"La Fraternité du Panca" de Pierre Bordage

Par Leblogdesbouquins @BlogDesBouquins
Et bien disons que j’ai commencé  avec un Doris Lessing, et que j’ai fini avec un Bordage dans les mains. « Le cinquième enfant », tout un mince programme a très vite pris un équivalent de poussière, la faute à une mise en route trop longue, un style un peu soporifique et une écriture usante. L’art de la fiction sociale est capricieux, à écrire que l’on a tout compris, on en devient suffisant(e)... Et Pierre Bordage est arrivé, avec sa couverture ringarde et son titre plein de promesses. Quatre tomes rangés dans l’ordre, dans les rayonnages de la bibliothèque municipale, tel Sauron appelant son serviteur. Au diable le format inconfortable, les errances des dernières productions, Bordage et moi, c’est un « je t’aime moi non plus » qui dure. « Stalker » a lui aussi tenté sa chance, porté par remise en lumière des productions des frères Strougatski . Mais une fois les deux premiers volumes de Bordage terminés, il n'y avait déjà plus de doute, Il n’y aurait qu’une étoile sur ma table de chevet, qu’un Woody dans mon coffre. Parce qu’il me faut lire le troisième tome et que je promets l’encre et les larmes à celui qui osera user de son pass magnétique pour l’emprunter, ou, pire, le prolonger. Un Bordage unique pour les gouverner tous.

L’avis de JB :

Le supplice de Tantale
« La Fraternité du Panca » devait être un achat automatique pour la fan-base. « Les guerriers du silence » avait été un tel choc qu’un second cycle de space opéra du maître ne pouvait qu’être réussi. Problème, l’auteur s’est (mal) diversifié et « la Fraternité du Panca » n’a pas eu l’attention, ou la sortie en poche qu’elle méritait. Ajoutons à cela un quatrième de couverture sibyllin, et l’amateur de SF, qui n’aime que les certitudes, se met à douter. Si l'histoire n’est pas identique, il faut qu'elle rappelle, ressemble ou s’inspire de ce que nous connaissons déjà. Bardé de mon meilleur taux de cholestérol et de mes doigts encore graisseux, j’entends réparer cette injustice aujourd’hui même.
J’aimerais, moi aussi, dire que cette fois, c’était la dernière. Mais mon appétence juvénile pour le genre, et la capacité indéniable de Bordage à bâtir un univers, ne m’ont pas encore vacciné. En sommeil depuis des centaines d’années, la fraternité du Panca a décidé de réunir ses membres en lançant un appel à travers toute la galaxie. Il leur faut se retrouver pour former la chaine pantavique, seul rempart possible contre un danger mystérieux  souhaitant, humblement, détruire la galaxie. Les deux forces s’affrontent, donc, par champions interposés, notre chevalier blanc changeant cependant à chaque tome. Autour des deux solistes, l’auteur enrichit habilement le récit de quêtes ou personnages secondaires, usant avec créativité de ses ficelles favorites. On retrouve donc plusieurs sectes d’assassins,  d’énigmatiques animaux célestes, des petits contes ou extraits de légendes en début de chapitre, des armes super-cool-de-la-mort-qui-tue, etc.
Home sweet home
 « La Fraternité du Panca » est un parfait produit de l’usine space opéra, dont nous discutions les pratiques dans notre ancestral, mais toujours excellent, podcast. Un futur lointain, une confédération de planètes, deux forces s’affrontent derrière le rideau pour décider du destin du monde. En arbitres, plusieurs personnages au profil simple qui vont voir leur vie basculer, s’entrechoquer ou s’éteindre. Outre ces codes obligatoires, on retrouve la rassurante patte du maitre, dont le toucher a cependant tendance à se montrer rugueux, l’âge de ses lecteurs augmentant. Plus possible de passer à côté de ces improbables personnages féminins, tous très clichés : naïves et guerrières, forcement superbes et non conscientes de leurs charmes. Ces plantes carnivores attirent inlassablement dans leurs filets de multiples prétendants, permettant à l’auteur de nous régaler, comme à l’habitude, de scènes de viol ou de langoureuses scènes érotico-langoureuses. Difficile également de passer à côté de la très grosse charge religieuse qui embaume jusqu’aux interlignes. Nous l’avions précédemment dit, sans ironie, Bordage est un auteur mystique qui ne se contrôle pas.
Chaque page tournée charrie une lourde odeur de madeleine un peu amère. J’aime tant que cela me plaise parce que ce cycle me rappelle ma découverte du genre,  du temps où lire était aussi apocryphe que porter une chemise. Mais les défauts apparaissent avec le temps, l’œil se fait plus sûr, et il n'est plus possible de passer à côté de certains clichés, ou choix d’écriture très personnels. Rien de rédhibitoire cependant, à mon goût. Je crois que j’ai juste un peu vieilli, et qu’il est de plus en plus difficile de jouer à « l’histoire sans fin » avec n’importe quel livre de science-fiction.  Tout en gardant cette bienveillance éternelle pour le genre, je veux de l’épique, des personnages touffus, du style et des sourires, des batailles aux issues incertaines et une fin magistrale qui me feront tourner les pages dans le vide en criant « encore ! ». Pour garder sa place, déjà réduite, sur les rayonnages, c’est cette mue que la SF doit opérer, pour concurrencer une fantasy et autres bite-lite qui jouent légitimement, à leur tour, la carte du volume.
A lire ou pas ?
«La Fraternité du Panca » est à rapprocher de « La Religion » ou de « Bohème », que je critiquais à la plume, il y a des siècles, sur ce même blog. Leurs auteurs sont des faiseurs de monde, des superbes conteurs qui s’emballent vite, plus préoccupés par le récit que par le style, l’écriture ou la construction d’un chapitre. Alors forcément le compte n’y sera pas pour les non-adeptes du genre, qui seront  légitimement plus exigeants. Disons simplement que c’est le meilleur cycle de Bordage depuis plus de dix ans, ce qui devrait suffire aux fans et permettre aux autres de laisser passer. Rendez-vous donc dans trois tome pour une fin, qui, si la tradition est respectée, devrait être au mieux énigmatique, au pire de piètre qualité.
NB : Comme nous le relayions quelques mois plus tôt, un tome 0 des guerriers du silence est sorti, « le pacte ». Bien qu’il ne soit disponible qu’en format numérique et d’un format plus que réduit (13 pages), je salue l’initiative de le proposer de manière complètement gratuite, sur ce lien par exemple :
http://fr.feedbooks.com/item/354061/le-pacte