"Toute mon âme est là... pourquoi me réveiller ?"

Par Sandy458

Opéra de Rennes.

Par Pymouss (Travail personnel) [GFDL (http://www.gnu.org/copyleft/fdl.html) ou CC-BY-SA-3.0-2.5-2.0-1.0 (http://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0)], via Wikimedia Commons

Ce texte participe au concours "Ma plus belle émotion" de l'Opéra de Paris.

La visite de l’opéra Bastille s’annonçait comme une réjouissante approche de l’envers du décor. Notre groupe, composé d’amateurs plus ou moins aguerris  dans le domaine de la  musique et de l’art lyrique, suivait un guide impromptu, passionné et volubile. Bien qu’il sévissait habituellement et avec bonheur dans la littérature, son amour pour la musique en faisait l’un des êtres les plus à même de nous emmener à sa suite sur les chemins du partage de nos ressentis.

Lorsque notre guide s’arrêta net au pied de la scène et se tourna vers notre assemblée arborant son célèbre sourire malicieux,  nous savions déjà qu’il allait nous mettre à contribution…

« Vous m’avez écouté,  pendant toute cette visite,  vous parler de ce qui rend ce lieu si particulier, si porteur d’émotions toujours renouvelées et toujours aussi fortes. Et vous ? Quelle a été votre plus belle émotion ressentie à l’opéra ? »


Tournant sa question dans mon esprit, je me replongeais dans le passé, à la recherche de la saveur  du souvenir enfoui dans les méandres de mon cortex.

L’Opéra… le chant… la musique… l’ambiance… l’émotion… mon  émotion…

Par la magie de quelques évocations, la mémoire me revenait et la plus belle émotion, la première en l’occurrence,  vécue en ces lieux se redessinait devant mes yeux.

Ma première émotion ressentie à l’Opéra devait me laisser dans un état second, comme hors du temps et du monde de mes semblables.

Je m’étais longtemps contenter de badiner avec l’art lyrique, marivaudant de loin, en prenant garde à conserver une chaste distance qui dans d’autres circonstances aurait pu servir à préserver  des jeunes esprits loin de sentiments charnels naissant…

J’étais pourtant irrémédiablement attirée, viscéralement  magnétisée par ces voix hors du commun, par ces personnalités  extravagantes si hautes en couleur, ces musiciens virtuoses  contenus dans le cocon utérin de leur fosse, ces chefs d’orchestre possédés  aux gestes syncopés ou aussi suaves que la lascive arabesque dessinée par une  plume portée par le vent.

Cette ambiance m’ensorcelait au moins autant qu’elle m’impressionnait et je ressentais bien qu’un jour  ou l’autre, je succomberai, consentante, heureuse de faire tomber les dernières barrières qui me séparaient encore de l’enivrement que procure l’opéra.

Oh, je profitais bien déjà d’enregistrements sonores ou de représentations télédiffusées, de quelques démonstrations de l’art d’aspirants chanteurs lyriques, mais, passé l’attrait de ces premières approches, il me fallait sauter le pas pour me départir de la frustration de ne pas encore avoir osé me frotter à ce monde de déraison qui me tendait les bras de plus en plus ardemment et me murmurait à l’oreille de le rejoindre.

Ma plus belle émotion fut donc liée à la première fois où -  rougissante, intimidée et un peu empruntée-  je me décidais enfin à fouler le sol de l’Opéra Bastille.

Le Faust de Gounod était au programme de la saison lyrique 2011/2012 et il avait déjà été ma porte d’entrée vers l’art lyrique quelques années plus tôt.

Ah, le « rien » magistral  et douloureux du Docteur Faust en ouverture,  l’air des bijoux signant la perdition de Margueritte, la sarabande  démoniaque de Méphistophélès glorifiant l’avènement du Veau d’Or…

Je bénéficiais d’une version de concert imprévue et j’en garde aujourd’hui encore  la trace tenace d’avoir touché ainsi à la pureté de la musique, du chant et du jeu des artistes.

Sans artifices, dans sa nudité originelle, le sublime était révélé.

J’étais conquise, stupéfaite.

Est-il possible que cela ne puisse être que la simple expression du ravissement de l’esprit ?

Est-il possible qu’une telle félicité ne naisse que du savant assemblage de sons mélodieux ?

Le temps de la représentation, ma vie prit une dimension supplémentaire et bien que celle-ci soit temporaire je savais déjà que je souhaiterai ardemment la retrouver.

Le temps lui-même changeait de structure, il ne s’écoulait plus de façon régulière, il s'étirait, il se contractait jusqu’à  ce que la notion de durée s’efface.

Tandis que l’œuvre me prenait en sa possession, j’étais submergée par des émotions sublimées.

Là, je jurai avoir entendu des voix célestes, ici, je pensai  avoir eu une vision onirique…

Je touchais à la beauté à l’état pur. Une exaltation absolue, sans aucun doute !

Longtemps, j’ai cru que cette première rencontre avec l’opéra resterait ma seule et unique plus belle émotion.

Le premier émoi n’est-il pas  toujours le plus fort ?

Peut-on le réinventer  à chaque fois ?

Pourtant, j’allais connaître d’autres sentiments, vibrer de nouveau, m’enflammer mais jamais je n’oublierai ce Faust magistral, à la perfection dépouillée…

« Et vous ? Quelle a été votre plus belle émotion ressentie à l’opéra ? » La voix me parvenait étouffée, si lointaine…

« Toute mon âme est là… pourquoi me réveiller ? » songeai-je en admirant le décor à demi installé  pour la représentation de Werther…