Odei – bat│electronica d’une nuit ensoleillée

Publié le 02 mars 2014 par Acrossthedays @AcrossTheDays

Il y a un an, peut-être même plus, quelqu’un nous a envoyé un lien SoundCloud vers un album, quasiment fini, signé Odei. Pas de sortie prévue, pas de pochette, pas de nom pour l’album, pas même de titres pour les morceaux, non, juste ces morceaux, et cette immense claque à l’arrivée. Pendant quelques semaines, on ne cessera pas d’y repenser, d’attendre impatiemment une sortie, un label qui se chargerait de rendre cette tuerie publique, mais non. Rien à l’horizon, à part un clip « subversif » tourné par un réalisateur porno, assez bien fichu. Les jours, les semaines et les mois ont passé, et on a perdu le lien Soundcloud, on a écouté plein d’autres trucs très bien, mais cet album continuait de nous hanter. Et devinez quel album est sorti le 17 février, sans faire de bruit ? Je vous le donne en mille : BAT. L’album d’Odei. Espace Vue, Protophase, Kumo : on met des noms sur ces quelques tueries qui daignent enfin se dévoiler.

On aimerait vous raconter l’histoire d’Odei, de leur formation, de la génèse de leur album, savoir comment ils décrivent leur son, comment ils composent leurs morceaux, mais on ne le sait pas : on a pas osé leur demander. Si on devait vraiment fantasmer les faits, ça pourrait donner un truc du genre :

Odei, ils sont quatre. Ils s’appellent Olivier, Daniel, Emile et Inès. Ils ont pris leurs initiales, parce qu’ils avaient pas d’autre nom, et puis ça évoque Opus Dei, ça en jette, c’est pas mal. Ils se sont rencontrés par des amis d’amis, traînaient aux mêmes soirées, où ils buvaient dans les mêmes bouteilles et écoutaient les mêmes morceaux. Ils se sont retrouvés coincés dans un home studio berlinois, un peu éméchés, toute une nuit. C’est une longue histoire, mais ils étaient dedans quand le propriétaire de l’appartement a fermé à clé en partant boire des coups ailleurs, impossible de le joindre puisqu’il a oublié son téléphone à l’intérieur. Ils sont donc là, tous les quatre. La nuit est déjà bien entamée, ils commencent à tripoter les machines du studio, d’abord timidement, puis plus ardemment. Quand le propriétaire rentre enfin, une douzaine d’heures plus tard, il les trouve là, tous les quatre, endormis sur les claviers. Ce qu’il ne sait pas encore, c’est que pendant ces douze heures, ODEI a composé et enregistré un album. Comme ça, dans l’urgence, parce qu’il n’y avait rien d’autre à faire. Alors voilà, huit morceaux, huit petites bombes qui forme un joli tout de même pas une heure, et qui n’attendent plus qu’une oreille pour les aimer d’amour fou.

Mettre un style sur leur musique, ce serait lui enlever tout son intérêt. Pas que l’on n’aime pas les étiquettes, mais justement, il faudrait en coller quarante et plus personne ne saurait où donner de la tête. C’est de la musique électronique qui expérimente mais qui n’est pas expérimentale. Vous êtes contents ?

Espace Vue ouvre l’album comme on ouvre une porte dans un appartement inconnu pendant une soirée : on ne sait pas trop sur quoi on va tomber, alors on y va pas à pas, la porte grince, qu’est-ce que c’est que ces formes là ? un couple nu dans un lit ? ou simplement les vestes des invités posées là ? ah non, c’est le home studio. Alors on découvre, peu à peu, sans oser allumer la lumière, on tâtonne : c’est rigolo ça, c’est doux comme texture, c’est intéressant ce bruit… Kumo allume l’interrupteur : tiens, regarde tout ce qu’on peut faire ! La cadence s’accélère, les bruits se font plus clairs, plus forts, se mêlent les uns aux autres, dans un ensemble jouissif à la mélodie pop imparable. Plaza Moscù, l’inconnu : mais si on éteint de nouveau la lumière, est-ce qu’on peut refaire pareil ? Le morceau est plus lancinant, on est dans l’inconnu total alors qu’on connaît déjà les bases. Puis vient Centaurus A, petite merveille qui pétille, où l’on laisse enfin l’excitation apparaître. On y retrouve un peu de Rone, mais un Rone qui aurait collaboré avec Jon Hopkins (on souhaite que ça arrive un jour).

La suite logique de cette alliance idéale, c’est l’haletante Protophase, qui nous évoque un Patten aux sonorités plus rondes, un Aphex Twin sous ectasy en quelque sorte. Sa rage et son urgence se poursuivent dans GGGG qui foisonne autant d’idées que de G, avant de trouver une forme d’apaisement avec Prelude Quatorze, un tourbillon hypnotique et prenant. Quant au court morceau de clôture, Radius Head, il nous achève d’un coup sec dans la nuque tout en nous regardant avec un sourire narquois : sans aucun doute le plus bruitiste de l’album, il annonce deux choses : un grand futur à ce groupe d’une nuit, et la certitude d’appuyer sur le bouton « Replay » le lendemain.

Alors non, ODEI n’est ni Olivier, ni Daniel, ni Emile, ni Inès, non l’album n’a certainement pas été conçu comme tel : mais c’est comme ça qu’on se l’imagine, et il est tant porté sur l’imaginaire qu’il est dur d’imaginer que quiconque puisse être vexé par les mensonges qui composent ces quelques lignes. Excitant, intriguant, et passionnant, BAT est avant tout excellent. Si « BAT » voulait dire « bon à tirer », on en tirerait des millions d’exemplaires pour être sûr qu’aucune paire d’oreilles ne puisse passer à côté de cette tuerie.

Et si vous êtes tentés pas la découverte d’Odei en live, le plongeon à corps perdu dans leur univers complexe, on ne peut que vous conseiller d’aller faire un tour du côté de Nuits sonores, fin mai. Assurément le meilleur cadre pour ce type d’expérience.