Les Neuvains du sommeil et de la sagesse

Par Florence Trocmé

Le dernier recueil de Jean-Yves Masson s’ouvre sur une épigraphe empruntée au chant XI de L’Odyssée. Ulysse qui a remonté le cours de l’Océanus, en direction des brumes septentrionales, et qui a fait un sacrifice, voit apparaître sa mère parmi la foule des morts assoiffés du sang noir des victimes. L’élan qui le porte alors vers elle ne rencontre que le vide :

Trois fois je m’élançais, mon cœur me pressait de l’étreindre,
Trois fois hors de mes mains, pareille à une ombre ou un songe, elle s’enfuit.

Ces deux vers qui placent la totalité du recueil sous le signe du deuil comme de l’errance et du retour, rendent compte également de la forme, le neuvain, qu’a choisie le poète et en font le chiffre du désir. Enfin, ils lient ce dernier non seulement à la répétition qui est source du rythme comme de la perpétuation de ce qui a disparu, mais aussi à cette étrange connivence du sommeil et de la mort qui fait du songe et de ses images, sinon de toute image, le lieu où vient nous visiter ce qui n’est plus qu’une ombre. Ulysse, déçu par l’apparence qu’il a sous les yeux mais à laquelle son cœur cependant, dans son élan, répond pleinement, demande à sa mère si elle n’est qu’une image, un piège que lui tend l’illustre Perséphone. La réponse qui lui sera faite lui rappellera que telle est la loi des mortels que lorsqu’ils sont morts leur « âme vole comme un songe ». Ainsi ce dernier et le sommeil qui lui est lié nous donnent-ils accès à un autre ordre de réalité où ce qui est n’est pas séparé de ce qui n’est plus – enfance, mère défunte, ami mais aussi cette lumière de la Grèce dans laquelle se dressaient pour se combattre ces demi-dieux dont Homère déjà se souvenait – et qui, sans être, fait retour cependant parmi ce qui est encore, subsiste comme fantôme, légère déformation de la lumière dans la lumière, de la vision dans la vision.
L’on comprend dès lors l’association, dans le titre du recueil de Jean-Yves Masson, du sommeil et de la sagesse. Nous disposant au songe et à la hantise des morts, le sommeil nous ouvre les territoires de la mort. Mais s’il nous dispose ainsi à mourir – et c’est l’un des trajets du recueil -, s’il nous amène à comprendre qu’aimer la vie est aussi aimer la mort[1], c’est en vue d’une joie[2] et d’une lumière qui tout à la fois transcendent l’une et l’autre et s’incarnent dans des figures particulières. Ainsi, que ce soit « l’ange éclatant » et qui tient « entre ses mains le livre incandescent de la sagesse » (74), ou encore l’« ombre aveuglante » du « dieu terrible » (104), la lumière est d’abord présence et voix, objet d’une adresse ou d’une écoute. Elle est tout aussi bien un horizon pour le cœur du poète qui, comme celui d’Ulysse, exige l’étreinte. Elle est, plus sûrement encore, à la fin du recueil, ce pays où revenir :

Ouvre-toi, mon pays ! C’est toi, là-bas qui brilles,
  au milieu des vapeurs splendides de la mer
   que baigne le soleil continué. De toi me vient la voix en rêve

qui parfois se tait, se détourne, ou semble parler à un autre,
  mais qui jamais n’a trahi les chemins exacts du sommeil. (110)

....

La « lumière qui consen[t] et qui refus[e] », qui « brui[t] sans fin dans l’ombre » (29/95) et qui garde le secret que nous portons, cette lumière est celle des images puisque ce sont elles d’abord que le poète a choisies, et que c’est leur « voie sainte » comme l’est la joie, qui accoutumera notre « cœur à la route » et qui « sied à nos pays du soir,/ à nos terres tournées vers la nuit, aux veilleurs qui guettent l’aurore. » (ibid.). Ces territoires de déréliction sont aussi ceux de l’ère moderne qui ne connaît plus qu’une « froide course à la mort », qui, privée d’imagination, n’est plus « qu’un monde orphelin du possible,/ veuf d’avenir » (94). Le recueil de Jean-Yves Masson est également un livre de protestation (ibid.) et de provocation à ceux qui, sans joie, ne connaissent plus que la grimace de la moquerie (60), se font « gloire du soupçon » (85) ou dont la langue est « sans corps, / c’est-à-dire sans esprit, sans âme » (ibid.). A cette exigence mortifère de transparence et d’épuisement de « tous les secrets » est opposée la croyance « aux bienfaits de l’ombre, à la très sainte// et souple opacité du corps […] à la fermeté de l’esprit qui unit le nombre et la chair » (86), c’est-à-dire au rythme et à l’image qui accueille la lumière et la présence de ce qui n’est plus, autrement dit au chant. En effet, le trajet qui conduit le poète à reconnaître que sans la mort, il ne « saluerai[t] pas [la] beauté vivante » (66) s’accompagne peut-être d’une reconnaissance des images. Il suffit pour s’en rendre compte de rapprocher le poème XLV qui évoque un temps où « la sagesse » semblait au poète « prisonnière des images » des deux poèmes, le LXVII et le LXXIX, qui font explicitement écho à l’élan d’Ulysse qui tente d’embrasser l’ombre de sa mère.

Le premier de ces trois poèmes est une belle méditation sur le rapport de la beauté du chant à la mort :

Qu’il était beau quand tu priais que ta voix tremble,
  ou qu’à chanter, sur les plus hautes notes elle se
   brise, et s’élève pourtant nocturne vers le ciel (57)

C’est d’avoir rencontré sa limite, de s’être accrue de la conscience et de l’épreuve de sa finitude que la voix, portée par son désir et pleinement humaine désormais, devenue une « voix d’ombre » (ibid.), est présence encore malgré la mort, est source d’apaisement et de sommeil pour le poète[3]. Le don que cette voix fait de sa brisure, ce sacrifice qui en fait la beauté n’est pas sans rappeler ces « dons du vide et leur loi d’excellence » (11) dont les mères et les « sœurs de la fièvre » sont appelées à être les gardiennes dès le seuil du recueil. Cette voix qui s’élève et se brise, ce chant qui s’accroît de son propre élan, se brise sur le vide et qui cependant, nocturne, poursuit toujours au-delà donne son modèle rythmique aux neuvains de Jean-Yves Masson. Comme l’élan trois fois répété d’Ulysse qui le porte vers ce qui n’est qu’une ombre ou un songe et pourtant lui parle, les vers de Jean-Yves Masson obéissent à cette exigence du cœur qui le tourne vers ce qui n’est plus et cependant se donne encore comme une présence. Il en est des mots qui viennent aux lèvres du poète, nous dit un poème immédiatement antérieur à celui que nous venons de citer, « comme de la mer grise qui se soulève/ sans vie, sans mort, et caresse la rive » (56). En eux et par eux se manifeste le pouvoir d’attraction d’un astre nocturne en la lumière duquel vie et mort ont résolu leur opposition[4]. Leur rumeur[5] ou leur bruissement « sans fin dans l’ombre » laisse entendre, comme leur horizon, « une seule, une même voix » (p.59) dans laquelle résonne encore le chant de la mère et à laquelle se fait accueillante celle du poète[6]. Et si ce dernier se définit par son attente[7], celle-ci est d’abord écoute, c’est-à-dire entente, au sens d’audition et d’accord. Le « vertige de l’attente » (39) auquel il est livré est alors traversé de voix, de rumeurs, de chants et d’appels qui sont autant de présences qui toutes font signe vers une origine qui « chante au-delà de toute langue, dans la musique des voix » (105) et se donne comme leur unité.
Entendre et attendre dans le vertige, c’est, idéalement du moins, sortir du temps pour rejoindre un point d’éternité, point aveugle[8] à bien des égards où toute identité s’abolit et se dissout dans la « Nuit sans fond » (84). Or le livre de Jean-Yves Masson est aussi le trajet d’une naissance au monde, d’une sortie du sommeil[9]. Les premiers poèmes le disent. Il s’agit pour le poète d’ouvrir « les portes qui conduisent/ vers le théâtre de la chair et de l’esprit » et de « découvrir maintenant quelle apparence [il] possède » (23). Il s’agit encore, dès le seuil du recueil, de se pencher sur « le puits de sagesse/ où chaque être s’accorde à son désir » (13). C’est d’ailleurs ce que dit la première des voix qui résonne dans le recueil, voix de la sagesse : en chacune des eaux qui scandent les âges de la vie, le poète pourra « contempler [son] visage » (16). Ainsi le neuvain qui est reprise et répétition d’un identique élan qui porte toute chose à s’élever et à se briser, qui dans sa trame brisée permet le retour à et de ce qui a disparu, est également tourné vers l’ascension de la nouveauté[10], vers « l’espérance d’un visage » et « l’inconnu qui vient » (p.111). Et c’est l’un des paradoxes du recueil de Jean-Yves Masson et de la poésie lyrique en général de combiner tout à la fois répétition, recommencement[11], et conscience aiguë d’une linéarité temporelle qui fait que dans un monde unique et que régit une unique loi, chaque chose n’ait à être qu’une seule fois et possède ainsi son prix unique[12]. Le chant dès lors n’est pas seulement traversée du deuil, la lumière en direction de laquelle il s’élance est également celle d’un destin, en lui se forge une existence qui reste, comme le dieu[13] à venir et comme la langue[14] qui pourrait dire l’origine, à inventer. C’est ici que nous retrouvons la lumière si particulière des images dont nous parlions plus haut et dont la vertu ne saurait se comprendre sans son rapport au rythme, à la scansion et à la danse qu’il suppose.

Si nous revenons, en effet, aux deux poèmes qui font écho à la parole d’Ulysse, le premier s’ouvre sur le constat d’une faiblesse. En l’absence définitive de rite pour faire venir les morts, il ne nous reste plus que les « sombres paroles » (79). Et seuls le sommeil et le songe peuvent « offrir un rivage » où le poète « puisse/ encore voir rire et s’avancer dans le soleil » (ibid.) les morts qui lui sont chers. Le poète se définira dans le second de ces poèmes comme celui qui, à l’image du « roi d’Ithaque, par trois fois/ […] cherche à saisir un visage » (91), s’élance « sur le/ chemin qui sépare de nous les morts » (ibid.). Or ce qui est offert en sacrifice pour que les morts « se souviennent de nous » et que « l’ombre parle et murmure » (ibid.), c’est une parole, « blanche et noire », en laquelle « tout est visage » (ibid.) et, pour jouer sur l’assonance, en laquelle tout puisse devenir rivage et paysage :

bénis l’ici, le maintenant, tout ce qui nous invente un paysage
où l’avenir patiente encore, où la lumière est en travail,
où je te vois passer encore, en effleurant du doigt les fleurs. (107)

Si la « voie des images » est sainte comme la joie, si la sagesse s’accompagne d’images « trois fois saintes » (16), c’est bien parce qu’en elles, en leurs paysages, le retour du passé participe d’une naissance ou du moins de la gestation d’un avenir. Ce « chemin d’air » (30) que la ferveur du marcheur invente en et par elles conduit ce dernier toujours plus avant au cœur de ce qui est, toujours plus près du commencement du monde[15], c’est-à-dire aussi bien de son recommencement éternel que de son commencement absolu pour une existence particulière. C’est cette gestation d’un devenir dans l’assomption par les images de ce qui fut perdu que met en œuvre le recueil de Jean-Yves Masson.
Cette gestation se dit selon un autre modèle que celui d’Ulysse invoquant les morts. Comme Dante[16] lorsqu’il s’apprête à descendre aux enfers, le poète est au midi de sa vie et comme lui il retrouvera une ombre chère qui lui indiquera la voie du retour. Sa marche sur les « chemins tissés de nuit », dans des « forêts à l’image du monde », cette « traversée profonde » (45) à laquelle le convie le sommeil se fait en vue de son propre visage, ainsi que de « la saison neuve d’après l’enfer » (47). Et s’il s’agit, comme sur le seuil de l’enfer de Dante, de « quitter toute espérance/ et tout regret » (ibid.), ce n’est non pas par désespoir du lendemain mais parce qu’il est nécessaire de s’abandonner au présent de la traversée et parce qu’il s’agit pour le « rêveur ébloui » (21), de laisser venir en/à lui l’inconnu, ce dieu que l’on précède et ne connaît pas (ibid.). La marche du poète en pays de sommeil est donc une double quête, quête de ce qui doit advenir et de ce qui fut perdu, une quête encore, nous l’avons vu, qui est d’abord écoute, entente. Mais celui qui vient à son propre advenir est aussi celui qui voit[17] et écouter, entendre, s’avancer vers l’inconnu, c’est être amené à « renier le silence/d’avant le temps » pour naître à soi, au langage et déjà à la présence[18], c’est déjà lire « l’heure à la caresse des nuages » (21), et percevoir ce que le même poème appelle le « tremblement du temps ». De cette marche qui n’est pas sans rapport avec le motif de la résurrection, nous ne retiendrons que trois étapes significatives. La première est le poème XV. Assis à sa table, le poète est sur le seuil, dans l’entre-deux d’hier et de demain, de la veille et du sommeil. C’est à partir de ce point ou de ce « moment presque imperceptible » (27) que le poète « cherche la pénombre où survit le silence ». Nous retrouverons ce mouvement bien plus tard dans le recueil, le poème LXIII évoquant « ce chemin/ tant désiré qui descendait vers le silence ». Et nous pouvons songer bien sûr à l’élan qui emporte Ulysse vers l’ombre de sa mère qu’il désire embrasser. Mais ce vers quoi s’élance le poète, ce silence qui survit, c’est peut-être tout à la fois un en deçà de la naissance et un au-delà de la mort, le point où, nous l’avons vu, l’opposition de l’un à l’autre s’annule pour laisser place à une présence qui échappe à toute image, qui n’est plus ni de l’ordre du songe ni de celui de la parole. De ce point absolu, le je lyrique ne peut s’approcher qu’« ivre de mots » et le poème construit en miroir deux ivresses, celle « d’un homme ivre », celle du poète à sa table, dont l’ivresse est toute intérieure[19]. Mais de l’une à l’autre demeure peut-être le pas – et son rythme – qui est appelé à devenir une danse titubante qui cherche dans le déséquilibre une scansion par laquelle constituer un espace d’apparition. Le poète ivre de mots est un Thésée qui aurait appris d’Ariane à danser, à tracer le sentier de danse du labyrinthe par lequel le plus redoutable est approché dans la distance même[20]. L’image comme lieu de résurrection de ce qui n’est plus et d’accès à ce qui a disparu affleure nettement dans un poème qui est au mitan du recueil, le poème LI. Le motif de la quête – exprimé par le même verbe - ouvre le poème comme il fermait le précédent. Mais cette fois, il s’agit de la fin du mouvement et du surgissement, soudain, de ce qui était cherché. Et ce qui surgit, « près du grand pont de pierre, au bout de cette rue trop noire » (63) et comme à un horizon temporel, c’est certes une maison réelle même si elle fut d’abord imaginée. Mais c’est déjà, par la vertu du songe ou du sommeil, par la vertu du rythme et de sa danse qui laissent place au rêve, à son surgissement, une présence qui est potentiellement de l’ordre de la vision, qui est presque un visage souriant :

Je n’ai pas eu à la chercher longtemps, la maison grise. Soudain[21]
  près du grand pont, au bout de cette rue trop noire,
   elle était là. Et si je l’avais imaginée différente

passé le bref étonnement je crus l’avoir connue depuis toujours.
  Enfant, à l’une ou l’autre de ces fenêtres
   tu te penchais. Mais point de jardin, point d’allée :

le bruit seulement de la rue - carrioles, chevaux et voitures-
  et l’heure au clocher de l’église, les cris d’enfants au loin…
   Plus rien ici ne se souvient de ton sourire.

Il faudrait interroger dans ce poème le redoublement du négatif - et comme du néant - qui semble répondre à l’affirmation d’une présence. Il est frappant de constater, en effet, qu’à la scansion qui place en attaque de vers le pronom elle qui peut tout aussi bien être un pronom de reprise que l’annonce du substantif enfant, répond dans un premier temps le balancement déceptif introduit par la conjonction mais. Déception de l’enfant, d’abord, qui se penche à la fenêtre et qui songe déjà à ce qui n’est pas ou plus, comme si le passé était déjà marqué lui-même par la perte ou du moins le manque. Mais c’est aussi toute une imagerie romantique[22] qui est écartée au profit d’un monde plus urbain ou plus simple. Encore faut-il noter que cette évocation viendra elle-même se briser une seconde fois sur le néant (Plus rien) disant tout aussi bien la fragilité du passé que celle d’un ici qui peut basculer lui-même du côté du néant si rien en lui ne subsiste de ce qui n’est plus ou de ce qui autrefois l’a illuminé. Le poème qui précède celui-ci met d’ailleurs en scène cette interdépendance de l’ici et de l’outre-monde, le je lyrique étant destiné à se perdre sous une lumière trop lourde, à être obsédé par « les voix de la folie amère » s’il ne peut entendre et laisse se perdre la voix de celle/ celui qui n’est plus. Ainsi le poème qui se trouve au centre du recueil réaffirme-t-il la fécondité du passé, fécondité de « l’âme de [la] mère » (17) du poète, fécondité de la terre (18), l’une et l’autre aussi anciennes que le temps et en travail, comme la lumière, de cet « enfant nu [qui] sommeille/ dans [la] crypte de temps ». C’est à la naissance de cet enfant, douloureuse mais tendue vers la beauté, que nous assistons dans le poème XCIV qui constitue la troisième étape du chemin du marcheur dont nous parlions plus haut. Et c’est bien sûr à la mère qu’il reviendra de sceller le partage entre chemin de vie et celui de la mort, libérant ou plutôt ouvrant l’éventail des cent un poèmes qui constituent le recueil de Jean-Yves Masson :

Rêve qui de nouveau a pris ma main, qui m’as mené par la forêt obscure,
à présent je dois me confier à cette chance que tu fus.
C’était au bord de la forêt de mon enfance. Ma mère

à l’orée d’un chemin dormant : Veux-tu rentrer ? me disait-elle.
Allons, il se fait tard, il est grand temps.
Mais comme j’étais étonné de la voir prendre

un chemin qui nous éloignait de la maison : C’est juste,
se reprenait-elle, ce chemin-ci n’est pas pour toi. Et dans la nuit
où je m’en retournais en larmes, éclataient cent et une roses. (106)

Contribution Eric Dazzan


[1] « Tu dis qu’après le quarantième hiver,/il est temps de se préparer. Je le crois. Bien sot/ celui qui pense aimer la vie s’il n’aime pas aussi la mort. » (p.82).
[2] « Et je l’ai dit déjà : c’est grande joie d’être mortel, une terrible/ étrange et sainte joie dont l’univers/ tout entier retentit par notre présence.’ (ibid.).
[3] « Maintenant/ ta voix me manque, mais le don/ de sa brisure hante mes nuits. Et le sommeil/ quand il me vient, naît encore de ta voix d’ombre/ double et noire, sous les feux multiples de la nuit. » (p.57). Cf. également : « Et ma mère au mitan de ses eaux comme en songe/ choisit de revenir vivante vers la rive : ô trace,/ ô pur sommeil dans ses mains à saisir !// Voici qu’à ton chevet, mon âme, ma captive,/une voix me parle et prie. Et l’entretien des ombres/ est riche encore d’avenir. » (p.28).
[4] « Toi qui viens caresser nos morts, lune de cendre, […] je sais que ta lueur me guide, et quand les mots/ me viennent sur les lèvres, il en est d’eux/ comme de la mer grise qui se soulève/ sans vie, sans mort, et caresse le rive. » (p.56).
[5] « Toute une nuit passée à écouter la mer » (p.59).
[6] « toi que j’entends qui bruis dans le fond de ma nuit,/ chant d’abîme, toi, fils des promesse du temps,/ fraye-toi un chemin […] Que j’ose/ d’une parole juste et droite t’accueillir en cet âge. » (p.20).
[7] « J’attends, je vous attends, siècles neufs » (p.14) ; « pour tout cela je prie et j’attends et j’espère » (p.75).
[8] « Les champs ensauvagés de l’ineffable nuit/ où ne brille plus nulle étoile, voici que je suis tout rempli/ de leur ténèbre, et que j’attends.// Voici d’avant le jour l’exacte familière/ étrange vérité : ce chemin sans langage. La perte/ de tout sens. Et dans le noir, même plus de vertige,/ car il faut au vertige une lumière, au désespoir un gouffre. » (p.69).
[9] « Car je sors de la nuit et du silence, et j’ai préparé mon réveil,/ maintenant que du deuil sont nés ces fruits doux et amers./ Voici qu’au cœur de l’été je te guette,// chant subtil, eau limpide de la vague qui énonce/ l’obscure loi commune du passage, et qui annonce/ notre future traversée vers l’au-delà de tout sommeil. » (p.104).
[10] Et peut-être faudrait-il tirer profit de l’assonance entre le neuvain et le nouveau, l’adjectif neuf/ neuve revenant à plusieurs reprises dans le recueil.
[11] Le recueil se clôt sur ce vers : « Dormez sans peur. Tout en moi vibre et recommence. »
[12] « Dans l’arbre gris près de la source/ chantait l’oiseau de la sagesse : « Une seule fois chaque chose,/ un seul destin en toutes choses. Un seul monde. Une seule loi. » » (p.76).
[13] « Tu demandes quel est mon dieu : je le précède/ et ne le connais pas. Je suis cet enfant qui l’invente/ et le cherche à midi dans la fièvre des fleurs. » (p.21).
[14] « Près de vous je suis cet enfant qui s’en allait vers la frontière/ à la recherche de la langue où l’origine/ chante au-delà de toute langue, dans la musique de vos voix. » (p.105).
[15] « il allait sur le chemin d’ombre/ où déjà il était passé maintes fois. Mais aujourd’hui// le chemin s’en allait plus loin, tout un paysage s’ouvrait […] Et toute crainte avait cessé, toute méfiance, […] une voix disait : « La nuit vient. C’est le commencement du monde. » » (p.109).
[16] « Nel mezzo del camin di nostra vita/ mi ritrovai per une selva oscura/ che la diritta via era smaritta », Commedia, L’inferno, Garzanti, 1982, p.1.
[17] « Haut pays de lumière et d’air, voici que chante la montagne/ au rythme des pas du marcheur qui vient et voit,/ et voit le bleu le vert criant parmi les champs de victoire. » (p.15).
[18] « Ecoute, père, écoute : le coq chante./ Et dans l’esprit cette tendre lumière, avec soudain/ le langage qui naît, pour le matin de la pensée […] Au chant du coq je n’ai pas renié la présence,/ ni vous, forêts du petit jour, ni toi belle ombre,/ poésie ! toi qui déjà m’enveloppais de tes mains lentes. » (p.53).
[19] Cf. le mouvement très rimbaldien : « je sais des philtres insolents/ pour qu’encore les lèvres chantent. » (p.14).
[20] Cf. à ce propos G. Agemben, Stanze, Einaudi, 1977/2006, p.164 : « Il sentiero di danza del labirinto, che conduce nel cuore di ciò da cui tiene a distanza, è il modello di questo rapporto con l’inquietante che si exprime nell’enigma. ». Cf. également R. Callaso, Le nozze di Cadmo e Armonia, Adelphi edizione, 1991/2004, p.24.
[21] Il faut noter au passage la récurrence de cet adverbe qui associe ces retrouvailles et la naissance, « dans la tendre lumière », du langage « pour le matin de la pensée » (p.53).
[22] On songe à la « Fantaisie » de Nerval : « Puis une dame à sa haute fenêtre ».