malice voulait qu'alors il se passe quelque chose, faisant coïncider le cadre et la scène.
S'il affirme avoir travaillé seul, il eut toutefois des poissons pilote pour le guider dans ses pérégrinations et il fit des livres avec chacun d'eux. Robert Giraud, son compagnon explorateur des zincs, Blaise Cendras, qu'il rencontra à Aix-en-Provence et qu'il surnommait le menhir, Jacques Prévert qui lui fit découvrir le Canal Saint-Martin, un quartier qu'il trouva exotique comparativement à la banlieue sud. Il fut fasciné par les engrenages des "roues de la fortune" du Pont de Crimée.
Les formules de Jacques Prévert le ravissaient. Il adora courir avec lui dans les rues avec un manteau de fou rire. Il l'approuvait quand il lui faisait remarquer que les quartiers les plus pauvres ont les plus jolis noms. Il l'admirait pour son irrespect nécessaire.
Le choix des clichés témoigne du goût du photographe pour les plans d'ensemble et en plongée, ce qui provoque un effet mélancolique, voire dramatique. Ci-dessous Le lancer de tracts (1944).
Amené à faire le bilan de son oeuvre Robert Doisneau estimait qu'il n'avait qu'égratigné certains sujets. Il a regretté de n'avoir pas témoigné sur les conditions de vie des mineurs, des pêcheurs, d'avoir effleuré celles des ouvriers. Il travaillera pour Renault 5 ans à partir de 1934, à une époque où il n'y avait ni garages à vélo, ni douches (les visages sont très noircis de poussière) et où le cadre de travail était encore médiéval.
Il devait photographier les chaînes de montage et ce travail ne le réjouissait pas. Curieusement il appréciait de s'évader avec quelques dactylos en les faisant jouer les actrices dans les lieux à la mode du Bois de Boulogne pour en ramener des clichés publicitaires.
Finalement Robert Doisneau a toujours été tiraillé entre deux mondes.
Palm Springs photographiés comme une banlieueDepuis l’après guerre Robert Doisneau a travaillé régulièrement avec la presse américaine, le New York Times, Life ou Fortune. Ses images sont également entrées au Musée. En 1948 il a participé à une exposition sur la photographie française à New York avec Edouard Boubat, André Papillon, Willy Ronis. En 1951 c’est au prestigieux MoMA de New York qu’il est exposé en compagnie de Brassai, Willy Ronis, Henri Cartier-Bresson et Izis.
Ce n'est pourtant que
le 19 novembre 1960, qu'il va traverser l’Atlantique pour réaliser un reportage pour le magazine Fortune. Thème du reportage : la construction de golfs à Palm Springs, refuge des riches retraités américains dans le désert du Colorado.Il est probable que s'il avait continué à employer du noir et blanc le coté artificiel de ce paradis n'aurait pas eu la même intensité.
Trente tirages de cette série réalisés sous diasec ou contrecollés sur dibon à la manière de la photographie la plus contemporaine sont accrochés sur des murs repeints en rose vif pour l'occasion et pour faire contraste avec la centaine de photos des salles précédentes.
Doisneau sombre et invisibleLa sélection de 100 épreuves originales noir et blanc, intitulée "Du métier à l’œuvre", a été créée en 2010, pour la Fondation Henri Cartier Bresson sous le commissariat d’Agnès Sire. Choisies parmi les trésors de l’Atelier Robert Doisneau, ces images ont été réalisées entre 1930 et 1966, à Paris et dans sa banlieue.
... humaniste et ... facétieux aussiL'homme discret qui se montrait si peu a émis ses compétences de graveur au service de la Résistance en faisant de nombreux faux papiers. Il était aussi capable de beaucoup d'humour comme en témoigne le montage ci-dessous (1962), posé sous vitrine à coté du Baiser.
Campredon est un centre d'art tourné vers l'art contemporain. On a pu y voir les peintures d'Hervé Di Rosa, les oeuvres d'Anne et Patrick Poirier. Parmi les 3 expositions annuelles il y a systématiquement un accrochage de photographies. Sarah Moon, Denis Brihat, Henriette Grindat ont ainsi précédé Robert Doisneau avec cette exposition qui fut inaugurée à la Fondation Cartier.
Les plans en furent commandés à Esprit Joseph Brun, appelé aussi Brun Cadet, devenu en 1736 le gendre de Jean-Baptiste Franque. Architecte l’islois de très grande qualité, on lui doit de nombreuses réalisations à L’Isle-sur-la-Sorgue, mais aussi à Aix-en-Provence et à Marseille dont le château Borely.
Robert Doisneau, Du métier à l'œuvre // Palm Springs, 1960Exposition du 26 Octobre 2013 au 8 Février 2014
Autour de l'exposition :- Projection à l'auditorium du film de Patrick JEUDY, « Robert Doisneau, tout simplement » (67')- Ateliers photo, animés par Christine Cornillet, les samedis 16, 23, 30 novembre et 7 décembre à 10h00- Visites pour les scolaires le jeudi à partir du 14 novembre à 9h, 10h, 14h et 15h- Visite enseignants le mercredi 6 novembre à 14h- Visite guidée les samedis 9 novembre et 7 décembre 2013 ; 11, 18, 25 janvier 2014 à 15h00
Campredon Centre d'art, 20, rue du Docteur TalletBP 50038 – 84801 L'Isle-sur-la-Sorgue cedex 01Tél. 04 90 38 17 41www.islesurlasorgue.fr/campredon.html