N’ayons pas peur des données économiques comparatives !

Publié le 02 janvier 2014 par Copeau @Contrepoints
Analyse

N’ayons pas peur des données économiques comparatives !

Publié Par Claude Robert, le 2 janvier 2014 dans Travail & emploi

Une analyse comparative montre que le chômage se développe davantage sous le gouvernement Hollande que dans le reste de l’Europe.

Par Claude Robert.

L’économie est une science très compliquée, et presque simple à la fois :

  • Très compliquée car il s’agit typiquement d’une science humaine qui consiste à analyser le comportement économique des acteurs de chaque groupe, de chaque catégorie ou de chaque pays. Et parce que chaque groupe ou pays interagit au sein d’un contexte économique de plus en plus généralisé, et de plus en plus fluctuant, la science économique ne peut se passer en aucune façon de comparaisons. Que veut dire en effet un taux de croissance d’un pays ou d’un groupe social s’il n’est pas comparé au taux de croissance des pays ou des groupes sociaux qui l’entourent ? Que veut dire en effet un accroissement du chômage d’un pays ou d’un groupe social (en valeur absolue donc) s’il n’est pas comparé par ailleurs ? Et que veut dire un taux de chômage élevé à l’instant T dans un pays donné, s’il n’est pas comparé aux pays qui l’entourent et par rapport à ce qu’il était auparavant ? Sinon, ne serait-il pas malhonnête d’attribuer les conséquences de la crise des subprimes (par exemple) aux Présidents qui avaient la malchance d’être en poste à ce moment-là ? La seule façon de mesurer s’ils ont été efficaces ou pas dans leur gestion de cette crise dont on dit qu’elle a été la pire depuis celle de 1929 consiste bien à comparer les chiffres entre pays…
  • Presque simple car lorsqu’il s’agit d’affecter un résultat économique à un mandat politique particulier, une fois que les données les plus pertinentes de la comparaison ont été collectées et qu’un minimum d’honnêteté intellectuelle empêche de tirer des conclusions trop hâtives (il faut un certain nombre de mois pour qu’une politique puisse se ressentir dans les chiffres), alors il devient possible de se prononcer de façon relativement objective.

Pourquoi cet exercice est-il si rarement réalisé dans les médias ? Pourquoi les chiffres en valeur absolue sont-ils de loin les plus fréquemment commentés par les journalistes ? Sans doute du fait de l’inculture économique des Français que les sondages réguliers en Europe ne cessent de confirmer (Codice/TNS Sofres 2008 et 2009, IFOP 2011) et que les déclarations de certains économistes (C. Saint-Étienne ou  le prix Nobel d’économie E.Phelps) viennent tristement illustrer. Il semble que le pays ne s’adonne que très peu à la science économique, et que les médias le lui rendent bien, à moins que ce soit l’inverse, ou plus probablement, que médias et citoyens soient deux variables qui s’auto-entretiennent dans le cadre d’un cercle parfaitement vicieux. De ce fait, les quelques chiffres mis en pâture par les médias sont la plupart du temps des données brutes et grossières, pour une lecture directe et simplificatrice…

Quoi qu’il en soit, si l’on compare le taux de chômage français et européens entre 2000 et 2013 (octobre 2013) à partir des données collectées par statistiques-mondiales.com (chiffres tout à fait officiels, sur le graphique ci-dessous), le taux de chômage étant une donnée essentielle pour juger de la qualité de nos politiques économiques et sociales, on constate que :

  • Sous le mandat de J. Chirac, le taux de chômage français (courbe en bleu) qui était inférieur à celui de l’Europe (courbe en orange) en 2002 n’a cessé de s’aggraver pour passer au-dessus de l’européen en 2005 et ce de façon très significative. Ainsi, le différentiel qui était favorable à la France (différentiel schématisé par la zone de couleur verte) s’est réduit à zéro puis est devenu clairement négatif (zone de couleur jaune).
  • Sous le mandat de N. Sarkozy, c’est exactement le phénomène inverse qui s’est produit, et de façon tout à fait régulière. Certes, il se dit que la France réagit mieux en temps de crise grâce à l’importance de son secteur public, ce qui lui permet d’absorber les chocs mieux que ses voisins, pour ensuite repartir plus lentement. Mais il reste malgré tout difficile d’imaginer que cette thèse soit la seule explication possible car la réduction du différentiel a commencé avant même la flambée du chômage concomitante à la crise des subprimes. Par ailleurs, la tendance s’est confirmée alors même que le taux de chômage européen marquait une pause en 2011. Ainsi, le différentiel qui était nettement défavorable à la France (zone jaune donc) au début du mandat de Sarkozy a accusé une réduction régulière jusqu’à son annulation pour redevenir favorable (zone verte). Cette zone verte était d’ailleurs en accroissement régulier jusqu’à la fin du mandat.
  • Sous le mandat de F. Hollande, le différentiel favorable (en vert) s’est réduit à zéro puisque le taux de chômage français est revenu sur les niveaux européens.

Il ne faut pas pour autant blâmer l’actuel Président : même si les 19 mois de mandat constituent une période relativement significative, la tendance mérite d’être confirmée dans les mois qui viennent…

Pour autant, il semble possible d’admettre de façon à peu près indiscutable les trois constats suivants :

  • La situation du chômage s’est relativement dégradée sous le gouvernement Chirac.
  • La situation du chômage s’est relativement améliorée sous le gouvernement Sarkozy.
  • À fin 2013, sous le gouvernement Hollande, la situation du chômage s’est dégradée par rapport au reste de l’Europe.

En outre, se livrer à de tels constats comporte un réel avantage, celui de désolidariser le jugement intuitif (ou primaire) des données brutes. On se rappelle combien L. Jospin se vantait de l’accroissement de la croissance française sous son mandat alors que la comparaison avec le reste de l’Europe lui était défavorable. On constate par ailleurs que les Français accusent N. Sarkozy d’avoir fait flamber le chômage alors qu’il a lui aussi subi de plein fouet les effets d’une crise bancaire gravissime… Combien de jugements faux sont-ils véhiculés grâce à des analyses tronquées ou simplistes ? La politique, au sens de la vie de la cité, ne mérite-t-elle pas au contraire d’y consacrer le temps et le niveau de complexité nécessaires ?


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