La télé française au temps des nazis

Par Fmariet

Thierry Kubler, Emmanuel Lemieux, Cognac Jay 1940. La télévision française sous l'occupation, Paris, Editions Plume, Calmann-levy, 1990, 223 p.
L'histoire de la télévision en France ne commence pas, comme on le prétend souvent, en 1945. Développée dès les années 1930, la télévision française a fonctionné durant l'occupation nazie, et plutôt bien, sous le nom de Fernsehsender Paris. Produite depuis les studios de Cognac-Jay, elle utilise l'émetteur de la Tour Eiffel qui sert aussi pour les brouillages des avions "ennemis". Les deux auteurs content cette histoire de manière qui semble édulcorée, insistant sur l'aspect cordial et bon enfant de cette collaboration menée pour le grand bien de la technologie télévisuelle.
Fernsehsender Paris est inauguré en septembre 1943 ; il est placé sous le contrôle du commandement militaire allemand (Oberkommando der Wehrmacht). Il fonctionnera avec du matériel allemand (Telefunken). La télévision de Paris, parfois bilingue, était presque exclusivement destinée aux soldats allemands blessés, retour du front russe, soignés dans les hôpitaux de campagne de la Wehrmacht à Paris (Kriegs Lazaretten). Elle dispose d'un orchestre et d'un large programme de variétés. La guerre achevée, la collaboration avec Telefunken se poursuivra.
La lecture de cet essai journalistique, riche en anecdotes, est agréable. On y perçoit l'aveuglement des politiques qui ne comprennent pas l'enjeu sociétal et commercial de la télévision et y voient surtout un défi d'ingénieurs. On y perçoit aussi l'une des facettes de la collaboration quotidienne avec le nazisme : les soldats allemands comme les personnels français, qui travaillent ensemble (c'est exactement "collaborer") sont surtout préoccupés de leur confort, les uns fuyant le STO (Service du Travail Obligatoire en Allemagne), les autres, le front russe. On en oublierait presque, en lisant cette histoire quelque peu romancée, qu'en Europe, en même temps que s'élabore à Paris le divertissement des guerriers, on assassine  et les fours crématoires fonctionnent à plein régime...
Voir aussi :
ARTE, "Berlin und Vichy auf der selben Wellenlänge", 2013 ("Berlin et Paris sur la même longueur d'ondes").
Emmanuel Lemieux, On l'appelait Télé Paris. L'histoire secrète des débuts de la télévision française (1936-1946), Archipel, Paris, 2013, 250 p., 18,95 €