Entretien avec Stéphane Réthoré, réalisateur

Par Vance @Great_Wenceslas

Nous avons eu l'opportunité d'interviewer Stéphane Réthoré, il nous parle de la concrétisation de son projet [lire par ailleurs la critique de son court-métrage 300 000 km/s ].

Comment vous est venue l'idée de réaliser un court-métrage orienté SF ? 

J'avais, depuis longtemps, l'envie de raconter une histoire de chasse à l'homme sur fond de voyage dans le temps. 

Je me suis ensuite dit que d'ancrer le film dans une époque passée serait un bon départ.

N'étant pas originaire de Paris (je suis de Nantes), j'ai été frappé, lorsque je suis arrivé ici il y a 4 ans, par une chose : en se baladant la nuit dans certains quartiers, on a vraiment l'impression d'être dans une autre époque.

On peut facilement se projeter quelques dizaines d'années en arrière.

L'ambiance de film noir m'a donc paru parfaitement coller à la ville.

J'ai ensuite lu beaucoup de romans et de nouvelles datant des années 30 à 60, (plutôt américains car c'est un genre qui est plus développé aux Etats-Unis) pour en saisir les codes, le rythme.

Il était important pour moi de me documenter à la source : des récits ayant vraiment été écrits dans ces époques permettent de repérer de petits détails, de mieux ressentir l'ambiance qui existait, mais aussi la mentalité et les enjeux de ces époques.

Puis tout cela a muri et le tout s'est construit assez vite.

On a écrit le scénario à deux avec le romancier Sylvain Blanchot.

Combien de temps vous a-t-il fallu pour concrétiser le projet (de l'idée à maintenant) ?

Longtemps ! Trois ans au total.

Le plus rapide a été l'écriture. J'ai ensuite passé plusieurs semaines à dessiner le storyboard complet du film, et à constituer un dossier détaillé contenant des illustrations de décors et costumes (faites par Camille Corbetto), ainsi qu’un découpage technique très précis destiné en priorité aux chefs de postes (image et son), ainsi que de nombreuses références visuelles : photo, peinture, cinéma...

Y figuraient aussi un petit paragraphe sur chaque personnage, expliquant leur passé, leurs traits de caractère, leurs motivations...

Cette partie a été utile pour le travail avec les comédiens en préparation du tournage.

Ce dossier en mains, j'ai commencé à rechercher une production...

Quelles ont été les principales difficultés auxquelles vous avez dû faire face (financement...) ?

C'est là que tout a ralenti et où tout est devenu compliqué.

Comme pour tout projet, les recherches de financement font partie de la démarche : il faut arriver à vendre son projet de film. Et s'armer de patience car les réponses sont souvent longues... Et négatives !

J'ai donc passé un an à envoyer le dossier et à attendre des réponses et tenter d'obtenir des aides qui ne sont jamais venues.

J'ai donc décidé de changer de stratégie et de lancer une campagne de crowdfunding, pour au moins obtenir la partie du budget nécessaire à lancer le projet. 

L'argent appelant l'argent, un projet qui a déjà une partie du budget récoltée attire souvent plus les investisseurs car il le crédibilise.

Si, au contraire, on n'a pas un rond à mettre dans son propre projet (comme c'était mon cas !), il faut trouver un autre moyen.

Je me suis donc dit qu’il fallait s’adresser directement au futur public du film, et ça a marché : même très bien, car 130 personnes nous ont soutenus et la somme demandée a été obtenue en 12 jours seulement.

On a eu le plus gros démarrage de campagne de financement du site Ulule à ce moment-là.

A partir de quand avez-vous envisagé de poursuivre votre histoire en un long-métrage (avant la mise en chantier du court-métrage, pendant le tournage, pendant la postproduction ? Ou bien le court était d'emblée destiné à être un teaser d'un long voire d'une série TV) ?

C’est arrivé assez vite. Au tout début du projet : l’idée était vraiment d’écrire un court métrage d’une quinzaine de minutes qui se terminerait là. Mais au cours de l’écriture, Sylvain et moi avons très vite senti que le projet avait pas mal de potentiel et que les personnages étaient plus fouillés qu’on ne le pensait à la base. L’univers créé s’est ainsi très vite enrichi de beaucoup d’idées.

On a donc compris que ce court constituerait la première partie d’une histoire plus longue, et avons donc disséminé un peu partout des indices et des bribes d’éléments censés être développés plus tard dans le long.

L’histoire nous a donc devancés en quelques sorte : elle s’est un peu écrite d’elle-même et nous a imposé son propre rythme.

Comment avez-vous convaincu les acteurs de tourner dans ce film ?

C’est allé très vite là aussi. J’ai commencé par contacter Thomas Cousseau (le professeur Lucien Lacroix, personnage principal du film), en lui envoyant le dossier du projet.

Il m’a ensuite rappelé quelques jours après en me disant qu’il avait adoré l’univers et qu’il n’avait pas pu décrocher à la lecture du scénario !

On s’est ensuite rencontré dans un café pour discuter de l’univers du film et surtout de son personnage.

Pour Dominique Daguier, je suis allé le voir jouer au théâtre et l’ai attendu à la sortie des artistes sous la pluie avec mon dossier sous le bras.

Il m’a dit qu’il le lirait et qu’il me rappellerait pour me donner sa réponse.

Après quelques semaines d’attente, un coup de fil : « Bonjour c’est Dominique Daguier. J’ai bien lu votre dossier… Je vais le faire. »

Puis pareil : on s’est rencontrés pour parler plus en détail du projet en général ainsi que de son personnage.

Pour Jérôme Boyer, Jean-Marc Cozic et Jawad Enejjaz : je suis passé par Facebook dans un premier temps, et une fois le dossier envoyé et quelques messages échangés, une rencontre a eu lieu pour chacun.

[…] Il était évident qu’ils étaient parfaits pour leur rôle.

Comment les avez-vous choisis ?

Après l’écriture du scénario et avoir dessiné le storyboard, j’ai beaucoup relu le tout. Des types de visages, de physiques commençaient alors à apparaître dans ma tête sans que ça soit toutefois encore très précis.

Et puis en tombant sur des photos ou des séries TV, des films : j’ai reconnu les personnages du film. C’était assez mystique : comme si c’étaient eux depuis le départ.

Pour Thomas Cousseau c’était en voyant un épisode de Kaamelott sur M6, pour Dominique Daguier un épisode d’Engrenages sur Canal+, pour Jérôme Boyer, c’était Mesrine de JF Richet, pour Jawad Enejjaz : Mammuth de G. Kervern. Enfin pour Jean-Marc Cozic, ça s’est passé plutôt sur photos.

En quelques jours j’avais donc les 5 comédiens en tête.

 

Quelles ont été vos principales sources d'inspirations (BD, films...) ?

Il y en a énormément. Tellement que je ne saurais pas toutes les citer.

C’est avant tout une accumulation d’œuvres, sans doute inconsciente pour la plupart. Ayant passé des années à découvrir tout ce qui était à portée de main : le cinéma par la TV (j’ai passé mon enfance dans une petite ville de campagne sans cinéma ni vidéoclub, autant vous dire que le magnétoscope tournait à plein régime !), la BD aussi bien sûr, puis la littérature, mais aussi la peinture, la photographie, le jeu vidéo. Sans oublier la musique, les références sont plutôt variées.

Pour le cinéma, si je devais citer quelques réalisateurs qui ont sans doute influencé ce projet par leur travail, sans ordre de préférence :

Frankenheimer, Carpenter, Noé, Scorsese, De Palma, Gilliam, Truffaut, Amenabar, Scott (les 2), Spielberg, Kubrick, Lynch, Burton, Niccol, Curtiz, Mac Tiernan, Leone, Penn (père et fils), Hitchcock, Franju, Wilder, Stone, Blier, Lumet, Cameron, Tati, Tavernier, Kitano, Lucas, Refn, Aldrich, Gondry, Welles, Proyas, Woo, Coppola, Peckinpah, Grangier, Fincher, Mann (père et fils), Marker, Tarkovski, Friedkin, Audiard (fils), Soderberg, Lang, Cohen Bros, Romero, Polanski, Verneuil, Hawks, Renoir, Ray, Cassavetes, Chaplin, Aronofsky, Zemeckis, Dante, Verhoeven, Godard (mais pas tout), Antonioni, Jarmush, Lee, Jonze, Tourneur, Kurosawa, Fassbinder, Fellini (mais pas tout), Capra, Fuqua, Miyazaki, Forman, Lean, Allen, Raimi, Lasseter, Bird, Landis, Nolan, Wise, Demme, Mendes, Edwards, Altman.

Et j’ai dû en oublier quelques-uns… 

En littérature, toujours sans ordre de préférence : Verne, Dick, Bradbury, Asimov, Silverberg, Andrevon, Bordage, Sheckley, Wells, Crichton, King, Finney, Clarke, Barjavel, Manchette

Le jeu vidéo aussi : surtout Heavy Rain et L.A Noire.

Mais la référence majeure pour le court métrage était la série TV des années 60 : The Twilight Zone (« La Quatrième Dimension »).

Je me suis refait l’intégrale de la série ; avec le recul c’est incroyable de voir que tout y était déjà : que ce soit par ses thèmes, son style d’écriture ou par ses styles de mise en scène, elle a posé les bases du cinéma contemporain.

On ne remerciera jamais assez Rod Serling, l’auteur de cette série mythique d’avoir si bien ouvert la voie vers tout ce que nous avons pu connaître ensuite.

Pour la BD, on m’a dit plusieurs fois que le film faisait penser à l’univers de Blake et Mortimer et Tintin.

Pour Tintin, je suis plutôt d’accord. C’est d’ailleurs très flatteur !

Au niveau de l’image, les références de peinture lorgnaient plutôt du côté de Hopper, Rambrandt,  De La Tour

Et pour ce qui est de la photographie, c’était plutôt les travaux de Brassaï et René Jacques.

 

Votre avis sur la SF en France ?

Vaste question. Tout comme le film de genre en général en France, il y a une différence entre ce que le public veut voir et les moyens qui y sont consacrés. Le public français veut voir de la SF et du film de genre. Seulement les rares tentatives de long-métrages de genre français sont tuées dans l’œuf par le manque de crédit qui y est attribué.

Arriver avec un projet de film de genre, ça fait sourire. Comme si ce n’était pas vraiment le cinéma qu’on pouvait faire ici, que ça n’était pas crédible.

Pourtant rien ne l’empêche.

Le cinéma français est depuis longtemps en train de s’endormir.

On a l’impression chaque semaine de voir sortir les mêmes films, avec les mêmes acteurs, et parfois les mêmes affiches !

Certains producteurs n’y croient pas, ils font donc quelques tests de temps en temps en donnant un micro budget à un film de genre.

Les conditions étant limite précaires pour minimiser la prise de risque, les films se plantent et ne font pas d’entrées. Résultat : il est encore plus difficile de monter de nouveaux projets.

Ca se mord la queue : une partie du public français ne va donc plus voir de films de genre français car ils se sont « faits avoir » trop de fois auparavant.

Il y a eu par le passé des gens comme Christophe Gans avec son Pacte des loups. Ca avait sacrément de la gueule. Lui a eu le courage de proposer ce projet ambitieux, et ses producteurs ont compris qu’il fallait que ça se fasse dans de bonnes conditions. Résultat : un film tourné en France et en français, et qui a cartonné partout dans le monde. Pari gagné.

C’était il y a plus de dix ans. D’autres réalisateurs ont poursuivi ça en livrant des films de qualité mais à plus petit budgets, comme Pascal Laugier, Xavier Gens, Fabrice Du Weltz, Eric Vallette, Yannick Dahan, et j’en passe !

Mais ce, au prix de combats acharnés contre les a priori qu’a le milieu du ciné français.

Je pense que le cinéma français devient de moins en moins varié.

Et je trouve ça dangereux…

Pour poursuivre sur la question, je conseille à tous l’excellent documentaire Viande d’Origine Française de Tristan Schulmann (cliquez sur le lien pour le visionner).

 

Avez-vous une idée précise sur la suite des événements relatés dans le court ? (Vous pouvez nous parler des indices disséminés ?)

Très précise oui ! Même si la continuité dialoguée est encore en cours d’écriture à l’heure actuelle, tout est déjà très structuré.

Si le projet de long réussit à voir le jour, les spectateurs qui auront vu le court-métrage avant se rendront compte que plein de petites choses importantes étaient déjà en place. Je ne peux pas trop en parler maintenant sans risquer de révéler des choses importantes, je peux juste vous dire que plusieurs époques seront abordées et que l’Histoire du 20esiècle y sera directement liée… Voilà, rien d’autre !

L’écriture d’un scénario comprenant du voyage dans le temps peut vite devenir très complexe. C’est pour cela que l’on a privilégié une structure solide avant de se lancer dans l’écriture de scènes à proprement parlé. Car si on se rend compte trop tard qu’un élément n’est pas à la bonne place, tout peut s’effondrer.

Lorsque l'on réalise un tel projet, y a-t-il une place à l'improvisation ? Ou au contraire vous avez souhaité ne pas vous écarter du scénario ?

Pour rejoindre un peu la question d’avant : non pas vraiment.

Les contraintes de temps sur le tournage d’un court-métrage étant tellement énormes, en plus d’un nombre de plans à tourner assez élevé pour ce film,  il ne reste pas vraiment le temps de remettre la moindre chose en question.

C’est pour cela que la préparation a été longue. Tout devait être parfaitement huilé. Sur un film d’époque, qui plus est, où chaque détail est très important, pas le droit à l’erreur.

L’improvisation est quand même inévitable sur un tournage, mais plutôt au niveau du découpage. Car au moindre retard il faut pouvoir faire sauter des plans, repenser le découpage, s’adapter continuellement et également se décider très rapidement. On a par exemple eu des tempêtes de neige pile au moment où on allait tourner certains plans : dans ce cas il faut se décider vite et bien !

Quel avenir pour votre court ? Festival ?

Oui, il est parti dans plusieurs festivals nationaux et internationaux.

Rien de gagné mais on espère au moins obtenir quelques sélections, j’ai hâte de savoir ce qu’en pense le public d’autres pays !

Nous tenons à remercier Stéphane Réthoré pour avoir bien voulu répondre à nos questions. ©Photos : Camille Corbetto.