Bitcoin : plus qu’une monnaie, un potentiel d’innovation

Publié le 16 janvier 2014 par Copeau @Contrepoints
Analyse

Bitcoin : plus qu’une monnaie, un potentiel d’innovation

Publié Par David Descôteaux, le 16 janvier 2014 dans Monnaie et finance

Tour d’horizon du phénomène Bitcoin pour mieux comprendre les enjeux qu’il soulève, ses avantages et ses handicaps à surmonter.

Par David Descôteaux, depuis Montréal, Québec.
Un article de l’Institut économique de Montréal.

La monnaie numérique Bitcoin attire régulièrement l’attention de la presse financière depuis quelques mois. Vendu pour une fraction d’un cent américain à ses débuts en 2009, le bitcoin a vu sa valeur surpasser les mille dollars américains à l’automne 2013 sur les marchés, pour ensuite chuter en décembre. Son prix fluctue énormément, au gré des nouvelles innovations mais aussi des décisions positives ou négatives des gouvernements et des banques centrales concernant son utilisation. Le système Bitcoin est-il là pour rester et pour faire partie intégrante de notre vie économique ?

Quelle que soit l’issue de cette expérience particulière, les innovations rendues possibles par les nouvelles technologies de l’information ont le potentiel de révolutionner les questions monétaires et financières. Cet article propose donc un survol du phénomène Bitcoin pour mieux comprendre les enjeux qu’il soulève.

Qu’est-ce que Bitcoin ?

Bitcoin est à la fois un système de paiement et une monnaie1. Cette dernière est créée électroniquement et échangée entre utilisateurs sans avoir recours à un intermédiaire financier. En téléchargeant un logiciel gratuit (ou une application dans le cas d’un appareil mobile), un utilisateur acquiert un porte-monnaie personnel qui lui permet d’acheter, d’envoyer et de recevoir des bitcoins. Chaque porte-monnaie possède une adresse distincte alphanumérique, un peu comme un compte bancaire. Chaque transaction, que ce soit un paiement pour des biens ou services, l’achat de bitcoins sur une place d’échange ou simplement le transfert de bitcoins entre deux personnes, est protégée par une signature cryptographique (une clé privée associée à chaque porte-monnaie). Au besoin, la transaction se fait de façon quasi anonyme2.

Ce qui distingue principalement les bitcoins des monnaies traditionnelles, c’est qu’ils sont créés et échangés sur un réseau décentralisé qui n’appartient à personne en particulier. Comme dans le cas du partage de fichiers musicaux ou de films, Bitcoin utilise un protocole de transfert de données de pair à pair. Le bon fonctionnement du réseau n’est donc pas confié à une autorité quelconque, mais repose plutôt sur la fiabilité de son protocole cryptographique. Celui-ci renferme des procédés qui visent à empêcher quiconque de dépenser les fonds d’un autre utilisateur ou de dépenser deux fois le même bitcoin, ainsi qu’à s’assurer que les nouveaux bitcoins sont créés selon les règles du système.

Concrètement, ces caractéristiques — réseau décentralisé et sécurité cryptographique — font que l’utilisateur n’a pas à remplir des formulaires contenant des informations personnelles, ou à payer des frais de transactions à une tierce partie pour que celle-ci traite le paiement (comme c’est le cas de transactions avec des entreprises comme Visa ou PayPal, par exemple).

Cela ne fait pas pour autant de Bitcoin un système opaque. À certains égards, il est même plus transparent que le système monétaire actuel. Au cœur de Bitcoin se trouve la « chaîne de blocs », soit un registre accessible publiquement sur Internet dans lequel sont regroupées chronologiquement toutes les transactions effectuées dans le réseau depuis ses débuts. Pour qu’une transaction soit incluse dans la chaîne de blocs, elle doit d’abord être validée, ce qui nécessite de résoudre un problème mathématique complexe.

C’est ici qu’entrent en jeu les « mineurs », généralement des technophiles provenant des quatre coins de la planète équipés de matériel informatique performant. Ceux-ci valident les transactions et s’assurent que la chaîne de blocs est valide et complète à chaque instant. Ils sont récompensés pour leurs services par l’octroi des bitcoins nouvellement créés3 et par la perception de frais minimes pour les transactions qu’ils confirment.

Cette activité est appelée « minage » (mining) par analogie à l’extraction de métaux rares. Le protocole Bitcoin est conçu de façon à ce que les nouveaux bitcoins soient créés à un rythme fixe et décroissant au fil du temps, jusqu’à ce que l’émission de nouvelles unités monétaires s’arrête complètement lorsque 21 millions de bitcoins seront en circulation4.

À ce titre, Bitcoin peut être vu comme une solution de rechange aux monnaies nationales qui subissent une dépréciation constante dans les pays où la banque centrale a tendance à augmenter continuellement la masse monétaire. Il peut également servir d’outil de protection face à la possibilité qu’un gouvernement impose un contrôle des capitaux, puisque Bitcoin ne peut être contrôlé par aucun gouvernement.

Le bitcoin, une « monnaie courante » ?

Bitcoin a-t-il le potentiel de devenir une forme de monnaie que l’on utilise à grande échelle dans nos échanges de tous les jours, au même titre que le dollar canadien ? De façon générale, une monnaie consiste en un actif utilisé régulièrement pour acheter des biens et services. La valeur d’une monnaie dépend donc de l’utilité que les gens lui confèrent. Et cette utilité dépend à son tour de la confiance des utilisateurs envers la monnaie et de l’adoption de celle-ci par un grand nombre de consommateurs, épargnants et commerçants.

Or, les bitcoins sont acceptés comme monnaie par un nombre grandissant de commerces et d’entreprises de toute sorte, des hôtels et restaurants en Europe à une clinique de correction des yeux au laser au Colorado. Une université à Chypre accepte que les étudiants payent leurs frais de scolarité en bitcoins. Et des guichets automatiques distribuant et acceptant des bitcoins en échange d’argent liquide sont maintenant en service à quelques endroits sur la planète, dont Vancouver.

L’utilisation des bitcoins demeure tout de même marginale par rapport aux monnaies comme le dollar américain ou l’euro. Les récents développements laissent cependant croire que cette utilisation est appelée à grandir. En particulier, le nombre de commerces acceptant les bitcoins et le nombre de transactions effectuées sur l’un des principaux sites de traitement ont tous les deux plus ou moins doublé pendant le mois de novembre 20135. Le nombre d’utilisateurs du porte-monnaie Bitcoin My Wallet, l’un des plus populaires au monde, a quant à lui été multiplié par dix durant l’année 2013.

Une des principales raisons de l’usage grandissant de Bitcoin par les commerces et les consommateurs est qu’il permet de réduire les coûts de transaction. Les banques, sociétés de cartes de crédit ou services de paiements en ligne facturent des frais aux commerçants qui offrent à leurs clients de payer par carte de débit ou crédit, ou avec leur compte PayPal. Une partie de ces frais est généralement refilée aux clients sous forme de hausse de prix des produits et services. L’utilisation de bitcoins peut donc permettre à certaines entreprises, plus touchées par ce type de coûts, de les réduire.

Le transfert d’argent international (par exemple, les versements effectués par des travailleurs étrangers à leur famille vivant toujours dans leur pays d’origine), où les frais de transaction sont relativement élevés, est aussi une avenue prometteuse pour Bitcoin, selon plusieurs spécialistes6. L’usage de bitcoins a donc le potentiel de bonifier l’offre de services financiers dans la mesure où les frais de transactions demeureront bas et les délais de confirmation de ces transactions resteront courts.

Par contre, Bitcoin comporte aussi des désavantages sur le plan commercial. Notamment, il peut être difficile — voire impossible — d’obtenir un recours en cas de fraude, car les transactions sont irréversibles une fois confirmées dans la chaîne de blocs (à moins que la personne avec qui vous transigez accepte de vous rembourser)7. Toutefois, la force de Bitcoin étant qu’il est une plateforme technologique sur laquelle plusieurs nouvelles applications peuvent se greffer, on peut s’attendre à ce que divers services de protection des consommateurs soient offerts par des entreprises technologiques dans un futur rapproché8.

Un exemple récent de ce type d’innovations a permis de minimiser les problèmes liés à la grande volatilité actuelle de la valeur des bitcoins. Celle-ci a nui jusqu’ici à leur adoption par les commerçants, qui craignent d’accepter des paiements en bitcoins et de voir ensuite leur valeur diminuer de façon importante quelques minutes ou quelques heures après la transaction. Plusieurs entreprises offrent maintenant aux commerçants de faciliter l’usage des bitcoins pour leurs transactions et de leur garantir un taux de conversion en dollars américains, moyennant un frais minime9.

Ce genre d’innovations, bâties sur le protocole Bitcoin, peut aussi s’avérer prometteur pour les banques et le secteur de la finance en général. Grâce à son caractère novateur, l’infrastructure de Bitcoin pourrait servir de plateforme technologique aux marchés des actions, de l’assurance ou de tout autre produit ou service bancaire. Ceci ouvre donc la porte à de nombreuses possibilités dont peuvent profiter les institutions financières pour améliorer leur offre de produits10. Dans les mots d’un économiste de la Réserve fédérale américaine, Bitcoin « représente un accomplissement conceptuel et technique remarquable, qui pourrait bien être utilisé par les institutions financières en place (…) ou par le gouvernement lui-même »11.

Des handicaps à surmonter

Malgré ses nombreux avantages, Bitcoin souffre de quelques handicaps majeurs qui nuisent toujours à son développement.

La facilité avec laquelle on peut effectuer des transactions de façon quasi anonyme avec des bitcoins permet des activités illégales comme la fraude et le blanchiment d’argent. En octobre 2013, le FBI a par exemple fermé le marché de vente de produits illicites Silk Road, qui utilisait Bitcoin comme moyen de paiement. Bitcoin peut aussi servir à l’évasion fiscale si les transactions ne sont pas déclarées au fisc. Enfin, les utilisateurs ne sont pas entièrement à l’abri des pirates informatiques et du vol électronique.

Il importe toutefois de souligner que ces risques ne sont pas si différents de ceux associés à l’argent sonnant — qui demeure d’ailleurs plus anonyme que Bitcoin — ou aux cartes de crédit. Il importe aussi de relativiser l’ampleur des actions potentiellement illégales effectuées avec l’aide de bitcoins, par exemple en comparant celles-ci avec l’économie souterraine en général, qu’on estime à environ 2000 milliards de dollars aux États-Unis12.

Lors des récentes audiences sénatoriales au sujet des monnaies virtuelles, un représentant des services secrets américains a minimisé l’importance de l’utilisation de bitcoins à des fins criminelles, affirmant que « dans le cadre de nos enquêtes, nous constatons que les cybercriminels d’envergure internationale n’ont pas, de façon générale, bifurqué vers les monnaies cryptographiques comme Bitcoin »13. Ce qui ne veut pas dire pour autant que cette tendance n’ira pas en augmentant.

La volatilité de la valeur des bitcoins entraîne également des coûts et des risques. Cette volatilité aura toutefois tendance à diminuer à mesure que l’usage des bitcoins en tant que monnaie d’échange se répandra, ce qui réduira la capacité d’un petit nombre d’acteurs d’influer sur leur cours.

Enfin, et de façon plus cruciale, Bitcoin œuvre en ce moment à l’intérieur d’une zone grise d’un point de vue juridique. Plusieurs banques centrales, comme celle de Chine et de France, ont exprimé de sérieuses réserves à son endroit. Dans d’autres pays, les autorités ont fait preuve de plus d’ouverture. En Allemagne, par exemple, le gouvernement a officiellement reconnu Bitcoin comme une monnaie privée, donc légitime et soumise aux lois fiscales14. Revenu Canada, la seule autorité gouvernementale canadienne à s’être penchée officiellement sur Bitcoin, n’a émis qu’un court communiqué à l’effet qu’il considérait les bitcoins comme de simples biens échangés dans un système de troc, et non comme une monnaie ou un actif financier. Autrement dit, le Canada n’a pas encore officiellement pris de position détaillée dans ce dossier15.

Pour que le développement de Bitcoin se poursuive, un cadre juridique et réglementaire approprié devra être adopté pour mitiger les risques et craintes qui demeurent présents16. Un tel cadre pourrait renforcer la confiance des consommateurs, commerçants et investisseurs dans Bitcoin, et favoriser ainsi son usage à grande échelle.


Sur le web.

  1. On attribue la paternité de Bitcoin à un individu ou groupe qui se présentait sous le pseudonyme de Satoshi Nakamoto, mais sa réelle identité n’a jamais été confirmée. Il a publié en 2008 un document décrivant le protocole Bitcoin.
  2. Bien que l’anonymat puisse être renforcé par une série de mesures que l’utilisateur peut prendre, il ne sera jamais complet. Des chercheurs d’une université suisse ont démontré, à l’aide d’une simulation, que le profil d’environ 40% des usagers pouvait être découvert même si ceux-ci adoptaient les mesures de confidentialité recommandées par la communauté Bitcoin. Voir Elli Androulaki et. al., « Evaluating User Privacy in Bitcoin », Lecture Notes in Computer Science, vol. 7859, 2013, p. 34.
  3. Le nombre total de bitcoins augmente d’une quantité préétablie chaque fois qu’un bloc est ajouté à la chaîne de blocs. Ces nouveaux bitcoins sont donnés à ceux qui résolvent les problèmes mathématiques associés. Voir Maria A. Arias and Yongseok Shin, « There Are Two Sides to Every Coin—Even to the Bitcoin, a Virtual Currency », The Regional Economist, Réserve fédérale de St-Louis, octobre 2013, p. 1.
  4. Il y avait, en date du 6 décembre 2013, plus de 12 millions de bitcoins en circulation selon le site Bitcoinscharts.com.
  5. Joon Ian Wong, « CoinMap: Bitcoin-Accepting Merchants Increased 81% in November », Coindesk, 28 novembre 2013; Joon Ian Wong, « BitPay Sees 6,260% Increase in Bitcoin Black Friday Sales », Coindesk, 3 décembre 2013.
  6. C’est le cas notamment de l’analyste David Woo, chez Bank of America Merrill Lynch. Voir Joe Weisenthal, « This Is, Quite Simply, The Biggest Endorsement That Bitcoin Has Ever Received », Business Insider, 5 décembre 2013.
  7. Une étude du Mouvement Desjardins note que « si les frais de compte, de change et de transaction sont faibles avec les cryptomonnaies, c’est notamment parce qu’il n’existe pas de protection et de recours en cas de préjudice pour les utilisateurs. Dans le système monétaire traditionnel, plusieurs composantes œuvrent à la protection des citoyens, mais ces structures ont un coût ». Hendrix Vachon, « Les limites des monnaies du type bitcoin », Études économiques, Mouvement des caisses Desjardins, 21 novembre 2013, p. 4.
  8. Une nouvelle entreprise, Bitrated, lançait déjà ce type de service en décembre 2013. Vitalik Buterin, « Bitrated: You Can No Longer Say Bitcoin Has No Consumer Protection », BITCOIN Magazine, 10 décembre 2013.
  9. L’entreprise Bitpay, entre autres, affirme sur son site Web fournir ce service auprès de plus de 12 000 commerçants et organismes de charité (en date de décembre 2013).
  10. Jerry Brito et Andrea Castillo, Bitcoin: A Primer for Policymakers, Mercatus Center at George Mason University, 2013, p. 16
  11. François Velde, « Bitcoin: A Primer », Chicago Fed Letter, Réserve fédérale de Chicago, décembre 2013, p. 4.
  12. Richard Cebula et Edgar L. Feige, « America’s Underground Economy: Measuring the Size, Growth and Determinants of Income Tax Evasion in the U.S. », MPRA Paper No. 29672, University Library of Munich, 2011, p. 17.
  13. Témoignage d’Edward Lowery, agent spécial des services secrets américains, devant le comité sénatorial sur les monnaies virtuelles, 18 novembre 2013.
  14. « Germany lends real value to bitcoin virtual money », Deutsche Welle, 22 août 2013.
  15. Agence de revenu du Canada, « Que devez-vous savoir à propos de la monnaie numérique? », Communiqué de presse, 5 novembre 2013.
  16. L’IEDM se penchera plus en profondeur sur ces enjeux dans le cadre d’un Cahier de recherche à être publié d’ici l’automne 2014.
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