Alcoolisme : ces nouveaux traitements qui ne passent plus par l'abstinence totale

Publié le 08 janvier 2014 par Mouze
Même si l'abstinence reste l'objectif final des traitements administrés aux personnes alcooliques, le postulat des Alcooliques anonymes, selon lequel il faut interrompre sa consommation sans phase transitoire, est quelque peu remis en cause.

Atlantico : La plupart des buveurs rencontrant des difficultés face à leur consommation d'alcool choisissent l'abstinence totale pour remédier à leur addiction. Ce rejet de la demi-mesure a été initié par les Alcooliques Anonymes, selon lesquels il faut accepter sa faiblesse face à l'alcool, et l'arrêt complet et direct est la seule voie possible. Ce postulat vous parait-il véridique ?
Fatma Bouvet de la Maisonneuve : C'est actuellement un débat important dans notre discipline, nous l'avons avec nos patients tout comme avec les anciens buveurs, notamment les AA. L'abstinence totale et définitive est ce que nous avons appris lorsque nous faisions nos études. Je ne pense pas que les AA en aient fait un postulat intangible. Leur idée est plutôt qu'il faut accepter sa faiblesse, et les patients nous expliquent souvent qu'il est plus facile de ne pas  toucher à l'alcool du tout que d'avoir à se limiter. C'est surtout vrai pour ceux qui ont une consommation dipsomaniaque (boire une grande quantité et très vite). Aujourd'hui et avec l'expérience, nombreux sont les praticiens qui ont évolué sur cette question et se sont rendu compte que l'essentiel est que leur patient reste dans le parcours de soins pour garder le contact et le soulager d'une façon ou d'une autre. Donner le choix est toujours garant d'une meilleure adhésion aux soins et, avec le temps, permet de passer doucement d'une consommation contrôlée à l'abstinence.
Bankole Johnson, chef du département psychiatrique de l'université de médecine du Maryland et chercheur, explique que l'abstinence est le but, mais qu'il existe divers moyens d'y arriver. Tendre vers l'abstinence via une consommation contrôlée, est-ce un projet réalisable ou utopique ?
Cela dépend des tableaux cliniques, des comorbidités (troubles qui coexistent à l'alcool, comme la dépression ou les troubles anxieux, pour lesquels l'alcool est une automédication), de la durée, du mode de consommation. Mais il faut reconnaître que l'idée de l'abstinence totale annoncée dès les premiers RDV dissuade de nombreux patients, qui, de fait renoncent alors aux soins. Dans la pratique, même si certains acceptent ce principe d'emblée, ils n'y parviennent que très rarement du premier coup et doivent prendre divers chemins. Ce qui est indispensable, quelles que soient les voies empruntées, c'est la prise en charge médicale, psychologique et aussi sociale car les complications sociales sont nombreuses et si elles ne sont pas accompagnées, elles sont un facteurs d'aggravation de la maladie.
En addictologie comme en médecine, le résultat d'un parcours de soins dépend de plusieurs facteurs. Pour l'alcool il est fonction de la personnalité du patient, de l'environnement et des troubles associés. Si tous les voyants sont au vert, le pronostic sera considéré comme bon et le patient soulagé. Certains traitements actuellement sur le marché (et d'autres à venir) sont efficaces pour  aider certains patients, notamment les gros buveurs, à parvenir à une consommation modérée. Mais ces mêmes traitements peuvent se révéler inefficaces en termes de contrôle de la consommation. Il faut dire que la consommation contrôlée est cliniquement difficile à différentier d'un moment de rechute vers une consommation excessive préexistante. Cette situation de ne pas savoir où on en est est parfois déstabilisante pour les patients. Ils peuvent se demander si un abus à une occasion particulière n'est pas un début de rechute. Il arrive aussi que des patients soient déçus par cette méthode et disent se sentir en danger s'ils ne s'arrêtent pas complètement.
Quoi qu'il en soit, l'essentiel est d'en parler, de rassurer et de revenir à l'objectif que nous, les médecins, nous nous sommes fixé avec lui. Ce qu'il faut retenir dans ce domaine, c'est la complexité de cette maladie. Il s'agit de ne pas donner de faux espoirs aux patients, mais de les accompagner du mieux que l'on peut, et surtout de les garder dans les circuits de soins tant les complications peuvent être lourdes en cas de chronicisation de la maladie.
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