Interprétation et sémiotique: Vers l’image-texte Par Anouar Ben Msila

Publié le 06 janvier 2014 par Dadasou

A la mémoire de Nadéra

Prélude

La notion d'interprétation est d'une complexité telle qu'elle semble avoir droit de cité non seulement dans des disciplines de sciences humaines, mais aussi de sciences exactes, comme la médecine ; encore qu'on considère celle-ci comme un art du corps. Le terme d'interprétation s'emploie même fréquemment, dans des situations de paroles, au sein de la vie quotidienne. Parallèlement, innombrables sont les modes d'expression qui sont interprétables, depuis le texte, sacré et profane, jusqu'au rêve et regard, en passant par les différents types de langage: cuisine, habillement, musique, peinture, cinéma, sculpture, informatique, etc.

C'est donc une notion aussi bien ouverte que confuse. Par conséquent, cela exige, comme il se doit dans un cadre universitaire, qu'on la clarifie pour mieux la cerner et pouvoir s'en servir non sans rigueur. Or, en raison de l'orientation que prend cet exposé, nous n'avons pas jugé nécessaire d'entreprendre cette tâche de clarification, laissant le soin à d'autres chercheurs de s'y pencher. Néanmoins, cela ne signifie pas que cette notion soit utilisée au hasard de ses emplois, mais nous nous proposons d'en tracer des significations précises. Or, ce sont les objectifs ici fixés, ainsi que le cadre théorique, en l'occurrence, la sémiotique, qui ont déterminé le choix de ces acceptions.

C'est ainsi, nous semble-t-il, que le vocable d'interprétation est susceptible d'être promu au rang de concept opératoire, pourvu d'une portée davantage analytique que spéculative, II nous vient en aide dans la construction du sens d'un texte. Et c'est le Parcours immobile126, récit majeur d'E.-A. Bi Maleh (1980), qui sera mis à l'épreuve de l'analyse. Seront retenus à cet effet trois des traits sémantiques distinctifs du terme interprétation, à savoir, celui de "manipulation ", au sens sémiotique, celui de transcodage, comme c'est le cas dans l'exécution d'une partition, et celui de traduction, tout aussi sémiotiques.

Faire interprétatif, transcodage, traduction

Le premier trait, on le trouve chez A.-J. Greimas et J. Courtés qui inscrivent la manipulation sur la dimension cognitive, à la différence de l'action, située sur la dimension pragmatique. Elle "joue, écrivent-ils, sur la persuasion, articulant ainsi le faire persuasif du destinateur et le faire interprétatif du destinataire " Le faire interprétatif correspond à un croire que déploie le destinataire-manipulé à l'égard du faire-croire qu'exerce sur lui le destinateur-manipulateur. Celui-ci fait que celui-là croie ou non à des valeurs dans le cadre d'un contrat déterminé. Outre la dimension axiologique, les modalités véridictoires'28 où intervient un jeu complexe basé sur l'articulation de l'Etre et du Paraître forment le noeud de la persuasion et de l'interprétation. Le faire- croire inhérent à la persuasion appelle un croire se rapportant à l'interprétation, et les deux procédures syntaxiques font piirtie intégrante d 'une quête de la vérité.

Par ailleurs, si le faire persuasif et le faire interprétatif sont pris en charge par des actants de l'énoncé, ils peuvent être également assumés par les actants de l'énonciation que sont l'énonciateur et l'énonciataire. De fait, ceux-ci tiennent respectivement les rôles de destinateur-manipulateur et de destinataire-manipulé, mais à un niveau hiérarchiquement supérieur. En montant encore d'un ton, il est plausible de transposer les deux types de faire dans le palier textuel où interagissent le scripteur et le lecteur. Le premier actant cherche à persuader le second de certaines valeurs cette fois-ci esthétiques, en particulier scripturales, que celui-ci interprète comme telles.

Cela nous amène donc à conférer au faire interprétatif une portée extensive en le qualifiant de lecture prise dans sa dimension générale et opératoire, celle de construction de sens. D'ailleurs, en sémiotique, le sens ne se ramène plus à une donnée observable, préalablement établie, mais constitue un processus, toujours potentiel et en devenir, dont il convient de construire le mode de manifestation et les conditions d'émergence. Or, cette virtualité du sens, ce sont les outils conceptuels pertinemment délimités, ceux de la sémiotique en ce qui nous concerne, qui en déterminent une forme de réalisation parmi bien d'autres possibles. La lecture ainsi envisagée devient créatrice de sens, une véritable réécriture. S'opère alors un renversement de perspective: la hiérarchie habituellement établie et selon laquelle le lecteur serait subordonné à l'auteur tombe d'elle-même.

L'accomplissement du sens procède plutôt de l'articulation organique entre le mode encore actualisé de celui-ci de la part du scripteur et son mode réalisé, rendu possible par le lecteur. Structurellement liés, lire et écrire se fondent mutuellement. Dans cet ordre d'idées, si nous concevons la construction du sens comme quête, nous pouvons en proposer une saisie dans une perspective narrative en établissant une correspondance entre écriture et compétence, lecture et performance. En effet, l'écriture équivaut à l/'être du faire!, à ce qui ouvre la voie à une pluralité de sens, et la lecture au !faire/, à ce qui rend un sens accompli. Dès lors, il serait temps d'entreprendre une histoire de la lecture, de ses différentes formes, à l'instar d'une histoire de l'écriture, naguère initiée par R. Barthes dans Le degré zéro de l'écriture (1953).

Le deuxième trait sémantique d'interprétation, nous l'empruntons au Petit Robert (voir article) et on le retrouve également, mais en des termes spécialisés, dans le dictionnaire de Greimas et Courtés qui parlent d'" interprétation d'une oeuvre musicale ou d'une pièce de théâtre" (1979, p. 193). Incarner un rôle théâtral, autrement dit un rôle actantiel, et exécuter une partition ressortit aux sémiotiques dites esthétiques. En effet, par extension, interpréter, c'est transposer un langage donné en un autre, différent quant à la forme de son expression, à tout le moins. La tâche d'un pianiste, par exemple, consiste en la transposition de figures de notes, qui relèvent d'une sémiotique visuelle -écrite-, en signes musicaux ou notes, d'ordre auditif. Il s'agit là de transcodage ou processus trans-sémiotique, s'effectuant aussi lorsque l'on fait passer le langage pictural dans le langage verbal, l'oralité dans l'écriture et inversement, le langage musical dans le langage verbal, et ainsi de suite. Et c'est là que nous voulions en venir. En lisant l'oeuvre d'E.-A. E! Maleh, on s'aperçoit que le trans-sémiotique y occupe une place de plus en plus large, au point de devenir un thème récurrent, se confondant avec la finalité de l'écriture. En témoigne ce fragment du Parcours immobile, où, en écho aux chansons d'Yves Montand et de Mouloudji, figures mythiques de l'époque, se fait entendre le chant mystique des Aïs sawa, des troubadours particuliers:

"il [Aïssaj était né bercé certains jours par [...] l'immense clameur scandée des Aïssawa le jour du Moussem ce jour où ils s'enfermaient chez eux et du balcon voyait passer le cortège en délire" (1980, p. 119).

Il se produit une transcription d'une sémiotique musicale, sonore, en une sémiotique verbale, en particulier scripturale, visuelle; d'où leur transformation en une forme complexe, participant des deux types de sémiotiques. L'écriture devient modulations et les modulations écriture. Et ce n'est pas étonnant que le texte en question soit polyphonique ou harmonique, comme disent les musiciens. En ce qui concerne l'instance responsable de cette transcription, nous postulons un transcripteur, prenant en charge la circulation du sens entre sémiotiques différentes ; soit un passeur de sens.

Nous en arrivons au troisième trait d'interprétation, celui de traduction. Il correspond à l'acception qu'en donnent Greimas et Courtés dans leur dictionnaire, sans pour autant que les deux traits soient assimilables : "l'interprétation, affirment-ils, n'est plus le fait d'attribuer un contenu à une forme qui en serait dépourvue, mais la paraphrase formulant d'une autre manière le contenu équivalent d'une unité signifiante à l'intérieur d'une sémiotique donnée " (1979, p. 192). Ce mode de traduction, car c'en est un, ne va pas sans rappeler la conception du signe que propose Ch. S. Peirce, laquelle se fonde sur l'envoi des signes les uns aux autres au sein d'une sémiosis'29. Or, ce processus sémiotique nécessite l'intervention d'une instance, à savoir, l'interprétant, par laquelle passe ce renvoi de signe à signe. C'est ainsi que l'interprète, notion psychologisante, le cède à l'interprétant, purement sémiotique.

Sous quelle forme se présente l'activité traductrice dans Parcours immobile ? Il ne fait pas de doute que ce texte est écrit en français, langue de création de l'auteur. Il n'en demeure pas moins que d'autres langues, principalement le judéo-arabe, restent sous jacentes. A travers sa phonie ou fond sonore, son lexique et sa syntaxe, sa rythmique et sa musique, mais aussi ses propriétés narratives et sa vision du monde, la langue maternelle oeuvre à même le français, langue de coeur, aussi bien horizontalement qu'en profondeur. Se crée alors une traduction intérieure, souterraine où chacune des langues se fait comme l'interprétant de l'autre.

Regardons de près cet extrait apparemment déconcertant:

"La mort Ni pensé ni écrit. " (1980, p. 14). C'est que l'arabe se saisit de la morphologie du terme mort en substituant au féminin propre au français son morphème masculin. En plus, la mort n'est plus une idée, un thème, mais une figure et un évènement en tant que performatif. Ce transfert de fond et de forme d'une langue à l'autre se double d'une interversion poétique, parce que métaphorique : "Un autre cérémonial prenait place, une autre mort insidieuse s'insinuait, le cadavre était changé de lieu, le corps interverti." (1980, p. 13). Cet entretien abyssal, cette cohabitation, par ailleurs heureuse, sous-tend une tension sémiotique entre les deux langues enjeu: chacune d'elles, en s'emparant du contenu et de l'expression de l'autre, les intégrant dans sa structure même, produit un effet transformateur sur l'autre, et, chemin faisant, entraîne sa propre transformation ou métamorphose. Enrichies par cette expérience, les deux langues se recréent mutuellement et de plus belle selon une dialectique de l'identité et de la différence.

Voilà pour les trois acceptions maintenues dans la notion d'interprétation. Resterait à en expliciter l'inter-définition. Les trois se rangent sous la rubrique générique de l'interprétatif, puisqu'elles participent toutes de lire en tant que production de sens. Ensuite, le transcodage et la traduction, d'ordre trans-sémiotique, s'incluent dans l'interprétatif comme catégorie plutôt sémiotique. Enfin, la traduction, de nature trans- linguistique, fait partie intégrante du trans-sémiotique, étant donné qu'elle fonctionne comme un type spécifique de transcodage. C'est dire que les trois acceptions se compénètrent et s'inscrivent dans une relation hiérarchisée les unes par rapport aux autres. Ainsi en va-t il des actants s'y rapportant, à savoir, le destinateur-manipulateur, le transcripteur et l'interprétant.

Une sémiotique complexe : image-texte

On en vient à présent à la seconde partie de cet exposé, laquelle consiste à traiter notamment, du moins aujourd'hui, l'interprétation comme transcodage tel que celui-ci se déploie à même le corpus ici retenu. Le passage d'un système sémiotique à un autre concerne essentiellement ce que l'on désigne par expression, face visible du langage, par opposition au contenu, face invisible, dans la terminologie de L. Hjelmslev'30. Si l'expression relève du sensible, le contenu appartient à l'intelligible et le lien entre les deux strates est des plus complexes. Le linguiste danois affine cette catégorie en articulant chacun des deux plans selon la subdivision: substance I forme. A titre d'exemple, lors du processus de traduction, ce qui se transforme, c'est la forme du contenu. En effet, le même fait de signification "mort", étudié plus haut, se laisse formuler différemment selon qu'il s'agit d'arabe ou de français. C'est que chaque langue segmente la substance à sa façon, selon sa vision du monde.

Vu le temps ici imparti, il sera surtout question de l'interpénétration du visuel et du verbal dont advient la figure d'image-texte. Le premier récit qui se met en place dans Parcours immobile raconte le départ de Haroun pour l'Europe encore méconnue et déjà attractive, s'ouvrant sur la séquence suivante:

"Haroun. . . en anglais je le revois sur cette vieille photo prise à l'époque, visage jeune, à l'aube d'une vie, d'un monde nouveau, la moustache conquérante, col cassé, cravate, il avait été le premier à s'habiller à l'européenne"

(1980, p. 15).

Il va sans dire que le narrateur nous livre une présentation de l'acteur en question à partir d'une photographie. Or, la photographie correspond bel et bien à un langage, à une sémiotique dont le plan de l'expression procède du visuel. C'est ainsi que le narrateur procède à un déchiffrage, à une interprétation de ce qui se laisse exprimerà travers la photo, à savoir, l'aspect apparent de Haroun. On dirait qu'il engage un face à face avec le personnage, sinon avec lui-même. "Soi-même" est perçu "comme un autre ", pour reprendre la formule heureuse de Ricoeur. D'ailleurs, "La photographie, c'est l'avènement de moi-même comme autre: une dissociation retorse de la conscience d'identité. 131

On le voit, le visage et l'habillement, qui rappellent respectivement Levinas et Barthes, constituent autant de systèmes signifiants, corporels et vestimentaires, sur lesquels porte la lecture. Et à mesure que progresse le faire interprétatif, le contenu de cette photo, mais aussi son expression glissent subrepticement vers le système sémiotique verbal, spécifiquement scriptural, qui les capte et les intègre dans sa propre structure. En fait, c'est la substance de l'expression de la photo, en l'occurrence, la "visualité ", fondée sur la lumière, qui subit une transformation, accueillant le trait graphématique caractéristique de la substance de l'expression des mots à l'écrit. (A l'oral, celle-ci étant le trait phonématique). Les deux types de sémiotiques se répondent en écho et finissent par se confondre, si bien que leur dissociation porterait atteinte à leur unité organique et au sens intrinsèque.

Tout comme Haroun, l'espace où se meut cet acteur fait l'objet d'interprétation de la part du narrateur, puisque sa représentation passe par un déchiffrage des signes le constituant. Et comme l'Europe, espace de lecture, apparaît dans une carte postale, proche de la photo, il se produit un transcodage qui consiste à faire passer le langage visuel en le langage verbal. L'on assiste à une imbrication de ces* deux systèmes sémiotiques dont résulte un ensemble signifiant pluriel, celui d'image-texte:

" La Bourse de Hambourg superbe bâtiment, derrière à l'arrière-plan, une rangée d'arbres, vision à cette ordonnance d'une façade de hautes fenêtres autour de deux tours centrales surmontées d'élégantes coupoles." (1980, p.18).

Gagnés par l'image qu' ils transposent, les mots refaçonnent celle-ci à leur tour, au point que s'estompent les frontières entre les deux langages, et que deviennent imperceptibles les limites entre point de vue et objectif. La configuration spatiale se donne à lire suivant une perspective mêlant objectivité et subjectivité, plan rapproché et profondeur de champ. A l'angle de prise de vue fait écho un point de vue littéraire: ce n'est plus le Maghreb qui s'offre comme réalité différente et fascinante, mais l'Occident, espace de aussi, prennent forme et acquièrent sens dans les mots qu'elles cherchent à transcender. D'où sa portée allégorique. En effet, "image à cent pour cent, l'allégorie est cependant une image-texte, la dualité d'origine conceptuelle, sa prétendue évidence aux yeux du sens commun, s'évanouit dans l'unité dialectique. "' Finalement, présence, image-texte et allégorie constituent autant de figures ayant en commun la subversion d'une conceptualité réductrice.

Reste à déterminer la fonction que remplit le transcodage dans le texte. Il se revêt de plusieurs significations, contradictoires même. Autant le recours à l'image permet d'accréditer un effet de réalité, vu l'authenticité caractéristique de la photo et de la carte postale, autant il garantit un trait d'irréalité dû au reflet d'une sémiotique visuelle sur une sémiotique verbale. De même, l'opération d'embrayage, auparavant prise en compte, instaure un décrochement de la réalité de la référentialité, ce qui favorise le passage d'une réalité référentielle à une réalité textuelle. Il y a passage de l'espace dans le texte à l'espace-texte. Et ainsi en va-t-il du temps et de l'acteur qui apparaissent comme signifiance. Et Greimas et Courtés d'affirmer: "l'embrayage produit une déréférentialisation de l'énoncé qu'il affecte" (1979, p. 119). Corrélativement, si le récit semble se construire objectivement, eu égard au caractère vraisemblable des supports visuels, la subjectivité, voire l'intersubjectivité ne sont pas pour autant absentes, car le faire interprétatif portant sur les images a partie liée avec l'imagination créatrice de l'interprétant. D'ailleurs, le procédé d'embrayage implique l'investissement de l'instance personnelle dans la prise en charge de l'énoncé.

En forme de conclusion

Le texte ici étudié procède de l'interprétation et s'y engage une dialectique d'écriture et de lecture. Le scripteur devient également lecteur, non plus seulement de son propre texte, mais d'autres textes. Or, nous voilà amené à faire interpréter par le lecteur un rôle nouveau, celui de scripteur, qui, prenant pleinement part à la réalisation du sens, se trouve comme porté par et dans le mouvement de l'écriture. Celle-ci, on le sait, étant une sémiotique perception. D'où un renversement de perspective concernant l'approche de l'Altérité.

Toujours au sujet de la carte postale, non plus seulement au niveau de la structure énoncive, mais aussi au niveau de l'énonciation, elle jaillit dans cet extrait où s'amorce une archéologie de la mémoire, une relecture, depuis le présent de l'écriture, des significations que recèle le passé revisité par le narrateur:

"Maintenant devant moi ce jeu de cartes postales:

Tenter de recomposer une vie pas à pas à partir de ces images muettes des feuilles mortes dérisoires souvenirs, de carton. Haroun! il écrivait peu parfois une signature une trace de vie. " (1980, p. 17).

En toute logique sémiotique, notamment énonciative, il s'effectue, de par la manifestation des indicateurs temporels, "maintenant" et actantiel, "moi ", une identification entre l'instance de l'énoncé et celle de l'énonciation. C'est ce que l'on désigne par la procédure d'embrayage'32. Le raconté est en effet embrayé sur le racontant dont il tire sa pertinence. Or, cette coïncidence d'ordre verbal entre les deux instances se double d'une autre, visuelle, où les cartes postales et les mots s'identifient parfaitement les uns aux autres. Là aussi, le narrateur soumet les images en jeu à une lecture interprétative, mais de telle sorte que ce soient les images elles-mêmes qui génèrent le texte. On rejoint alors la forme sémiotique complexe d'image-texte. Or, qu'est-ce que l'image-texte, sinon une création verbale qui s'exerce essentiellement à partir d'un décryptage de signes visuels dans l'immédiateté de l'instant propre à l'acte d'écrire lui-même?

D'autre part, l'on passe du présent à la présence, au sens poétique du terme, telle que celle-ci se dessine dans l'œuvre d'Yves Bonnefoy. D'après ce poète, non des moindres, la poésie ne se limite pas à décrire la présence, mais "la suscite, dans notre vie, par un retournement du mot contre le concept "133 La réalité immédiate est si présente que les mots semblent lui faire écran. Autrement dit, la narration se construit avec des images qui, elles à part entière. Il y a comme une synergie entre le langage interprétatif et le métalangage analytique. C'est ainsi que le scripteur devient sémioticien, et le sémioticien scripteur - croyons- nous. Or, ce syncrétisme des deux instances lecturale et scripturale, c'est le transcripteur qui en garantit la possibilité d'être.

Par ailleurs, vu l'image-texte, on aura reconnu la figure d'allégoricien ou passeur d'images, très proche de celle de transcripteur, sur laquelle sont bâties aussi bien l'écriture malehienne que la pensée benjaminienne. En consacrant une oeuvre tout entière à W. Benjamin, M.-C. Dufour El Maleh écrit à juste titre: "Lire ce qui n'a jamais été écrit, arracher leur secret aux choses dans leur présence matérielle, dans leur visibilité, dans leur image donc, texte non écrit, et qui ne s'écrit que par la lecture que l'on en fait. Chez l'un comme chez l'autre, se met en scène une transcription du monde taillé à même la blancheur paginale et qui ne cesse toutefois de tendre vers son propre effacement. On comprend un peu pourquoi à peine le Parcours immobile commence-t-il qu'il semble déjà toucher à sa fin

" Itinéraire le long des plis d'un linceul. Géométrie blanche, matrice d'une preuve éclatante. Ecoutez Parcourez le silence. " (1980, p. 7).