Naît-on ou devient-on libéral, socialiste ou conservateur ?

Publié le 22 février 2014 par Copeau @Contrepoints

Par Le Minarchiste, depuis Montréal, Québec.

Pour cet essai, nous allons définir le « conservatisme » comme étant la droite et le « progressisme » comme étant la gauche, sans égard au niveau d’autoritarisme étatique (nous y reviendrons). Les conservateurs pensent que la pauvreté résulte en quelque sorte d’un manque d’effort et d’initiative de la part des pauvres, alors que les progressistes l’attribuent à la présence d’injustices sociales. Les conservateurs perçoivent la nature humaine comme étant plus compétitive, alors que les progressistes la voient comme étant plus coopérative. Les conservateurs perçoivent le monde comme étant plus dangereux et en dégradation, mais juste, alors que les progressistes pensent que le monde est injuste. Les conservateurs valorisent la responsabilité individuelle, les progressistes la solidarité collective.

Selon l’anthropologue Avi Tuschman, les trois principaux facteurs différentiateurs entre la gauche et la droite sont :

  1. La tolérance des inégalités.
  2. Le tribalisme (ethnocentrisme).
  3. La perception de la nature humaine (compétitive vs coopérative).

Dans cette perspective, les libertariens sont quelque part au centre, étant très à droite sur le point 1), très à gauche quant au point 2), et partagés au niveau du point 3).

L’orientation politique est-elle innée ou acquise ?

Tout d’abord, l’orientation politique est significativement héréditaire. Des études de long terme entamées en 1969 et publiées en 2006 (Block & Block) ont démontré qu’à l’âge de 3 et 4 ans, les enfants qui allaient devenir des ‘conservateurs’ à l’âge adulte affichaient déjà des traits de personnalité distinctifs par rapport à ceux qui allaient devenir ‘progressistes’. La conclusion est qu’une bonne part de l’orientation politique est innée. D’autres études (Alford) ont démontré en comparant des jumeaux que 40% à 60% de l’orientation politique est innée, le reste est influencé par des facteurs externes.

D’un point de vue physiologique, les ‘conservateurs’ auraient une amygdale droite plus volumineuse, laquelle joue le rôle d’un système d’alerte régissant la peur, l’anxiété, la méfiance, le dégoût et la reconnaissance des visages, alors que les ‘progressistes’ auraient un cortex cingulaire antérieur plus gros, qui occupe des fonctions cognitives, telles que l’anticipation de récompense, la prise de décision, l’empathie et l’émotion.

Il est intéressant de noter que le niveau de revenu n’est pas du tout corrélé à l’orientation politique, ce qui pourrait sembler irrationnel car les pauvres auraient économiquement avantage à être à gauche de manière à vouloir faire adopter davantage de politiques redistributrices. Ce sont plutôt les dilemmes moraux plutôt que les questions de politique économique qui affectent le clivage gauche/droite. En revanche, le niveau de revenu est corrélé avec l’autoritarisme et l’extrémisme.

Au Pérou par exemple, lors d’une élection survenue il y a quelques années, le candidat de gauche (Humala) et le candidat de droite (Fujimori) étaient supportés par les mêmes classes sociales (les plus pauvres), alors que les candidats centristes avaient le support des classes plus riches. Il n’est pas surprenant que les plus pauvres souhaitent un changement plus extrême pour tenter d’améliorer leur position dans la société alors que les plus riches soient plus modérés question de garder le statu quo.

On observe aussi que plus un pays a un PIB par habitant élevé, plus ses politiciens sont modérés et moins son gouvernement est autoritaire, et vice-versa. Un bon exemple de cette dynamique est la Grande Dépression qui débuta vers 1929. En Allemagne, dont l’économie se désintégrait durant cette période, le nombre de vote pour le Parti Nazi est passé de 800,000 à 17 millions. Aux États-Unis, c’est la gauche qui s’est soulevée, menée par Franklin D. Roosevelt, qui a introduit des réformes passablement extrêmes à travers le New Deal.

En psychologie, la référence en matière de traits de personnalité se nomme les facteurs “Big Five”. Ils ont été élaborés dans les 1930s par un psychologue du nom de Gordon Allport, qui s’est basé sur de vieilles théories de Sir Francis Galton. Ces 5 facteurs sont l’extraversion, l’agréabilité, la neurasthénie, l’ouverture et la « conscienciosité » (ce nom commun n’existe pas en français, on devrait plutôt utiliser le terme « caractère consciencieux », que je trouve trop long, donc j’ai inventé un terme plus approprié). À cet égard, les progressistes ont un score élevé en ce qui a trait à l’ouverture, alors que les conservateurs ont une conscienciosité élevée.

Cependant, le meilleur prédicteur de l’orientation politique est le score RWA (pour « right-wing authoritarism »), développé par le Canadien Bob Altemeyer dans les années 1980s.  Notez ici que le score RWA est structuré de manière à mesurer à la fois le conservatisme anglo-saxon et l’autoritarisme. Ceci dit, le comportement autoritaire est aussi observable du côté de l’extrême gauche.

Le tribalisme et la religiosité

En moyenne, les conservateurs déploient beaucoup plus de ferveur religieuse que les progressistes. En 2009, un sondage Gallup effectué dans 114 pays a révélé que 84% des adultes considèrent que la religion représente une part importante de leur vie quotidienne. Une autre étude montre que 77% des gens croient en un Dieu. Les deux facteurs qui tendent à expliquer la ferveur religieuse sont la pauvreté et la peur de la mort. Plus ces deux facteurs augmentent, plus la religion gagne du terrain dans la population ainsi que le conservatisme. La croyance en Dieu et la pratique de la religion aident à réduire l’anxiété reliée à la détresse socio-économique ainsi qu’à la mort. Présentement, la religiosité est en augmentation dans le monde car la différence de taux de fertilité entre les populations séculaires et les populations religieuses est très élevée, donc les théistes se reproduisent plus vite et leur proportion augmente dans la population mondiale.

L’ethnocentrisme, la tolérance sexuelle et les droits des femmes

Les conservateurs poursuivent trois objectifs reliés à la sexualité : un mariage hâtif, l’endogamie (mariage au sein de la même communauté), et un taux de fertilité élevé. En fait, les trois sont reliés puisqu’un mariage à un plus jeune âge de la femme augmente les chances qu’elle se soumette à la volonté de ses parents quant au choix de son époux, lequel sera plus probablement issu de la même communauté, et le mariage hâtif permettra de maximiser le taux de fertilité du couple. Ces trois objectifs se matérialisent grâce à l’emprise de l’homme sur la femme. C’est pourquoi les sociétés plus conservatrices et ethnocentriques favorisent une plus grande inégalité entre les hommes et les femmes ; c’est-à-dire que l’homme y possède un pouvoir dominant sur la femme. Notez aussi que l’homosexualité n’est pas compatible avec un taux de fertilité élevé, ce qui explique pourquoi les conservateurs sont antipathiques face à ces gens.

Évidemment, les mœurs sexuelles des conservateurs sont liées à leur ferveur religieuse. En fait, la plupart des religions proscrivent les relations sexuelles prémaritales, l’utilisation de la contraception ainsi que l’homosexualité, tout en considérant les femmes comme  inférieures quant à leurs droits.

Tel que démontré par des études menées sur des populations de bonobos et de chimpanzés, les environnements qui demandent un niveau plus élevé d’interdépendance entre les individus et/ou au sein desquels les membres du groupe peuvent facilement le quitter, génèrent des structures sociales plus égalitaires et moins hiérarchiques, tant entre les membres du groupe qu’entre les sexes. Dans ces sociétés plus égalitaires, les femmes ont moins d’enfants. Même dans le monde occidental actuel, une femme battue ou mal traitée sera plus encline à quitter son mari si elle est indépendante financièrement que si elle en est dépendante.

Cela nous amène au sujet de l’ethnocentrisme. Il existe un niveau biologiquement optimal d’ethnocentrisme. Si une population est sexuellement trop centrée sur elle-même, son pool génétique deviendra trop homogène et manquera de diversité, diminuant sa capacité à s’adapter à des changements environnementaux. Si une population est trop xénophile, les enfants pourraient en venir à perdre des séquences génétiques primordiales les ayant adaptés à leur habitat ; la reproduction avec des individus incompatibles immunologiquement diminuerait les chances de survie de leur progéniture. Par exemple, l’une des causes majeures d’avortement est l’incompatibilité entre le groupe sanguin de la mère et celui du fœtus.

Les époux consanguins ont davantage d’enfants que les autres. Par exemple, une étude concernant 23.358 grossesses dans un hôpital d’Ankara en Turquie a démontré que les 17% de femmes mariées à leur premier ou second cousin ont connu une incidence de 60% inférieure de préclampsie et d’éclampsie que les autres femmes non-consanguines. Une autre étude comparant des couples selon 19 mesures (incluant la longueur des oreilles, la circonférence du cou, la circonférence des lèvres, etc) a démontré que plus l’homme et la femmes avaient des mesures similaires (donc génétiquement rapprochés), plus ils avaient d’enfants.

Les sociologues ont découvert une corrélation entre la xénophobie et la perception de vulnérabilité aux maladies infectieuses. En fait, les conservateurs affichent des scores beaucoup plus élevés en ce qui a trait aux mesures de dédain et de dégoût. Il semble donc que l’ethnocentrisme soit en partie une forme de protection contre les maladies externes à la « tribu ». Un chercheur du nom de Labouriau a comparé le nombre d’enfants de couples et la distance entre le lieu de naissance de l’homme et de la femme. Même en contrôlant pour le niveau d’éducation, le revenu familial, la résidence en milieu rural ou urbain, et l’âge de la mère à son premier accouchement, il a observé que la distance optimale qui maximise la fertilité (i.e. le « rayon marital ») est d’environ 75 kilomètres. Ceci dit, les villes modernes permettent une quantité très élevée de mixage génétique (« outbreeding »), surtout grâce à l’augmentation des flux migratoires vers les pays développés.

Génocide ou politicide ?

Des 37 génocides survenus entre 1955 et 2001, tuant entre 12 et 22 millions de civils, un tiers furent des « politicides » purs, c’est-à-dire que la population visée ne l’était pas en raison de son ethnicité, mais bien en raison de son orientation politique (comme en Argentine ou au Chili). Seulement 14% d’entre eux furent des génocides purs, comme celui du Rwanda. Le reste fût une combinaison de génocides ethniques et politiques. Ainsi, l’orientation politique a été impliquée dans 86% des génocides de cette période. Pourquoi? Parce que le politicide permet le transfert de ressource d’une classe sociale à une autre. Les 6 facteurs qui sont capables de prévoir 90% des génocides sont :

  1. Une minorité ethnique au pouvoir.
  2. Un régime autocratique.
  3. L’occurrence de génocide dans le passé.
  4. De l’agitation politique excessive.
  5. Une faible ouverture au commerce international.
  6. La présence d’idéologies politiques extrémistes.

Lors des élections présidentielles équatoriennes de 2012 (ici), le premier-né de la famille Corea, Fabricio, s’est présenté contre son propre frère, Rafel Corea. Fabricio, comme la moyenne des premiers-nés, était significativement plus conservateur que son frère cadet : il le critiquait en l’accusant de s’entourer de communistes et d’homosexuels, il promettait d’être plus dur envers la criminalité, il désirait renforcer les relations avec les États-Unis et l’Europe.

Avoir un frère ou une sœur qui partage notre ADN augmente nos chances de reproduire cet ADN. Cependant, les frères/sœurs sont en conflit durant les premières années de leur vie puisqu’ils entrent en concurrence pour les ressources parentales nécessaires à leur survie. Ainsi, la naissance d’un frère/sœur durant les cinq premières années de vie réduit énormément les chances de survie d’un enfant.

Au fil de leur enfance, les enfants aînés sont souvent appelés à aider leurs parents auprès de leurs frères/sœurs (le « alloparenting »). Ce faisant, les aînés augmentent leur valeur sélective, tout comme celle des parents, mais cela les rend plus responsables et autoritaires, et donc plus conservateurs. En fait, les premiers-nés ont des scores « Big Five » plus élevés en ce qui a trait à la conscienciosité. Dans le même ordre d’idées, les gens deviennent plus conservateurs lorsqu’ils deviennent parents.

Le conservatisme et l’âge

Une citation (faussement) attribuée à Winston Churchill stipule que : « Si vous n’êtes pas un progressiste à 25 ans, vous n’avez pas de cœur. Si vous n’êtes pas un conservateur à 35 ans, vous n’avez pas de cerveau ». Des études montrent que durant la vingtaine, le trait de personnalité de l’ouverture diminue significativement et la conscienciosité augmente. Les changements les plus marqués de personnalité se produisent avant trente ans, après quoi la personnalité se stabilise. La logique veut que l’ouverture soit favorisée durant la jeunesse de façon à augmenter les chances de trouver un partenaire reproductif, après quoi la conscienciosité aide à élever les enfants.

Cela concorde avec les changements biologiques qui se produisent durant le développement du cerveau : le développement du système limbique (relié à l’ouverture) se produit dès le début de l’adolescence, alors que le développement du cortex préfrontal (associés au caractère consciencieux) se produit plus tard durant la vingtaine.

L’extrémisme et l’autoritarisme

Selon le philosophe français Jean-Pierre Faye, l’axe politique gauche/droite n’est pas linéaire, il est en forme de fer à cheval. Les extrêmes sont bien plus près les uns des autres qu’on ne pourrait le penser (prenez par exemple Staline et Hitler, qui en sont même venus à conclure une alliance, ou encore Ahmadinejad et Chavez, qui ne cessent de coopérer, ou encore la Chine et le Soudan qui échangent pétrole contre armes).

Dans les deux cas, les extrémistes de gauche et droite entretiennent des utopies et entendent bien les imposer par la force. Par ailleurs, les gouvernements communistes d’extrême gauche, malgré les fondements idéologiques de cette orientation politique, en viennent quand même à persécuter des groupes minoritaires et à traiter les femmes de manière inégalitaire, et leur solidarité est vite remplacée par des comportements très égoïstes et répressifs.

Par exemple, durant sa quatrième sentence de prison, le Chinois Liu Xiaobo a reçu le prix Nobel de la paix de 2010. Évidemment, le gouvernement de Beijing n’a pas participé à la cérémonie, tout comme 18 autres pays, dont plusieurs sont menés par des gouvernements de gauche, comme Cuba et le Venezuela. Qu’avaient ces 18 pays en commun si ce n’est leur position sur l’axe gauche-droite? Comme le veut la théorie du fer à cheval, ces gouvernements de droite (comme l’Arabie Saoudite et l’Iran) et de gauche (comme le Venezuela) sont très autoritaires et la démocratie y est faible, alors que 15 d’entre eux se classent en bas de la moyenne selon le Economist’s 2010 Democracy Index. Ainsi, il n’est pas surprenant que l’extrémisme des deux côtés de l’axe mène à des résultats socio-économiques similaires.

Conclusion

La principale leçon de cet excellent livre est qu’il est inutile d’argumenter avec une personne résolument à gauche ou à droite. Même si vous lui présentez des faits probants lui démontrant qu’elle a tort, cette personne ne changera pas son opinion (d’ailleurs, son cerveau altèrera sa perception de la réalité pour ne pas déstabiliser sa structure cognitive, voir ceci). Pourquoi? Parce que son orientation politique est inscrite dans ses gènes ! Par ailleurs, cette orientation politique changera selon l’âge de la personne, si elle a des enfants et si elle est l’aînée de sa famille.

Ceci dit, la portion plus modérée du spectre politique – dont fait partie la majorité de la population – est généralement moins intéressée à la politique et démontre une cohérence idéologique moindre. C’est ce segment de la population que les politiciens tentent de séduire parce qu’il s’agit d’une catégorie de gens susceptibles de basculer d’un côté ou de l’autre du centre. Cela explique aussi pourquoi la plupart des partis politiques les plus populaires sont si près du centre dans les pays développés.

Finalement, le paysage politique est influencé par les tendances du pool génétique de la population. Par exemple, plus la population s’urbanise, plus elle tend vers le progressisme. Par contre, comme il y a de plus en plus de premiers-nés et d’enfants uniques en pourcentage de la population vieillissante, cela tend à rendre la population plus conservatrice. Finalement, comme les conservateurs (plus religieux) ont une plus grande fertilité, la population tend à devenir plus religieuse et conservatrice.

Je recommande fortement cet excellent ouvrage d’Avi Tuschman, auquel je suis loin de rendre justice dans ce court article. C’est sérieusement une lecture incontournable.

Pour un petit test politique libertarien, voir ceci.

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