L’amour, cause de la liberté

Publié le 01 mars 2014 par Copeau @Contrepoints

L’action de l’État est un paramètre de l’économie. L’État dirige, interfère avec l’action humaine pour l’orienter dans une direction ou une autre. Ses conséquences sont parfois visibles, parfois invisibles ; ses effets ne sont pas tous immédiatement perceptibles. La distinction entre zones constructibles et non constructibles a un impact aussi certain sur les prix que la régulation des loyers, et tous affectent en dernière analyse l’offre et la demande, c’est-à-dire le coût et le bénéfice impliqués par toute décision.

Chaque individu a une échelle de valeurs et de préférences qui lui sont propres, influencées notamment par une éducation dans laquelle l’État joue aujourd’hui un rôle prépondérant.

Son rôle premier (et idéalement unique) est la garantie de nos libertés, mais l’État fonde l’extension de ses prérogatives sur la garantie de notre sécurité matérielle. La préférence de nombreux jeunes pour un emploi à vie dans la fonction publique et la volonté de maintenir en vie un État-providence illégitime et couteux sont autant de signes que la promesse étatiste de sécurité fonctionne.

La promesse fonctionne sans pour autant être réalisée. Les Français ont du mal à se loger correctement, et ne le peuvent certainement pas à un prix abordable. Les millions de chômeurs, les milliers d’entreprises en difficulté subissent l’inefficacité de l’État en matière économique. Et les conséquences plus difficiles à percevoir, comme une innovation ralentie et des prix plus élevés, ne doivent pas pour autant être oubliées.

La promesse de la liberté, elle, semble peu attractive aux yeux des Français, prompts à demander la condamnation de propos qui leur déplaisent et à blâmer les autres pour leurs propres difficultés. C’est pourtant dans les quelques espaces de liberté qu’il leur reste que les Français trouvent leur plus grande satisfaction, et ils devraient trouver là une excellente raison de la préférer à une servitude même volontaire.

Les choses les plus précieuses, l’État ne peut nous les enlever. Nos rêves, nos visions d’un monde idéal, le plaisir de recevoir de bonnes nouvelles, notre émerveillement devant l’œuvre de la nature ou de l’homme, la satisfaction d’agir bien, la beauté de certaines émotions et comportements seront sans doute plus rares si la vie quotidienne mobilise notre esprit, si les perspectives négatives assombrissent notre vision du monde, si les comportements bons disparaissent.

Mais il nous reste l’amour. Cette personne admirable, ses belles valeurs, sa façon d’appréhender et façonner le monde, de le regarder ; sa conscience, sa vision, son esprit irremplaçable et remarquable, peuvent être séparés de nous. Le temps passé à travailler pour l’État, les allers-retours sur des routes encombrées ou dans des transports en commun déficients peuvent nous éloigner, et sous certains régimes la privation de liberté va jusqu’à faire perdre tout espoir de revoir un jour l’être aimé. Mais savoir que cette personne existe aura suffi pour changer à jamais le monde.

L’amour de la vie, de ce qu’elle est parfois et pourrait être et de ce qu’elle permet de faire, d’imaginer et de rêver, même si on ne peut le concrétiser, nous appartiennent. L’art est une façon de partager une perception et un amour personnels de la vie, mais nous avons tous en nous la capacité d’atteindre uniquement par la pensée le sentiment de plénitude que certaines œuvres d’art créent en nous. Que nous puissions le percevoir suffit à le démontrer.

Que l’État ne puisse jamais nous prendre les plus belles choses de la vie ne veut pas dire que nous devons nous contenter de ce monde intérieur qu’est notre esprit et nous réfugier dans une forteresse imprenable en nous fermant au monde. Au contraire, nous devons prendre conscience que ce qui nous sépare de notre vision doit être combattu de toutes nos forces. La beauté du monde libre que nous imaginons rend plus insupportable chaque obstacle sur la route de la liberté.

Les libéraux, si passionnés dans leur défense de la liberté, sont majoritairement de grands optimistes. Pour en constater au quotidien les effets dans la soif de pouvoir des hommes de l’État, les amoureux de la liberté sont loin d’ignorer la nature humaine. Mais ils savent que le plus beau dans l’homme est l’homme libre et veulent donner à chacun la possibilité de révéler son potentiel et d’être récompensé pour cela.

Les amoureux de la liberté sont ceux qui n’ont pas perdu leur soif de vivre et leur amour d’autrui. Ils sont les défenseurs d’une égalité absolue des droits, au contraire des partisans du pouvoir. Les partisans du pouvoir sont toujours aussi les partisans du pouvoir à eux-mêmes ; rares sont ceux qui se définissent comme « étatistes » ou « collectivistes », préférant se revendiquer d’une mouvance ou d’une autre de la même façon qu’on s’affirme footballeur ou tennisman plutôt que sportif. Et ils sont les responsables du gâchis qui résulte toujours de choix faits pour les autres.

La confiance est clé dans l’échange économique ; toujours et partout, les étatistes lui ont préféré la coercition et sont responsables, malgré leurs appels à la fraternité, du pessimisme et de la défiance qui caractérisent autant la société française que la consommation d’antidépresseurs.

Les Français trouvent rarement et difficilement d’autre satisfaction que matérielle par leur travail, les défenseurs autoproclamés du travail en ont à nos frais détruit le sens. L’évasion est rendue presque impossible quand tout sujet devient problématique, quand tout aspect de la vie devient l’objet de revendications et quand on demande aux citoyens tantôt de s’insurger, tantôt de revendiquer.

Si tant est d’ailleurs qu’on puisse appeler citoyen tout individu qui dispose du droit de vote. L’usage qui est fait du droit de choisir ses dirigeants, et l’absence de réaction face au pillage et au gaspillage permanents, l’acceptation d’une situation où les truands au pouvoir conservent leurs privilèges au gré des élections et remaniements et où chacun est tenu d’avoir plusieurs échelles de dirigeants et d’accepter qu’ils le dirigent, montrent que les Français se soucient bien peu de la préservation de leurs libertés, et ont donc peu de choses d’un citoyen, en dehors du titre.

Tâchons donc d’aimer la vie, car ce n’est qu’en aimant la vie qu’on peut aimer la liberté. Personne ne pourra nous enlever l’amour de notre vie et l’amour de la vie ; les obstacles sur le chemin de la liberté sont autant d’obstacles sur notre chemin, mais ne sont rien de plus que cela.

Aucune cause n’est plus grande que ceux qui la défendent.