Venise et le Carnaval au XIVème siècle

Publié le 23 février 2014 par Oliaiklod @Olia_i_Klod

Le goût des Vénitiens pour les fêtes trouve son origine dans différents ingrédients : caractère des habitants, forme théâtrale de la ville et douceur du climat invitant à passer la vie au grand air, patriotisme… le tout, savamment entretenu par un pouvoir qui avait tout compris de la formule "du pain et des jeux".

Jusqu’à la fin du XIIIème siècle, Venise avait connu une organisation politique qui ne ressemblait guère à celle qui la caractérisa par la suite. Elle avait eu à sa tête depuis 697 un doge qui en était le dux, pour patron saint Marc dont les reliques avaient été transférées dans la lagune en 828, et pour base du gouvernement une assemblée du peuple qui depuis le XIème siècle avait fortement réduit les prérogatives du doge.

Une lente évolution avait en revanche amené Venise à structurer ses institutions politiques d’une manière telle que dès la fin du XIIème siècle la réalité du pouvoir commença à passer aux mains des principales familles de la noblesse. Baiamonte Tiepolo en 1310 et le doge Marino Faliero en 1355 en firent la douloureuse expérience lorsqu’ils tentèrent de s’appuyer sur le peuple pour renverser le pouvoir des familles aristocratiques.

Dfilé de masques sur la campo San Stefano le 26 décembre 1610 – Giacomo Franco – Museo Correr

La Guerre de Chioggia fut un choc d’autant plus décisif qu’il se situa au point de départ d’une formidable expansion de la République.

Or, c’est au même moment que, sous l’impulsion du doge Andrea Gritti (1523- 1538) et sous l’autorité du Conseil des Dix, élu par le Grand Conseil, des organisations de jeunes nobles, les Compagnies de la Calza, contribuèrent au renouvellement des thèmes et des décors du carnaval en mettant sur pied des pantomimes et des mascarades qui utilisaient les traditions populaires au profit d’un ordre social dominé par les nobles.

Cette évolution politique qui eut lieu aux XIVème et XVème siècles, c’est-à-dire quand le commerce vénitien connaissait une formidable expansion, exerça une influence notable sur le système des fêtes en général et sur la gestion du carnaval en particulier.

Les tournois donnés en temps de carnaval jusqu’en 1491 pour célébrer les grandes victoires et les épisodes marquants de la vie du doge se transformèrent en spectacles de plus en plus fastueux sur une place Saint-Marc ornée de peintures, de pavillons et de bannières.

Dans ce climat de consolidation des institutions oligarchiques, le carnaval garda sa signification civique mais acquit la forme d’un amusement collectif sous le contrôle vigilant des autorités oligarchiques qui y voyaient un moyen de faire accepter au peuple la perte de ses droits. Le carnaval était donc l’un des moments clés d’une mise en scène où la noblesse manifestait son souci de contrôler les fêtes et d’intégrer les éléments plus populaires au sein de divertissements raffinés.

Les masques étaient apparus dans les fêtes vénitiennes aux alentours du XIIIème siècle devinrent plus présents dans la vie sociale vénitienne. Au début du XIVème siècle, des lois se mirent à en interdire le port en certaines circonstances : le décret du Grand Conseil du 22 février 1339 demandait aux personnes masquées de ne pas se promener de nuit dans la ville.

Nous avons déjà vu, dans notre article d’hier, qu’une telle habitude de se cacher le visage a pu résulter d’une contamination des coutumes de l’Orient ; les Vénitiens auraient voulu, après la conquête du Levant, imiter les femmes levantines obligées de se voiler lorsqu’elles sortaient de leur maison. Mais l’hypothèse n’est pas vérifiée et l’origine des masques est l’un des plus insolubles mystères qui soit. On ne peut déterminer  avec exactitude le moment où les masques s’imposèrent à Venise. La pratique de la dissimulation du visage était néanmoins suffisamment répandue au début du XVème siècle pour justifier la création d’une profession spécifique des fabricants de masques, ou mascareri, dont nous vous reparlerons dans les prochains jours.

C’est donc à cette époque que le Carnaval de Venise devient un élément politique destiné à assurer la main mise sur le peuple, dont le centre devient San Marco pour une représentation grandiose de la toute puissance de Venise, et que le port du masque, bien qu’encadré, devient un moyen de se défouler tout autant qu’une nouvelle industrie typique de Venise.