Salle 5 - vitrine 6, côté nord : 8. un meunier d'exception (n 792/e 2749)

Publié le 21 janvier 2014 par Rl1948

Or la beauté, c'est tout. Platon l'a dit lui-même :

La beauté, sur la terre, est la chose suprême.

C'est pour nous la montrer qu'est faite la clarté.

Rien n'est beau que le vrai, dit un vers respecté ;

Et moi, je lui réponds sans crainte d'un blasphème :

Rien n'est vrai que le beau ; rien n'est vrai sans beauté.

Alfred de MUSSET

Après une lecture

dans Poésies nouvelles

Paris, Bibliothèque-Charpentier,

p. 240 de mon édition de 1891

     Au centre de la seconde étagère en verre jouxtant le bas-relief que je vous ai donné à voir mardi dernier, souvenez-vous amis visiteurs, et sur laquelle, le 10 décembre, nous eûmes déjà le privilège de découvrir des pains vieux de quelque 3500 ans,  a été déposée, par le Conservateur en charge de la vitrine 6 de la salle 5 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre, une statuette pour le moins singulière.

(© SAS)

     La présence d'un aussi petit monument franchement perdu dans cette grande vitrine s'explique par l'évidente connotation avec le pain. Mais si le cartel

indique qu'il propose, telle une offrande, un broyeur et une meule, cette dernière semblable à une moitié du modèle en bois peint provenant du Moyen Empire exposé devant lui,  (E 2725 - © C. Décamps),

   

les annotations hiéroglyphiques gravées permettent d'indéniablement avancer qu'il figure un meunier courbé sur la pierre creuse pour broyer des grains.

     Personnellement, j'eusse préféré découvrir cette figurine dans un autre environnement : au sein du parcours chronologique, au premier étage ci-dessus, en salle 24, la première des cinq dédiées au Nouvel Empire et, surtout, dans d'autres conditions de mise en évidence : ainsi l'eussé-je bien vue seule, au centre d'une haute vitrine-tube quadrangulaire que l'on pourrait aisément contourner, pas très large évidemment et à l'intérieur de laquelle quelques miroirs grossissant judicieusement agencés permettraient d'en estimer tous les détails à leur juste beauté, à leur juste finesse.

     Alors là, et là seulement, j'eusse pu vous dire ... Oh ! bien des choses en somme ...

     Par exemple que, dans cette position quasiment à plat ventre qui certainement vous semblera de prime abord fort originale ou peu protocolaire eu égard au rang social du personnage, - attitude d'un serviteur au travail ou attitude de prosternation et d'offrande ? -, elle représente le fils aîné d'Amenhotep III et de la grande épouse royale Tiy, héritier présomptif du trône, Djehoutymès ou, selon la langue maternelle des savants qui lui ont consacré quelque attention, Djhutmose, ou aussi Thoutmès, voire Thoutmosis comme il leur arrive de le nommer depuis les Grecs anciens.

  

(© C. Larrieu)

     Et j'eusse alors pu ajouter que, provenant de la collection personnelle d'Antoine-Barthélémy Clot-Bey (1793-1868) dont la majeure partie fut cédée à la ville de Marseille où ce médecin grenoblois finit ses jours, et quelques pièces vendues au Louvre, dont celle-ci en 1852, ce "meunier" en pierre dure sombre - de la grauwacke pour certains auteurs, de la serpentinite pour d'autres -, d'à peine 10,5 centimètres de long, 5 de haut et 2,22 de large, se tient penché la jambe gauche agenouillée, la droite complètement étendue et posant sur la pointe de doigts de pied recroquevillés.

     Vêtu d'un pagne ajusté à la taille par une ceinture décorée de stries, le haut du corps recouvert d'une peau de panthère mouchetée, il arbore une perruque ronde assortie d'une longue mèche tressée descendant sur la tempe droite ; semblables survêtement et tresse latérale constituant les attributs distinctifs de sa fonction de Grand Prêtre de Ptah.

     Ce détail, nullement anodin, m'eût alors permis d'attirer votre attention sur la formulation du cartel officiel qui, à mon sens, pêche pour le moins par confusion sémantique puisque Djehoutymès n'est pas représenté en meunier comme noté, - je sais : je pinaille un peu ! -, qu'il n'est pas habillé en meunier mais bien en officiant d'un culte ; memphite, ici en l'occurrence ! 

     S'il avait mieux été mis en lumière, j'eusse par exemple pu vous éclairer à propos de ces mentions hiéroglyphiques incisées sur trois de ses côtés car, en effet, elles nous fournissent d'intéressantes précisions identitaires. 

     Evoquant probablement le dieu Apis, puisque selon l'égyptologue française trop tôt disparue Agnès Cabrol, cette figurine proviendrait du mobilier de la tombe du taureau sacré, incarnation du dieu Ptah de Memphis ayant vécu à cette époque-là, le prince affirme, sur le côté gauche : Je suis le serviteur de ce noble dieu, son meunier 

     Sur la face frontale, vous eussiez pu lire : Encens pour le collège divin qui est dans le monde des morts ; comprenez : pour l'assemblée des dieux qui accompagnent ceux de la nécropole memphite, à savoir Sokaris, Osiris et Apis.

     Que soit illuminé le fils du roi, le (prêtre)-sem, Djehoutymès, eussiez-vous enfin pu déchiffrer sur le côté droit qu'à défaut, je me suis autorisé à reproduire ici à partir du cliché contenu dans un article de l'égyptologue anglais Aidan Dodson, référencé ci-dessous.

     A ces fonctions de prêtrise qui déjà identifient le prince adolescent, ou très jeune adulte, - qu'elles soient jugées honorifiques ou non par certains égyptologues -, je me dois d'apporter d'autres titres que, souvenez-vous amis visiteurs, le 19 octobre 2010, je vous avais énumérés quand nous avions admiré lesarcophagede son animal de compagnie exposé au Musée du Caire, ainsi : Chef des prêtres en Haute et Basse-Égypte et Grand des directeurs des artisans

    J'eusse également pu vous informer qu'en tant que statuette funéraire, le monument est classé par les égyptologues dans la catégorie des ouchebtis, à savoir : des petites représentations d'ouvriers agricoles dont les défunts souhaitaient se faire accompagner au sein de leur sépulture en prévision d'effectuer à leur place les travaux des champs de l'Au-delà ; figurines qui n'étaient pas sans rappeler certains des modèles de serviteurs de l'Ancien Empire.

     Rappelez-vous, je vous avais longuement entretenu à leur sujet en décembre 2010 quand, en Abousir, sous la férule d'archéologues tchèques, nous avions visité de conserve la tombe de Iufaa.

     Cette assertion que j'eusse pu vous faire eût alors revêtu une importance considérable : en effet, a contrario, elle vous permettait de comprendre que, puisque ouchebti de Thoutmosis il y a, décès de Thoutmosis il y a eu ! De comprendre aussi que si sur cet objet funéraire sont uniquement mentionnées ses activités sacerdotalesalors qu'il était l'aîné des deux fils du souverain, c'est qu'il n'eût pas l'opportunité de régner sur le Double Pays avant de mourir.

     Et d'ajouter que ce décès prématuré, - comprenez : avant celui d'Amenhotep III -, transforma notoirement le cours des événements dans la mesure où ce fut au puîné - Amenhotep IV/Akhenaton - qu'en droit de succession échut donc le trône d'Égypte.

     Là, très certainement, j'eusse coupé court à mes assertions, conscient qu'il m'eût fallu par la suite brosser un tout autre et très important pan de l'histoire de la fin de la XVIIIème dynastie ...

     Ici, Djehoutymès emprunte tout logiquement à un minotier la position d'une personne écrasant les grains sur une meule à l'aide d'un rouleau-broyeur puisque, vous venez de le constater, il se déclare meunier du dieu. Ce qui, toujours a contrario, vous permet de deviner que cette tâche spécifique exclut tout autre type de corvée agricole usuellement réservée à ces petits personnages funéraires.  

     J'eusse évidemment pu préciser que, tout à la fois portrait du défunt et serviteur divin : il prépare les pains pour Osiris, partant, comme tout défunt est assimilé à un nouvel Osiris, il assure par la même occasion sa propre subsistance -, cet ouchebti fait partie d'un corpus extrêmement rare - tout au plus une dizaine d'exemplaires ! - essentiellement mis au jour dans de riches tombeaux de l'époque d'Amenhotep III à Saqqarah ou dans ceux d'autres fils royaux de la XVIIIème dynastie et de l'époque ramesside.

     Et de compléter en spécifiant qu'au sein de ce corpus, il se distingue de la majorité des autres statuettes du genre dans la mesure où, même si sur le côté droit, il reprend scrupuleusement les quelques termes préliminaires habituels, le texte que vous seriez en droit d'attendre - le chapitre VI du Livre pour sortir au jour (Livre des Morts) - ne figure nullement.

     Chaouabti, oui, mais, à plusieurs points de vue, chaouabti d'exception.

     En outre, je pense qu'il m'eût aussi plu de terminer notre entretien en insistant sur le fait que cette petite figurine constitue un des brillants exemples du raffinement d'une époque bien distincte. 

     Et pour corroborer mon assertion, j'eusse inévitablement convoqué l'égyptologue belge Claude Vandersleyen pour qu'il consente à vous répéter qu'il la juge d'un style typique de la deuxième moitié du règne d'Aménophis III, ou Jocelyne Berlandini, sa collègue française, qui aurait acquiescé tout en mettant l'accent sur la délicatesse dans la finesse du modelé et l'harmonie des formesavant de conclure que des critères stylistiques tels que profil enfantin, bouche pulpeuse, oeil en amande,invitent à la dater en faveur du règne avancé d'Amenhotep III.

     Voilà en résumé tout ce que j'eusse souhaité vous expliquer, amis visiteurs, pour esthétiquement vous émouvoir par la beauté de cette statuette particulière si elle avait eu l'heur de jouir de conditions d'exposition optimales. 

      Mais là, parce que quasiment égarée au milieu de nulle part dans cette double grande vitrine 6 de la salle 5 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre,

parce que si minuscule, parce qu'à peine remarquée par les touristes pressés ou distraits, qu'espériez-vous que je vous en dise ?

BIBLIOGRAPHIE

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1974, Statuettes égyptiennes, chaouabtis, ouchebtis, Paris, Librairie d’Amérique et d’Orient Adrien Maisonneuve, pp. 66-8.

BERLANDINI-KELLER Jocelyne     

1997,Contribution aux "Princes du Nouvel Empire à Memphis", dansEtudes sur l'Ancien Empire et la nécropole de Saqqâra dédiées à Jean-Philippe Lauer, Montpellier, OrMonsp IX, Université Paul-Valéry, p. 99.

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WARMENBOL Eugène

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