Thurston Moore l’interview

Publié le 07 février 2014 par Hartzine

À la question de savoir quelles étaient ses relations avec Sonic Youth - et en particulier Thurston Moore - Glenn Branca, alors interviewé par nos soins en prémisses de l’édition 2011 de la Villette Sonique (lire), n’y allait pas par quatre chemins : Il n’y a pas grand chose à dire. Nous sommes en contact occasionnellement, mais uniquement pour des raisons professionnelles. Même quand nous partageons une affiche ou que nous jouons dans le même festival, nous ne faisons que nous croiser. Pour la plupart des choses, nous ne faisons pas partie du même monde. Ce à quoi l’ancien disciple répond, au cours de l’entrevue qui suit – repêchée aux tréfonds de notre flegmatique insouciance -, J’ai vu Glenn pour la dernière fois il y a peut-être deux ou trois ans, lors d’une interview que je devais faire alors que je travaillais sur mon livre retraçant l’histoire de la No Wave (No Wave: Post-Punk. Underground. New York. 1976-1980, ndlr). Pas l’extase, donc. Mais, en soi, ne pas faire partie du même monde que Glenn Branca est plutôt une chose normale, voir rassurante, tant le visionnaire personnage a irrasciblement été complexe, incapable de la moindre concession. Que l’on s’appelle Thurston Moore ou pas. Lui qui – comme son compère Lee Ranaldo, Michael Gira des Swans ou Page Hamilton d’Helmet – a fait ses classes dans les diverses formations du génial compositeur de The Ascension (1981), avant d’être à l’origine, au sein de Sonic Youth, de l’une des plus fascinantes histoires de la musique contemporaine, dénombrant pas moins de dix-huit albums pour presque autant d’années de carrière. Une longévité et un statut d’icône de l’underground qui expliquent d’ailleurs en quoi le New-Yorkais s’est dérobé dès 1990 – et la sortie de Goo sur Geffen – de la galaxie d’un Glenn Branca n’ayant jamais succombé aux sirènes de la renommée et du pognon facile. Sans forcément vendre son âme, Sonic Youth s’est émancipé d’une No Wave à la fois anguleuse et viscéralement intellectualisée pour faire sienne une trajectoire plus pop, inoculant la verve noise sur la bande FM et accrochant les regards magnétisés de millions d’adolescents américains découvrant MTV. Des clips weirdos et instantanément cool - 100% en constitue un modèle, aujourd’hui suranné – aux tournées monstres en compagnie de Dinosaur Jr et Nirvana – immortalisées par le documentaire 1991, The Year Punk Broke - le groupe fut happé dans l’imaginaire référentiel de toute une génération tels les exégètes de la culture white trash – s’adjugeant les lauriers du Lollapalooza, bien loin des cénacles post-punk de Big Apple. Et si Thurston Moore ne s’est jamais rien interdit en terme d’expérimentation musicale et de relations humaines, ne se retranchant jamais dans sa bulle, la grande tige échevelée est ainsi devenue malgré elle une pop star. En témoigne le foin journaleux engendré par sa séparation avec Kim Gordon et la dissolution en 2011 de Sonic Youth. Une pop star qui s’ignore, certes, mais une pop star quand même, explosant par sa curiosité et ses desiderata les conventions formelles liées à son statut. Car si le désormais quinquagénaire s’est effectivement retrouvé lié à une major – Geffen étant propriété d’Universal -, il créa dès 1996 son propre label, Sonic Youth Recordings, afin de dilapider le versant expérimental de la musique du groupe. De la même façon qu’il répondit plus récemment positivement à une multitude de collaborations, notamment avec Jean-Marc Montera – pour graver dans le sillon ces quelques pérégrinations (Les Anges du péché, septembre 2011) ou même taper un bœuf aux Instants Chavirés -, tout en concoctant au même moment avec Beck une superproduction solitaire (Demolished Thoughts, mai 2011). Des exemples illustrant sa disponibilité en plus d’une profonde emprise avec le temps : dialoguant aisément d’un passé presque objectivé, Thurston Moore n’exprime pas une once de regret, préférant mettre en branle sa capacité à écrire des chansons en fonction de son âge et non d’une époque révolue. L’entretien qui suit s’est tenu il y a presque trois ans dans un confortable hôtel parisien. Presque sans surprise, il conserve toute son acuité, peu de temps après l’annonce de la publication le 7 février prochain d’un 7″ dans la plus pure tradition sonique de l’échalas sur Blank Editions, et deux jours avant une grande messe No Wave à la Machine du Moulin Rouge réunissant Thurston Moore et… Glenn Branca (Event FB / concours).

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