Roue libre douce amère en Vendée (beau portrait de femme au bord de la crise de nerfs)

Par Borokoff

A propos de Lulu femme nue de Solveig Anspach 

Karin Viard

A Saint-Gilles-Croix-de-Vie, après un entretien d’embauche qui a mal tourné, Lucie (Karin Viard), une mère de famille que tout le monde surnomme Lulu, décide de ne pas rentrer chez elle pour retrouver sa famille à Angers. En abandonnant son mari, agressif au téléphone, et ses trois enfants, Lulu va s’octroyer quelques jours à la mer. Quelques jours pour prendre du recul, pour se retrouver, le temps de trois rencontres qui vont bouleverser sa vie…

Bouli Lanners, Karin Viard

Adaptation d’une bande-dessinée éponyme d’Etienne Davodeau (2008),  Lulu femme nue est le beau portrait d’une quadragénaire en dépression qui éprouve le furieux besoin de souffler et de « faire le point » comme on dit sur sa vie à travers des rencontres inattendues et improbables et une roue libre tout en douceur et en improvisations sur les plages vendéennes.

Rien à voir avec Une autre vie d’Emmanuel Mouret, qui est une incursion ratée dans la romance et le drame passionnel. Mouret nous avait habitué à beaucoup mieux avec des comédies (gageons qu’il y retourne vite) très personnelles dont le ton décalé, subtil et délicat renvoyait à des dialogues délicieusement allusifs voire subversifs. Une autre vie rappelle un temps cette piste (métaphore des radars que l’éléctricien joué par Joey Starr installe dans la maison de la pianiste) avant de sombrer au point de concourir au navet de l’année. Peu de choses à sauver (quoi, d’ailleurs ?) en effet tant tout y est catastrophique, de la direction d’acteurs figée te désastreuse à la mièvrerie de l’histoire (on pense aux romans de la collection Arlequin), des clichés que le scénario égrène (la pianiste virtuose qui tombe amoureuse de son électricien) à un manque d’enjeux en général du film, d’intérêt pour une intrigue au goût de déjà vu. Et puis, pas très crédible (pour ne pas dire énervant) la Ledoyen qui perd l’usage de ses jambes à la suite d’un accident mais garde la banane, ne s’énerve et n’en veut jamais à son compagnon. La raideur des scènes, de leur enchaînement trouve en tout cas leur couronnement logique dans une chute aussi plate que prévisible. Un cauchemar à vite oublier, donc…

Claude Gensac, Karin Viard

Mais revenons à nos moutons. Ou plutôt à notre brebis égarée de Lulu. C’est d’abord sa rencontre avec Charles (Bouli Lanners) qui va lui redonner un brin de sourire. Charles est un séduisant marginal qui tient un camping. Systématiquement suivi par ses deux frères (inénarrables Philippe Rebbot et Pascal Demolon) qui sont comme des gardes du corps et des anges gardiens qui le protègent contre une éventuelle agression d’un ennemi que se serait fait Charles lors d’un court séjour en prison (« on était à deux doigts de l’erreur judiciaire »), c’est un type un peu paumé comme Lulu mais touchant. C’est en lui que la mère de famille va trouver du réconfort et une attention qu’elle n’a plus depuis longtemps chez elle.

Lulu se liera ensuite d’amitié avec la jeune serveuse d’un bar harcelée par sa patronne (Corinne Masiero) et pour qui elle prendra fait et cause puis avec une vieille femme rencontrée dans la rue (façon de parler puisque Lulu, désespérée, cherche d’abord à lui piquer sons sac !) à qui elle rendra un grand service.

Lulu femme nue vaut surtout pour la prestation émouvante de Karin Viard. Viard campe tout en retenue et en sensibilité, en sobriété et avec pudeur une femme en dépression et qui « galère » pour « rebondir » et retrouver un job, pas aidée par un mari « lourdingue » et qui la traite avec mépris au téléphone.

Le film comporte quelques longueurs, mais il vaut par le cadre dépaysant de ses beaux paysages de bord de mer et l’interprétation bien sentie, tout en finesse de ses acteurs, excellents et drôles à l’image de la fratrie jouée par Lanners et consorts.

Le film est assez réaliste qui dépeint, sur fond de misère humaine et sociale, les malheurs de Lulu, obligée de dormir sur la plage depuis que son mari lui a coupé les vivres. Pourtant, et c’est là une autre force et un atout du cinquième long métrage de Solveig Anspach (Haut les cœurs ! avec Karin Viard déjà, 1999), Lulu femme nue ne tombe jamais dans le jugement ni dans le misérabilisme, dans le pathos ou la complaisance. Au contraire, le film parvient à s’octroyer des parenthèses enchantées, des échappées poétiques, à l’image du frère de Charles (Demolon) dont la gestuelle comique et le jeu pantomime renvoient directement au cinéma comique muet du début du XXème siècle. Référence jouissive.

Ce souffle et ces trouées de lyrisme dans un ciel bien gris pour Lulu permettent à Anspach de trouver un juste équilibre dans sa chronique, à l’image de l’’humanisme et de la « douce amertume », du réalisme social et de l’humour, de la distance et de la capacité d’auto-dérision que ses sympathiques et attachants personnages (à l’exception du mari de Lulu) dégagent.

La dépression qui affecte Lulu la pousse paradoxalement à se tourner vers les autres et à s’y intéresser. En voulant aider des inconnus rencontrés au cours de ses pérégrinations, Lulu cherche à échapper à ses propres problèmes et au marasme qui la guette. Cette générosité et cet altruisme qui gagnent peu à peu la mère de famille sont amenés avec assez de finesse dans la psychologie (Lulu se fait parfois envoyer sur les roses quand elle veut trop rentrer dans la vie des gens et s’occuper de problèmes qui ne la regardent pas) pour en devenir contagieux. Subtilement, Anspach parvient à éviter l’écueil de la mièvrerie ou d’une bienveillance trop « cucu la praline », ce qui n’est pas une mince gageure en ces temps de disette littéraire, où des écrivains contemporains s’y adonnent et semblent même y avoir trouvé un filon inépuisable (Puértolas, Legardinier, Jonasson…), commercialement du moins. Bien sûr, on ne parle pas de tous les écrivains, et on vous conseillera notamment la lecture de l’excellent Mon pire ennemi est sous mon chapeau de Laurent Bénégui. Mais c’est une autre histoire…

http://www.youtube.com/watch?v=t8UeCQWrmhk

Film français de Solveig Anspach avec Karin Viard, Bouli Lanners, Claude Gensac, Philippe Rebbot, Claude Demolon, Corinne Masiero.. (01 h 27)

Scénario de Solveig Anspach et Jean-Luc Gaget d’après la BD d’Etienne Davodeau 

Mise en scène : 

Acteurs : 

Compositions de Martin Wheeler :