Frédéric Escolle (1815-1902), dit Joli-Cœur de Salernes, Compagnon Étranger tailleur de pierre

Par Jean-Michel Mathonière

Notice biographique de Frédéric Escolle, dit « Joli-Cœur de Salernes », Compagnon Étranger tailleur de pierre (1815-1902), établie d'après la notice de G. Milcent, Compagnon chapelier du Devoir, publiée dans Les Muses du tour de France, n° 5 bis (1926), p. 134-135 :

Frédéric Escolle est né le 2 octobre 1815 à Salernes, dans le Var. Son père y exerçait le métier de maçon. À l’âge de 19 ans, il entame son tour de France. Employé par un Compagnon Étranger tailleur de pierre à Aubenas (Ardèche), il est alors reçu Jeune Homme dans la société du Devoir Étranger, sous le nom de Joli-Cœur de Salernes, puis Compagnon.

Retourné peu de temps après en son pays natal, le tirage au sort lui vaut sept années de service militaire. Incorporé au 18e de Ligne à Marseille, il y acquit le grade de caporal puis de sergent. Il suivit son régiment à Dijon, puis à Paris.

Rentré dans sa famille après sa libération, il retourne à Paris deux ans plus tard. Il y avait fait connaissance de nombreux Compagnons, ainsi que d’une jeune fille qu’il épousa en 1844.

...


Poète et chansonnier, pacifiste et adepte de la première heure des projets de réforme du compagnonnage d’Agricol Perdiguier (voir Le Livre du Compagnonnage, 2e édition, 1841), il prend part avec d’autres Compagnons au mouvement qui amènera Avignonnais-la-Vertu à siéger à l’Assemblée nationale, le 24 avril 1848. Il est également l’un des pivots de la grande manifestation de réconciliation compagnonnique du 21 mars 1848, à Paris, à laquelle participèrent plus de dix mille Compagnons de tous corps, chantant sa Marseillaise compagnonnique tout au long du cortège, de l’actuelle place des Vosges au Champ-de-Mars.


La réconciliation de 1848, d'après une lithographie éditée par Agricol Perdiguier.

Les tentatives d’Escolle, Perdiguier, Guillaumou, etc. pour la réconciliation des enfants des trois fondateurs se poursuivirent jusqu’au coup d’État de 1851. Toutes les associations furent alors dissoutes. Perdiguier, proscrit, s’expatria. Escolle, sous un nom d’emprunt afin d’éviter les poursuites, entretînt une correspondance régulière avec lui et continua d’œuvrer à la pacification des compagnonnages.

En 1857, la société des Compagnons étrangers lui décerna une récompense honorifique pour tous les services qu’il lui avait rendu. Une écharpe de soie, brodée et frangée d’or, avec l’inscription « Hommage au Poète Compagnonnique », lui fut remise. Délégué des Compagnons de Paris à la fête compagnonnique de Lyon en 1865, il fut porté en triomphe pour avoir composé et chanté La Lyonnaise, une chanson qui fit rapidement le tour de France. Dans cet élan, il fut l’un des fondateurs de la Société des Devoirs Réunis.

Frédéric Escolle, « Joli-Cœur de Salernes », avec sa couleur fleurie de Compagnon Étranger tailleur de pierre, portée autour du cou, et sa couleur d'honneur, portée en sautoir. À noter également une petite couleur fleurie portée à la boutonnière. Photographie, vers 1890, publiée par Les Muses du Tour de France, 1926.

Lors de la guerre de 1870, il fait partie de la Garde nationale, tout d’abord comme sergent, grade qu’il avait acquis lors de son service militaire, puis comme capitaine. Les évènements de la Commune le conduisent à quitter Paris, considérant que l’on pouvait faire le sacrifice de sa vie pour défendre sa patrie, mais non pour une guerre fratricide (Perdiguier, de retour d’exil, avait lui aussi pris de la distance avec la Commune).

En 1879, il est délégué de Paris au Congrès compagnonnique de Lyon, dont il assure la vice-présidence. Président des Compagnons Étrangers et des Compagnons Réunis de Paris pendant plusieurs années, il est encore délégué et vice-président du Congrès de Bordeaux en 1884. En 1889, il est délégué des Compagnons Étrangers au Congrès fondant l’Union Compagnonnique, congrès dont il assurera à nouveau la vice-présidence. Partisan de l’entrée de la société des Compagnons Étrangers dans la nouvelle association, il œuvra, non sans susciter des oppositions dans sa propre société, à ce projet qui n’aboutira vraiment qu’en 1897, par l’adhésion, en dernier, de la Chambre des Compagnons Étrangers de Paris.

Tout entier dévoué à cet idéal de fraternité compagnonnique, continuellement sollicité pour la sagesse de ses avis, il n’avait pu se créer une position professionnelle et matérielle le mettant à l’abri du besoin, les vieux jours et les infirmités venus. N’ayant pas de quoi se suffire à eux-mêmes, son épouse et lui trouvèrent refuge à la fin de leur vie à l’hospice d’Ivry (Seine). Joli-Cœur de Salernes y décéda le 28 juillet 1902.

Ses chansons ont été publiées par l'intermédiaire de nombreux opuscules :

Souvenir du 11 au 12 décembre 1849, hymne, Paris, imprimerie de Mme V. Stahl, 1850, in-4° , 1 p. Notice BnF.

Chansons de réception, Paris, 1852, imprimerie de Beaulé, 1852, in-8°, 4 p. (disponible sur Gallica et reproduit in-extenso ci-après). Notice BnF.

Marions nos couleurs, Paris, imprimerie de Beaulé, 1856, in-8° , 4 p. Notice BnF.

Les Autrichiens sur le Po, Paris, imprimerie de Beaulé, 1859, in-4° , 1 p. Notice BnF.

Discours et chansons du compagnon Escolle Jolicoeur, Paris, imprimerie de Beaulé, 1866, in-8° , 4 p. Notice BnF.

La Mère des compagnons étrangers, Paris, imprimerie de Jacquet, 1867, in-4° , 1 p., autographié. Notice BnF.

La Fraternelle, dédiée aux Sociétés mutuelles compagnonniques de France, Paris, imprimerie de Jacquet, 1867, in-4° , 1 p., autographié. Notice BnF.

Vive le bois d'Avron..., Paris, imprimerie de Vert frères, 1868, in-8° , 1 p. Notice BnF.

Chanson à chanter à mon enterrement, Paris, imprimerie de Vert frères, 1873, in-8° , 1 p.Notice BnF.

Mes souvenirs…, Paris, chez la Mère Veuve Taboureau, 1898, in-16°, 20 p., 2e édition (avec portrait). Mentionné par Roger Lecotté dans son Essai bibliographique sur les compagnonnages, d'après l'exemplaire de la bibliothèque d'Ernest Boyer.

——————————————————

 Chansons de réception
par Escolle, dit Joli-Coeur de Salernes, compagnon étranger.

 1852

 ——————————————————

LA TOUSSAINT.
Air connu.

Entendez-vous, la cloche sonne,
C’est la Toussaint, fête aux élus ;
On va porter une couronne
Pour les parents qui ne sont plus.
La fête, on la chôme à sa guise
Qui par des pleurs, le curé d’un sermon ;
D’autres en chœur chantent Soubise   }
Et nous, ici, nous chantons SALOMON. }(bis)

Grand Salomon, par ta sagesse
Tu fus au rang des immortels ;
Les Judéens, dans leur ivresse,
Ils te dressèrent des autels.
Thémis te donna la balance
Lorsqu’à tes pieds la vertu sanglotait ; (* son jugement)
Hommage à ta magnificence,
Nous fêterons ta gloire à ce banquet.

Tu fondas le compagnonnage
En enseignant la charité ;
Et par toi l’homme qui voyage
Ne doit chercher que l’unité.
Premier architecte du monde,
Premier auteur de la construction,
Partout, sur ta terre et sur l’onde
Nous chanterons tes lois, ô Salomon

Propagateur de la science,
Ton étendard fut l’équité ;
Tu nous donnas l’intelligence,
Pour devoir la fraternité.
A tes enfants, tailleurs de pierres,
En leur donnant et compas et crayons
Et l’amitié comme à des frères,
Tu leur as dit : je vous fais compagnons.

Initiés dans le mystère,
Nouveaux compagnons étrangers,
Prenons le compas et l’équerre
Et travaillons sans déroger.
Notre art, l’univers le contemple,
Il est redit par l’écho d’Apollon ;
A Dieu, jusqu’aux voûtes du temple.
Fais retentir le nom de compagnon.

Fils de David, auguste père,
Inscris cinq nouveaux compagnons ;
Sur ton grand registre annuaire ;
Accepte leurs réceptions.
Bénis de ta main paternelle
Tes jeunes fils, oh ! comble leur espoir !
Ils seront toujours avec zèle
Fermes soutiens de ton digne devoir.

——————————————————

L’ASCENSION.
Air de la Manola.

Voyez à l’horizon qui brille,
Aux ailes de feu qui sourcille
Et cette étoile qui scintille,
Flambeau qui plane l’univers ;
Elle se lève an sein de l’ombre
Et vient éclairer la pénombre,
Un ciel d’azur chasse un ciel sombre,
Admirons ses rayons divers.

Fils du vieux temple,
On nous contemple,
Que notre exemple
Soit imité,
Et qu’on se dise
Cette devise :
Amour, franchise,
Fraternité !
Allons. enfants de Salomon,
Rions, chantons, célébrons la sagesse,
C’est aujourd’hui l’Ascension ;
Fêtons le jour de la réception.

Que la vertu soit votre guide
Et la sagesse votre égide,
Soyez comme des héraitides
Pour le compas et le crayon ;
Sachez montrer votre science
Au faible sans intelligence :
Repousser toujours la jactance,
Est le devoir d’en compagnon.
Fils du vieux temple, etc.

Initiés, nouveaux confrères,
Vous connaissez tous les mystères
Des compagnons tailleurs de pierres,
Disciples du grand Salomon ;
Que nos chants lui rendent hommage,
Puisqu’il nous légua pour partage
Ce beau devoir pour héritage,
Rendons-nous dignes de son nom.
Fils du vieux temple, etc.

Grand fondateur de notre école,
Ton front brilla de l’auréole,
Des Judéens tu fus l’idole,
Premier propagateur des arts :
Assis au temple de Mémoire,
Ton sceptre rayonne de gloire ;
Comme l’ange de la victoire,
Sur nous tu fixes tes regards.
Fils du vieux temple, etc.

A ce que rapporte l’histoire,
Il n’a pas défendu de boire,
Ni d’aimer la femme, ii faut croire,
Car lui-même avait un sérail
Orné de plus de trois cents filles,
De la contrée les plus gentilles,
Abnéguant appas au roi drille,
Cheveux d’ébène et dents d’émail.
Fils du vieux temple, etc.

Après notre cérémonie,
Chantons tous avec harmonie
Et le travail et le génie,
Le vin, l’amour et la beauté ;
Vidons encore une bouteille,
Et quelle soit grosse et vermeille,
Honorons le jus de la treille
Qui donne bonheur et gaîté.
Fils du vieux temple, etc.

——————————————————

FRATERNITÉ COMPAGNONIQUE.
Air : J’ai des balles, j’ai de la poudre.

Compagnons de tous les Devoirs.
Puisqu’un même accord nous rallie,
Réunissons tous nos pouvoirs,
Fuyons la discorde et l’envie ;
Des siècles se sont écoulés
Dans les mépris et dans les haines,
Mais quel sang coulait dans nos veines ?
Oublions, ces jours sont passés.

Suivons le sentier des lumières,
Allumons le flambeau des arts,
Portons-lui chacun nos regards,
Soyons unis et soyons frères.

Oh ! vous qui gardez un remord,
Que la raison soit votre guide
Pensez quel serait votre tort
Si vous deveniez fratricide ;
Celui qui n’est pas de votre art,
Il possède un même génie ;
Pourquoi le blâmer, quelle envie !
De talent n’a-t-il pas sa part ?
Suivons, etc.

Respectons chaque société,
Si nous voulons qu’on nous respecte
Que partout la fraternité
Soit parmi nous l’unique secte ;
Que maîtres Jacques, Salomon
Soient nos deux héros pour devise,
Sans oublier maître Soubise,
Plus de scrupule pour un nom.
Suivons, etc.

Phœbus, resplendis tes rayons
Sur l’univers qui te contemple,
Thémis, va dire aux compagnons
Qu’Irène vient d’ouvrir son temple ;
Avec la pointe d’un compas,
Apollon grave au frontispice
Ces mots vertu, talent, justice
Que le temps n’effacera pas.
Suivons, etc.

L'homme pense parce qu'il a une main. Anaxagore (500-428 av. J.-C.)