Sans père, sans famille

Publié le 10 mai 2008 par Journaldecharlotte

J'ai reçu un commentaire d'un nouveau lecteur, Charly, et je suis allée visiter son site. Le premier article que j'ai lu m'a touchée beaucoup : 

"Un enfant sans père est semblable à une maison sans toiture." Proverbe du Cambodge
On comprend que ce proverbe provienne d'un pays qui a beaucoup souffert. Un enfant, pour bien grandir à tout point de vue, a besoin de sa mère autant que de son père. La famille est faite ainsi. C'est l'ordre naturel des choses.
Le rôle du père est imagé ici par celui de la toiture qui protège la maisonnée. Sans cette protection, l'enfant, et la famille par extension, est plus vulnérable, à la merci des intempéries de la vie. (Ceci dit, les efforts que font les familles monoparentales pour bien élever leurs enfants sont dignes d'éloges. Ce n'est pas une situation facile, loin s'en faut.) Les pluies de l'hostilité, les vents de l'adversité, les rayons accablants de la différence, le froid de l'indifférence et les grêlons des moqueries peuvent rendre la vie très difficile. Y sommes-nous sensibles ?
Enfants qui avez vos deux parents, sachez les apprécier, les aimer.
Charly

Je n'ai pas eu de père. Il est parti quand j'avais deux ans, remplacé, trois ans plus tard, par un beau-père possessif, manipulateur, contrôlant et violent. Dès l'âge de 5 ans, je me suis refermée sur moi-même pour survivre aux tempêtes. Ma mère était ma seule famille mais, même là, je l'ai quittée pour faire ma vie très loin quand j'ai eu 24 ans. Loin d'un passé lourd et invivable... Je ne voulais plus me retrouver dans des histoires de famille, des chicanes et autres négativités familiales.
J'ai voulu aimer mon père autant que ma mère mais je ne l'ai presque pas connu, vivant dans une autre ville et occupé avec son autre nouvelle famille. J'ai voulu mais je n'ai pas pu aimer mes deux parents...
Aujourd'hui, je suis allée à des funérailles. Celle d'un homme que je ne connaissais pas. C'était le parrain et oncle de Louis, mon meilleur ami, mon frère de coeur. Plusieurs grandes familles étaient présentes car toutes avec beaucoup d'enfants et de petits-enfants. Plusieurs des cousins de Louis, les enfants du défunt, sont des personnes que je connais depuis longtemps et nous nous apprécions mutuellement.
Il est décédé le 30 avril. Je l'ai appris le 1er mai. Je n'ai appelé personne de sa famille pour offrir mes condoléances. Ça ne m'est même pas venu à l'esprit, en fait. Alors, en arrivant à l'église tantôt, je me sentais un peu coupable. Personne ne m'en a voulu. J'étais là, c'est ça qui comptait.
Le fait est que j'ai une relation un peu spéciale avec la mort et, de plus, je ne sais absolument pas comment offrir des mots de réconfort aux survivants. La mort, pour moi, est une nouvelle vie, pas une perte...
Louis m'a demandé de m'asseoir à côté de lui à l'église. Sur le premier banc à gauche de l'autel. Je me sentais particulièrement mal à l'aise.
- Je ne fais pas partie de la famille ! lui ai-je dit.
- Pas grave, reste assise là.
J'avais beau respirer profondément, je me sentais vraiment bizarre. Le fait est que Louis est amérindien ainsi que toutes les familles présentes à l'église. La cérémonie était empreinte de rituels amérindiens et, pour qui ne le sait pas, certains amérindiens sont racistes. Eh oui, plus que nous. Ils tiennent à leur communauté, largement décimée par les Blancs. Je les comprends d'une certaine façon et il y a des extrémistes partout. Heureusement, pas dans ceux que je connais qui sont très ouverts mais, au village, il y en a. J'ai eu droit à une crise de racisme il y a quelques années, de la part d'un ami de Louis qui n'a que 25% de sang indien. Si son père - blanc - n'avait pas épousé sa mère, il n'existerait pas. Louis l'a d'ailleurs réprimandé vertement pour cette crise.
Je vis sur la réserve indienne depuis plus de quatre ans, y travaille depuis 2000. J'ai appris à connaître et à apprécier nombre d'entre eux. Je respecte et suis respectée. Le fils du grand chef m'a d'ailleurs dit dernièrement que je suis devenue un «membre de la communauté», que j'y suis bien intégrée. Cela m'avait beaucoup touchée...
Cependant, le fait est que j'avais l'impression d'être une imposteure sur ce banc, assise à côté d'un amérindien fort connu et respecté du village, de sa mère - la soeur du défunt - et de sa soeur. J'étais assise avec la famille mais j'avais juste envie d'aller m'asseoir au fond de l'église quand la soeur de Louis m'a dit :
- Tu fais partie de la famille depuis longtemps, tu le sais. Reste assise là et ne t'en fais pas.
Wow... Les larmes me sont montées aux yeux.
Je fais partie d'une famille ?!
Je ne sais pas ce que «famille» veut dire. Chaque fois que j'ai eu l'impression d'en faire partie d'une, une personne - jalouse, souvent - s'est arrangée pour m'en faire sortir ou je me suis séparée de mon conjoint avec la famille duquel je m'entendais bien, les liens se coupant alors automatiquement. Du coup, j'ai décidé de ne plus jamais m'attacher à une famille et je n'ai jamais rouvert mon coeur à d'autres personnes que mon conjoint et de rares amis qui me sont proches.
Louis m'a amenée à la réception après la mise en terre et je me suis retrouvée assise avec la famille, moi qui pensais rentrer à la maison après la cérémonie. Heureusement, c'étaient des cousins de Louis, leur conjointe, leurs enfants, soit des personnes que je connais. Je suis aussi allée remercier deux des enfants du défunt, que je connais plus et apprécie, pour m'avoir permise de faire partie de la réception et leur offrir mes sympathies. On s'est serrés fort et le moment était touchant.
En quittant la réception, je suis allée dire au-revoir à tout le monde pour terminer par la mère de Louis, «tante Hélène» comme elle m'a demandée de l'appeler il y a quelques années. On s'est serrées dans les bras et on s'est dit qu'on s'aime beaucoup, la larme à l'oeil... mais je ne m'y sens pas attachée...