L’autre révolution des MOOC

Publié le 05 mars 2014 par Copeau @Contrepoints

Il y a quelques jours, Orange lançait Solerni, une plateforme d’apprentissage en ligne, montrant de façon assez claire l’engouement qui semble s’installer doucement pour les plateformes MOOC. Et comme on va le voir, cet engouement n’est pas qu’un effet de mode.

Le MOOC, pour rappel, c’est cette forme d’éducation où des cours sont donnés en ligne avec une partie « magistrale » (vidéo ou présentation) une partie interactive où les participants peuvent échanger. L’introduction progressive de ces MOOC, avec l’apparition de cours proposés par des universités prestigieuses (MIT, Harvard, etc…) a d’abord été présenté comme une évolution du cours traditionnel et du cours en ligne, où, essentiellement, il s’agissait de présenter en vidéo un cours magistral d’une heure.

Rapidement cependant, on s’est rendu compte du caractère disruptif de ce qui apparaissait comme une simple évolution mais qui, en définitive, s’avère être une vraie révolution. En effet, les MOOC modifient de façon profonde le rapport des individus à l’enseignement et à l’acquisition de connaissances. La révolution, puisqu’il s’agit bien de ça, se situe d’abord dans le changement profond de relation entre le professeur et l’élève : l’apprentissage n’est plus uniquement descendant, c’est-à-dire du professeur vers l’élève, mais aussi latéral puisque des interactions apparaissent entre les élèves. En outre, étant en ligne, le cours permet l’accès à la connaissance d’un nombre bien plus grand de personnes, de tous horizons et de tous âges ; les classes traditionnelles, regroupant les individus plutôt par tranches d’âge, sont ici dépassées et les individus se regroupent plutôt par intérêt commun et par niveau général similaire. Enfin, la nature même du support permet aux individus d’adapter l’apprentissage aux horaires et au rythme qui leur convient, ce qui, par contraste, montre bien la conception quasi-mécaniste (ou industrielle) de l’éducation telle qu’elle fut dispensée ces deux derniers siècles.

En substance, le MOOC, c’est le tutorat et un précepteur à portée de tous.

Bien évidemment, cette révolution est bien comprise, tant par les acteurs principaux de ces plateformes que par les autorités dans les différents gouvernements des pays où sont apparues les principales initiatives. La France, comme il se doit depuis 40 ans, a correctement pris son temps et du retard avant de prendre le train de ces innovations en marche, mais finit par doucement se rallier à l’idée qu’effectivement, cette méthode d’instruction pourrait constituer une véritable opportunité et non, comme certains fossiles tentent de le dire, un danger pour les structures en place.

En revanche, derrière ce changement paradigmatique s’en cache un autre, plus profond et plus puissant.

Derrière la révolution de l’acquisition des connaissances que représentent les MOOC se cache une révolution intellectuelle majeure qu’on ne peut pour le moment discerner parce qu’elle n’en est qu’à ses tout premiers prémices ; il faudra à n’en pas douter que le principe général de l’apprentissage en ligne et au-delà de l’architecture classique de la classe se soit suffisamment mis en place pour qu’on en mesure les effets sur la société en général, mais un peu de prospective reste cependant possible dès à présent.

Sur le moyen ou long terme, il semble évident qu’en fournissant une quantité encyclopédique de savoir au bout des doigts de tout individu qui le demande, Internet a déjà changé le rapport de l’élève à la connaissance ; l’introduction des MOOC modifie aussi le rapport entre l’élève et l’enseignant ; et petit à petit, il va aussi changer le rapport des individus à l’État tel qu’on le conçoit aujourd’hui.

D’une part, de façon évidente, il va devenir difficile, beaucoup plus difficile, de distribuer aux enfants un message unique. L’avènement de la société de l’information a déjà passablement modifié la façon d’enseigner puisque l’enseignant est assez régulièrement confronté aux sources de savoirs multiples que les élèves sont amenés à consulter. Il devient difficile, pour ne pas dire impossible, de baser des exercices sur une restitution plus ou moins bonne de connaissances apprises par cœur, tant l’exercice paraît vain de nos jours. L’instruction telle qu’elle était conçue jadis, et qui consistait à remplir les têtes d’éléments culturels, historiques et scientifiques et dont le but (si ce n’est le résultat) était de fournir ainsi une vision du monde « clef en main » aux élèves, cette instruction là est en train de disparaître devant le besoin croissant d’avoir plutôt des individus capables de mobiliser des savoirs hétéroclites dans un contexte particulier ; autrement dit, il devient actuellement plus intéressant d’avoir une tête bien faite qu’une tête bien pleine, le coût du remplissage étant devenu très abordable.

À ce titre, on voit d’ailleurs que la France semble avoir choisi de saper durablement les bases de l’acquisition de savoirs en instaurant une pédagogie à la fois mouvante d’une année ou d’une réforme à l’autre, et à la fois standardisée pour tous les élèves en s’obstinant avec un modèle de programmes et d’établissements scolaires figés dans le marbre républicain qui sent bon le siècle précédent.

Sur le long terme, le principe MOOC constitue donc une excellente opportunité pour les élèves de s’affranchir du carcan éducatif actuel, et incitera à développer d’autres formes d’écoles, où l’interaction et l’apprentissage entre les individus seront rapidement plus importants que l’interaction avec l’enseignant, ce dernier jouant plus le rôle de chef d’orchestre ou d’organisateur que de source unique de savoir, ou, comme l’explique fort bien un article récent sur l’école inversée, l’enseignant sera « transformé en artiste de l’éducation ». Mieux encore, le MOOC, par sa nature, offre la possibilité aux individus de réellement décider de l’apprentissage qu’ils comptent effectuer. Le MOOC permet intrinsèquement de « tester » une matière, un enseignement, bien mieux et bien plus facilement que tout type d’enseignement traditionnel. Se tromper de filière n’est plus rédhibitoire et bien moins coûteux.

Le MOOC, c’est l’instruction sans l’État, car il réintroduit ainsi une dose massive de liberté dans l’enseignement et les choix de l’élève, et lui montre, par la pratique, qu’il devient acteur de son apprentissage, au sein d’une communauté de pairs, chose qui a toujours été extrêmement délicate (voire impossible pratiquement) à réaliser traditionnellement.

Inévitablement, cette liberté aura un impact puissant : petit à petit, en l’espace d’une ou deux générations, les enfants puis les adolescents (qui deviendront des adultes) et qui auront étudié grâce aux MOOC auront été confrontés très tôt à la liberté, à la possibilité de faire des choix, et à compter d’abord sur leur motivation interne, à ne pas dépendre d’un État tout puissant ou d’une batterie de professeurs pour les orienter.

Cette fin de la standardisation, introduite par les MOOC, signifie aussi, au bout de quelques générations, la fin de la standardisation des cursus (et pour certains pays comme la France, une franche remise en question de sa diplomosclérose). On comprend aussi que ceci peut entraîner la disparition de la reproduction sociale navrante qu’on observe dans les sociétés les plus sclérosées, tout comme la vision hiérarchisée et figée qui l’accompagne.

Du point de vue des élites et de l’État au sens large, ceci constitue une menace puissante : un peuple libre, c’est avant tout un peuple libre dans sa tête, dont les individus connaissent leur force d’autant mieux qu’ils n’ont pas besoin de l’État pour vivre et ont pu s’en rendre compte très tôt.

Cette révolution-là sera visible de tous, lorsque les MOOC seront devenus omniprésents. À ce moment, vous pouvez être sûr que l’État et ses thuriféraires feront tout pour les combattre. Ce sera en pure perte : ils ont déjà perdu.


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