[anthologie permanente] Patrick Beurard-Valdoye

Par Florence Trocmé

Patrick Beurard-Valdoye publie Gadjo-Migrandt aux éditions Flammarion.  
 
 
le morave orage avait été si violent que les detlene étaient réapparus sigo rôdant autour des kumpania le vent avait soufflé la nuit remplie de kamps les âmes des enfants mort-nés s’accrochaient aux brancards aux duris des roulottes chahutées elles hurlaient entre deux éclairs khariben appels shors furieux les plus courageuses des mères bravaient l’effroi du tam et battants de la roulotte tout ouverts face à l’obscur les tsiganes s’époumonaient à crier une kyrielle de prénoms et même parmi eux des noms que personne n’avait jusqu’alors entendus des crénoms à tue-tête des vorbas redoutables car inconnus pour que les petites âmes s’évadent de leur ekel recouvrent l’amour d’une mère or elles hurlaient or hurlaient les cris du ventre surpassaient ceux du vent jusqu’à ce que l’orage noir s’apaisât que les tempéries fassent fuir les detlene respimés dans le n’ikay du nulle part alors les mères s’effondraient aphones en pleurs et fiévreuses tellement soulagées cependant d’avoir retrouvé leurs enfants sképimés 
 
 
ces vallons en forme de seins vallées en gorge érogène et la chair lisse attirante des pentes dénudées bandées vers les forêts pubiennes et le flux des rus appelant l’élan tous ces ruisseaux et la libidineuse onde au loin la Libina les humides humus en leurs bords les plantes leurs sécrétions dont les femmes extrayaient le secret 
jaune millepertuis odorante anti-mélancolie vert alchémille le pied de lion anti-règles abondants blanc l’herbe des anges anti-règles douloureuses violet passiflore anti-neurasthénique mauve pervenche stoppant la lactation blanc d’aspérule odorante la reine des bois antispasmodique rose gentiane centaurée le fiel de la terre anti-anémique anti-asthénique violet sauge la bien portant anti-charmes et stérilité féminine 
feuilles ajourées trouées toutes ces herbes où le daim dama et sa dame se dissimulaient mal envoisinés jusqu’à être débusqués.  
 
 
car du haut des choses l’homme au cœur du cercle des idées se désincarcérait chaque fois qu’il le pouvait malgré son âge il montait sur les sommets de préférence au château de Hukvaldy son hrad en ruine l’accès depuis la maison longeait le muret laissé à gauche sentier à peine herbé semé de racines puissantes ouvert par un frêne fendu en amande géante suivi d’un hêtre royal en trident le chemin était entravé d’éclats lapidaires ou de travers racineux parfois l’absence de terre autour révélait de squelettiques phalanges actives il y avait aussi en contrebas le tronc fourchu aux yeux cicatrisés et dans le trident une toile d’araignée en masque deux orbites un trou de bouche celui du nez un masque mortuaire dilapidé laissant sans voix.  
 
 
Patrick Beurard-Valdoye, Gadjo-Migrandt, Flammarion,  pp.45, 47 et 49 
 
 
Patrick Beurard-Valdoye dans Poezibao : 
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