La folie de Lucia di Lammermoor à l'Opéra de Marseille

Publié le 10 février 2014 par Podcastjournal @Podcast_Journal
On l’a lu à juste titre quelque part: être née au pays brumeux des châteaux hantés, du Loch-Ness, c’est-à-dire en Écosse et son soleil à dose homéopathique, a vraiment de quoi vous rendre neurasthénique, vous donner une araignée au plafond avec toiles en ogives, vous faire voir du sang partout.
Comme le disait sans rire mon voisin, Mademoiselle Lucia di Lammermoor a autant fait pour son pays que le golf ou les distilleries de whisky…

On sait que la partition est toute entière un faire-valoir pour la protagoniste, une occasion unique de démontrer ses exceptionnelles qualités, tant vocales que dramatiques. Pour sa belle Lucia, sortie de l’imagination fiévreuse d’un roman noir et gothique de Walther Scott, Gaetano Donizetti, en maître de l’opéra, a concocté des vocalises à "cocottes" vertigineuses permettant ainsi à toute titulaire du rôle d’avoir l’appellation contrôlée de virtuosissime.

Autant dire de suite que cette œuvre ne peut se monter sans un plateau de "primo cartello", ce cheval de bataille du bel canto ne pouvant se trouver bien qu’en étant sobrement stylisé dans une splendeur vocale parfaite.
On l’a compris, ce pilier du répertoire ne supporte pas la médiocrité. En reprenant l’intelligent spectacle de Frédéric Bélier-Garcia, qui n’accuse pas ses sept ans d’âge, l’Opéra de Marseille a encore frappé fort. Double distribution, salles pleines, pour un spectacle qui n’a rien de révolutionnaire mais bourré d’émotion simple dans son aspect presque cinématographique, pour une histoire visant l’essentiel: fatalité du malheur, cheminement inexorable vers la folie et la mort de l’héroïne prisonnière d’un monde de machos…

Impossible de départager Zusana Markova et Burcu Uyar, les deux sopranos abordant avec deux voix différentes - la première rappelle la diaphane Mesplé, la seconde la Stupenda à ses débuts -, deux conceptions dramatiques opposées, le redoutable rôle-titre, dans un respect total de la partition et du livret.
Fraîcheur et jeunesse vocale pour Markova, véritable oie blanche soumise que l’on mène à l’abattoir, détermination plus musclée, presque révolutionnaire pour Uyar, consciente de ses sentiments et refusant le marché de dupes proposé.
Même timbre fruité, hallucinante et très attendue scène de la folie, se transformant en une jouissive succession de prouesses techniques affranchies de toutes les minauderies du "soprano leggero".
Côté barytons, la surprise viendra de l’Albanais Gezim Myshketa, baryton racé, dessinant un Enrico raffiné, précieux, en authentique verdien, fringuant, insolent; Marc Barrard proposant lui un personnage tout d’une pièce, sommaire, brut de décoffrage et curieusement un tantinet fatigué vocalement.
Chez les ténors, Arnold Rutkowski imite de belle manière le jeune Bergonzi dans sa ligne de chant. Il bat de cent coudées, stylistiquement parlant, Giuseppe Gipali plus soucieux de montrer ses aigus généreux. Minimes réserves.
Les seconds rôles, musclés à point, permettent aux basses Wotjek Smilek et Nicolas Testé (très nobles et paternelles interventions) de se tailler un joli succès.
Stanislas de Barbeyrac, la veille auréolé de sa Victoire de la Musique, reçoit une ovation méritée pour sa brève mais décisive intervention en Arturo rapidement occis. Bien en place également Marc Larcher et Lucie Roche. Plus que des panouilles, de vrais personnages.
Mention spéciale pour les chœurs, grandioses, percutants, superbes, engagés comme jamais.

On a souvent tsimboumboumé avec cet opéra. Remercions le chef Alain Guingal de lui rendre jeunesse, vibration et exaltation. L’Orchestre de l’Opéra de Marseille frémit de tous les mystères de la lande écossaise, et pour le fameux sextuor, prend de réjouissantes et inattendues allures de barcarolle.




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