[note de lecture] Jonathan Williams, "Portraits d’Amérique", par Jean-Pascal Dubost

Par Florence Trocmé

 
Dans un premier temps, on lit le seul nom de Williams sur la couverture, selon la charte graphique de l’éditeur, on pense immédiatement à William Carlos Williams, d’autant que le titre ne jurerait point dans la bibliographie de celui-ci ; et on se trompe : nous sommes devant une collection de photos et de textes juxtaposés d’un éditeur (Jargon press), photographe, poète, prénommé Jonathan ; inconnu en France, et un rien atypique et provocateur : « Qu’il s’agisse de poésie, de photographie, d’art brut visionnaire ou des personnes elles-mêmes, j’aime ce qui est bizarre, foldingue, autochtone, particulier, hors course, fantasque, naïf, personnel, ni convenu, ni convenable, ni commercial ni snob ni gentil », rapporte Rachel Stella en son introduction. Ce qui se conçoit aisément ; d’autant que la trentaine de photographies et textes de Williams choisis par le traducteur propose la photographie d’une Amérique, celle des artistes plasticiens, des photographes, des romanciers et des poètes, celle d’une Amérique qui dérange le « cretinus americanus », aussi dissemblables soient-ils, ces créateurs, tels Eddie Martin, illuminé mystique, dont l’œuvre était sa vie, excentriquement posé, et, portrait s’ensuivant, Aaron Siskind, en costume cravate et sérieux, austère, malgré le sourire en coin. Dissemblables acteurs critiques d’une Amérique sévère de la seconde moitié du 20ème siècle, cadrés au format carré, aussi bien photographique que textuel (par suite d’une petite infidélité du traducteur, qui a réduit à ce format un certain nombre des textes d’origine pour obtenir des objets qui se répondent). Lesdits textes de Williams ne commentent pas les photos systématiquement, mais évoquent des circonstances de rencontres, ou des aspects de l’œuvre du modèle, de sa vie, relèvent parfois de la notice biographique, souvent avec humour. « Y’a là/tous les visages de l’Amérique », écrivait le peintre Thorton Dial, dans un poème-commentaire d’un de ses tableaux ; il y a là, dans ces photos, une toute Amérique, sa diversité réunie dans l’intelligence artistique, cadrée mais hors cadre. L’artiste et éditeur (il a publié quelques-uns des poètes qu’il présente) s’est livré à un exercice d’admiration, glissant dans ses textes les influences que ceux-ci ont exercé sur lui (« Dès le premier jour, Olson [Charles] est devenu pour moi une source d’énergie »), glissant par-ci par-là des citations à lire comme des réappropriations d’art esthétique (« TOUT HOMME EST SON PROPRE INSTRUMENT », Charles Olson). La sobriété des clichés en noir et blanc égale la sobriété de l’écriture juxta, rien qui soit, comme le déclarait Williams,  « bizarre, foldingue », en apparence, car toute la subtilité est dans le léger décalage humoristique voire ironique entre les photographies et les textes, esquissant une mince ouverture derrière laquelle explose tout le fantasque et inconvenable de cette Amérique pensante. Ainsi, on croise le regard figé de noms connus en France, comme Allen Ginsberg, William Carlos Williams, Ezra Pound, Charles Olson, Louis Zukofsky, Henri Miller…, et de beaux inconnus, Paol Metcalf, James Harold Jennings, Thomas Meyer (traducteur du moyen anglais, du grec ancien, de l’hébreu, du chinois classique, du sanskrit)… Une prosopographie, que ce petit livre, si on le situe en contexte historique, comme description décalée (et critique) d’une période de l’histoire américaine. En fin de livre, Jacques Demarcq traduit et porte à notre connaissance un panel de l’humour poétique de Jonathan Williams, par la publication de poèmes formels dont les règles sont édictées consciencieusement, où la subjectivité s’énonce discrètement dans le choix des contraintes formelles, des tétraphores, des clerihews, et deux poèmes visuels. 
 
[Jean-Pascal Dubost] 
 
 
Jonathan Williams 
Portraits d’Amérique 
(traduction de Jacques Demarcq,  
introduction de Rachel Stella) 
éd. Nous 
96 p., 12 €