Jean Rustin, à corps perdu

Publié le 25 décembre 2013 par Pantalaskas @chapeau_noir

L'oeuvre Janus

Le peintre Jean Rustin est mort le 24 décembre dernier à Paris.  Chaque vie de peintre est unique et celle de Jean Rustin présente deux visages. Il y a, en effet, deux vies dans le cheminement de ce peintre. Les années 1950 et 1960 ouvrent, chez lui, une période de l'abstraction lyrique, joyeuse.

Sans titre 1964 Jean Rustin

Les couleurs sont vives, il ressort de cette production un sentiment de légèreté et de gaieté. Ses débuts sont vraisemblablement influencés par la peinture abstraite dominante alors à Paris et par le groupe Cobra. C'est d'ailleurs le succès qui accompagne cette créativité. Une importante rétrospective de cent soixante toiles organisée par Pierre Gaudibert, au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris en 1971, peut apparaître comme l' apogée de cette première orientation  brillante. Jean Rustin, loin d'être heureux de cette consécration, est bouleversé par la vision de l’ensemble de ses oeuvres qu’il juge dès lors «trop belles», «trop faciles».
" J'en avais assez de faire un chef-d'œuvre chaque matin" m'expliquait-il il y a tout juste dix ans.

A corps perdu

Pour lui, une rupture s'imposait. Ceci n'est pas nouveau chez les artistes et notamment chez les peintres. Mais dans son cas, cette rupture prend l'aspect d'un retournement complet du travail.  Rencontrant, par l'intermédiaire de son épouse, le milieu médical de la psychiatrie, Jean Rustin abandonne totalement cette abstraction pour se jeter à corps perdu dans une figuration où les corps nus s'exhibent dans une atmosphère étouffante.

"Je me rappelle très bien, déclarait-il, qu’en 1971, quand j’ai décidé d’arrêter la peinture abstraite, je me suis dit que je choisirai un seul sujet et que je n’en changerai pas jusqu’à ma mort."

Jean Rustin peinture 2007

C'est dans une prise de risque vitale que s'est engagé Jean Rustin en décidant ce choix pour le reste de ses jours. Mais c'est également, vraisemblablement, un choix de survie pour trouver, dans cet univers déséquilibré, son propre équilibre. Lorsque je m'étonnais devant lui sur ce choix en direction d'un univers aussi sombre, Jean Rustin assurait avec le sourire qu'il trouvait là  sa véritable envie de peindre, estimant, sans le dire explicitement, que la peinture "d'avant" n'avait pas cette charge émotionnelle et lui paraissait aujourd'hui comme une sorte de distraction. Maintenant, dans cet univers psychiatrique, le peintre confrontait sa peinture et se confrontait lui-même à une réalité  sans fard, dure, impitoyable. Désormais la peinture s'enracinait dans un réel indiscutable.
Jean Rustin a eu la chance de connaître un sort enviable : un collectionneur unique achetant tous ses tableaux au fil de leur création. Ce collectionneur, galeriste à Bruges, lance alors les bases de ce qui deviendra la Fondation Jean Rustin en Belgique, notamment en systématisant l'achat des œuvres sortant de l'atelier au début des années 1990.. En 2007, le peintre assiste à l’inauguration de la fondation parisienne qui porte son nom, couronnant soixante années de production. Au terme de cinq années d'existence, malheureusement, la fondation ferme ses portes en 2012. Il n'est pas dit que cela soit le dernier épisode dans l' existence de cette fondation. Cette oeuvre doublement percutante ne devrait pas s' évanouir et pourrait laisser, dans la durée, sa marque à haut contraste.

Photos : Encyclopédie audiovisuelle de l'art contemporain.