Pandora par Kanga

Par Pandora
J'accueille aujourd'hui Kanga (pas de lien car son blog est encore en construction ...) qui a écrit un très beau texte sur différentes Pandora pour la page du dimanche consacrée à ... Pandora. Et en plus, elle fournit même les photos ;-))
Merci beaucoup Kanga.

PANDORA

Lentement je m'éveille, baignant dans l'éclat luminescent des lieux.

Plus aucun repère, ni dans le temps, ni dans l'espace...

A peine ai-je conscience d'exister en dehors de mon esprit, traversé de bizarres fulgurances. J'ai un corps aussi et des sensations. Peut-être suis-je dément ou mort ou aspiré dans un univers parallèle, je l'ignore. Est-ce que je purge ici un châtiment pour un crime odieux, ou bien suis-je le cobaye d'une expérience interdite ? Mystère.

Peu m'importe, j'existe dans ce monde incommensurable du Labyrinthe J'ai beau marcher, courir à perdre haleine, bifurquer ici ou là, les couloirs se reproduisent à l'identique. La seule chose qui peut m'arrêter, c'est un cul-de-sac, alors je retourne en sens inverse jusqu'au prochain carrefour. Des tunnels à la clarté diffuse se croisent, alignant leurs murs d'un blanc opalescent, où surgissent parfois comme des respirations de lueurs rosées ou jaune pâle.

Aucun objet, aucune porte, aucun meuble, je ne rencontre que le vide à l'infini. Aucun être vivant à part moi, aucun son, sauf parfois des vibrations cristallines qui résonnent au hasard du temps, venant de nulle part.

Quand épuisé par l'exercice, je m'allonge au pied d'un mur, les yeux clos, des lambeaux d'images colorées, des odeurs parfumées de fleurs, des caresses soyeuses effleurant mes mains, le goût salé d'une autre peau sur mes lévres, surgissent en vrac du passé. J'ouvre les yeux, tout disparait. Ici, je n'ai pas besoin de nourriture. Je reste en vie animé par un mouvement perpétuel.

Mais mes nuits sont plus pleines que mes jours et dès que je m'endors n'importe où, elle apparait, Elle, Pandora, sous un de ses multiples visages.

La première venue me visiter dans mon sommeil, c'est l'Eve des Grecs, parée de toutes les beautés, créée avec duplicité par Zeus, pour le malheur des humains, après que Prométhée leur eut donné le feu. Curieuse, elle ouvrit une boîte d'où s'échappèrent les maux et les maladies de l'humanité, seule l'Espérance resta au fond quand elle la referma.


Pour moi, la curiosité n'est pas un défaut, au contraire, sinon comment progresserions-nous dans la connaissance de monde et de nous-mêmes ?

Elle s'approche, évanescente, me frôle l'air désolé, un doigt sur la bouche, m'apportant l'espoir en partage....

Plus tard, elle m'envoie des images de Pandora's Book de Pabst. Louise Brooks (Loulou-Lulu) avec son visage d'icône hante mes nuits.


Mutine, gracieuse et perverse, elle les affole tous, les jeunes et les vieux, hommes et femmes, les laissant brisés dans son sillage. Et va à la rencontre de son destin fatal dans les brûmes interlopes de Londres se jeter dans les bras de Jack l'Eventreur.

Ces visions me laissent fourbu, fou d'amour et de désir pour un objet hors d'atteinte, transi d'angoisse à la pensée que je suis peut-être un avatar de Jack, payant éternellement ses horribles forfaits.

Au plus profond de ma détresse, une autre vision vint mettre du baume sur mes plaies, la beauté radieuse d'Ava Gardner, illuminant le film symbolique d’Albert Lewin "Pandora". Je l'observe, sublime, songeuse à la tombée de la nuit. Elle me sourit, impériale avant de nager vers le vaisseau fantôme, pour rejoindre le hollandais volant, son amour, pour qui elle sacrifiera sa vie, afin que son âme éperdue trouve le repos éternel et que cessent ses courses infernales.



Au réveil, je reste ensorcelé par le visage d'Ava et je me demande si ce n'est pas pour moi qu'est morte Pandora.

Entre ces trois déesses, je vis mes nuits. Je ne suis plus seul, mais je ne peux les atteindre, les toucher. Si j'essaie, elles disparaissent me laissant livré aux cauchemars. Elles seules me font des signes, mouvement de la main de la l'Eve mythique, regards brûlants de Louise, sourires énigmatiques d'Ava. Je dois m'en contenter.

Une nuit, ce que j'appelle nuit, synonyme pour moi de sommeil, une autre Pandora apparaît : l'adolescente que Corto Maltese sauva dans "la ballade de la mer salée". Douce, fragile, courageuse, passionnée, elle est peut-être le seul vrai amour que Hugho Pratt offre à son alter-égo. Le "bijou romantique", comme il l'appelle restera à jamais gravé dans sa mémoire. En la quittant il lui dira : "c'est parce que tu ne ressemble à personne que j'aurais voulu te rencontrer toujours... n'importe où...".


Lorsqu'elle parait dans mes nuits, fraiche, sincère et belle et rebelle, je sens la caresse de sa main effleurer mon front. Elle seule me touche et s'en vont tous mes tourments.

Lentement je m'éveille, baignant dans l'éclat luminescent des lieux.

Plus aucun repère, ni dans le temps, ni dans l'espace...

Peut-être suis-je le démiurge du labyrinthe ? Finirai-je expulsé de ma création, rejeté vers les ténèbres extérieures ?

Qui sait ?

Un seul nom s'attarde sur mes lèvres fiévreuses et enflamme mon imagination: le tien, Pandora.

kanga

PS: sont évoqués dans ce texte:
- Le mythe grec de Pandora
- Pandora's Box (Loulou ou Lulu) film Georg Wilhelm Pabst 1929 
- Louise Brooks (1906-1985) actrice, héroïne de Pandora's Box et de films muets
- Jacques l'éventreur
- Pandora film d'Albert Lewin (1951)
 - Ava Garner (1922-1990) actrice, héroïne de Pandora
- Le mythe du hollandais volant (Vaisseau fantôme)
- Corto Maltese - Ballade la mer Salée - Bande dessinée d'Hugo Pratt (1967 et 1972)
 - Le mythe du labyrinthe, mythologie grecque.
- Le labyrinthe, en écho à l'oeuvre de Borgès tout entière sous le signe du labyrinthe, symbole du parcours de la vie et de la place de l'homme dans l'univers.