True Detective, Saison 1: Histoire d’un chef d’oeuvre

Publié le 12 mars 2014 par Wtfru @romain_wtfru

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[Attention contient de tout petits spoilers]

Record d’audience pour une première saison sur HBO depuis l’immense Six Feet Under, des critiques dithyrambiques, des parodies, des théories sur le web plus farfelues les unes que les autres. En l’espace d’un mois et de huit épisodes, True Detective est devenu un vrai phénomène de société en même temps qu’une série d’exception. Comment expliquer un tel succès quand le plan de départ repose sur des classiques du genre ? Rust Cohle et Martin Hart, deux inspecteurs au caractère diamétralement différent, enquêtent sur le meurtre d’une jeune femme et s’aperçoivent très rapidement qu’il ne s’agit pas d’un simple cas d’homicide. Jusqu’ici rien d’original et d’exceptionnel. C’est tout le reste qu’il l’est.

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Un duo d’acteurs remarquable
Matthew McConaughey va-t-il réussir l’inédit tour de force de remporter un Golden Globes et un Oscar de meilleur acteur pour sa performance dans Dallas Buyers Club puis l’Emmy Awards et le Golden Globes du meilleur acteur dans une série, le tout sur douze mois ? Très franchement, on ne voit pas ce qui peut l’en empêcher tant son interprétation ici du mystérieux Rustie Cohle est incroyable. En à peine vingt minutes du premier épisode, on sait d’ores et déjà que l’on est face à une performance de tout premier plan. La mine marquée, impassible, quasi impénétrable, son accent à couper au couteau, sa voix d’outre-tombe et ses monologues mystiques font de Cohle un personnage déjà mythique du petit écran.
Pour tenir la comparaison, il fallait un partenaire au moins aussi talentueux et pourquoi pas habitué des joutes avec McConaughey. C’est ainsi que l’on retrouve l’inénarrable Woody Harrelson dans la peau de Martin Hart. S’il présente tout les stéréotypes de l’inspecteur de base (alcoolique, coureur de jupon, nerveux) et qu’il met un peu plus de temps à s’installer, Hart prend finalement toute sa place pour former avec son compère un formidable duo. Retrouver deux grands acteurs comme McConaughey et Harrelson dans un format de série, c’est évidemment du petit lait. Amis dans la vie, c’est d’ailleurs le premier qui a (facilement) convaincu le second de participer à cette saison.
Les deux se connaissent parfaitement – troisième collaboration- et donnent très certainement ici leur meilleure partition ensemble. Entre alchimie et tension palpable, entre simplicité et moments quelque peu plus surjoués, ils sont l’une des principales raisons de la réussite de True Detective.

Matthew, serein avant ses prochaines récompenses.

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Une réalisation impeccable
Qui connaissait Cary Fukunaga avant la série ? Réalisateur de Sin Nombre et du très bon Jane Eyre (avec entre autres, Wasikowska et Fassbender), le californien jouissait jusqu’ici d’une bonne réputation dans les cercles de cinéphiles. Nul doute qu’avec cette saison, il va voir sa côte monter en flèche et s’ouvrir des portes très intéressantes.
S’inspirant directement de David Lynch – et notamment de Twin Peaks – ou encore de l’univers lourd de Se7en, il est parvenu à retranscrire une ambiance poisseuse propre à la Louisiane où se déroule l’action. Bayou, usines, grandes routes, bars, stripclub pour cow-boys, bienvenue dans le sud des Etats-Unis, un autre monde.
Quelque part entre surréalisme, action et guide touristique (les larges plans de paysage), Fukunaga livre une recette trois étoiles du thriller.
Il y a quelques moments de grâce, voire d’exception sur certains plans avec un jeu parfait sur les lumières et les contrastes. Et puis des scènes pas loin de la postérité, que ce soit la traque finale éprouvante chez Childress ou, bien évidemment, ce plan séquence (un seul plan continu sans montage) de six minutes de l’épisode 4, véritable petit chef d’œuvre de réalisation qui a largement contribué au buzz de la série. La chorégraphie est parfaite, l’immersion totale pour un passage qui fera date dans l’histoire de la télévision.
Le fait qu’un seul réalisateur se soit occupé de toute la saison est forcément un point fort du processus. Un seul prisme, une seule signature pour une histoire unique, c’est là aussi un avantage pour parvenir à accrocher durablement le spectateur.

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Un scénario fascinant et original
Elle est là, la clé de tout le reste. Si les personnages, l’histoire, les acteurs, la réalisation est impeccable c’est parce que le fil conducteur l’est tout autant. Et il faut remercier son créateur, Nic Pizzolatto. Ancien enseignant de littérature vite devenu écrivain, il a connu un très beau succès en 2010 avec son roman Gavelston (notamment en France où il a été primé au titre de meilleur premier roman étranger) avant de se lancer dans le scénario de séries, tout d’abord pour The Killing et donc True Detective, son bébé.
Tout d’abord prévu pour être un roman, Pizzolatto s’est vite aperçu du potentiel (télé)visuel de son œuvre en cours et de la proposer à HBO qui a senti le bon filon. Série d’anthologie (c’est à dire une saison = une histoire et changement d’intrigues, de personnages à chaque nouvelle saison), True Detective avait donc pour principal challenge de vite convaincre dès le départ pour embarquer le plus de monde possible au fil de huit tout petits épisodes. Court, très court surtout lorsqu’on ne veut pas de l’action pur et simple et que l’on part avec trois premières heures assez lentes.

Mais la construction du récit est parfaitement ficelée, ou plutôt parfaitement découpée pour que l’action soit dans la chronologie du récit plutôt que dans le débit de testostérone. On traverse trois périodes distinctes, étendues sur dix-sept ans, de 1995, élément déclencheur car date de la découverte du corps de Dora Lange jusqu’à 2012, période contemporaine, en passant par 2002, période de rupture. S’il est un peu difficile de s’y retrouver au départ, tout est fait pour nous faciliter la tâche (notamment par le biais du changement physique de Cohle).
Et puis il y a l’histoire en elle-même. S’inspirant du mysticisme assez fort de l’Etat de Louisiane dont il est originaire, Pizzolatto crée une intrigue fascinante et forte sous fond de dialogues philosophiques, de complot, de religion, de pédophilie, n’hésitant pas à s’appuyer sur des écrits « réels » comme le récit de nouvelles fantastiques The King in Yellow, datant de 1895 (et qui connaît un regain d’intérêt complètement dingue depuis la série puisqu’Amazon s’est même retrouvé en rupture de stock du bouquin) pour parler du fameux Yellow King ou de « Carcosa ».
De quoi créer l’engouement des fans pour recouper des indices afin de retrouver l’identité du tueur. Et ainsi de laisser place sur le net à des théories plus farfelues les unes que les autres (dont une sur les cravates assez folle).
Autre point fort et positif du scénario, c’est qu’assez intelligemment, Pizzolatto ne va pas chercher à faire dans le twist final incroyable et improbable, préférant une fin assez classique mais qui, au moins, s’inscrit dans une forme de logique au vu des sept épisodes précédents. Pas spectaculaire, plus efficace.

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Un puzzle de personnages
Si l’intrigue ressemble à un Tetris géant, elle est bien aidé en cela par un nombre incalculable de personnages de second voire de troisième plan. Alors certain(e)s en ont d’ailleurs profité pour râler contre le côté machiste de la série, où les caractères féminins n’ont pas franchement de profondeur autre que physique – ce qui peut être facilement contredit quand on voit l’importance de Maggie, la femme de Hart dans certains événements. Pizzolatto a d’ailleurs regretté toutes ces scènes de nudité obligatoires dans le cahier des charges des chaines câblées mais les différentes chorégraphies de réalisation (notamment celle d’Alexandra Daddario… Mamma…) donnent une perspective autrement moins vulgaire que dans d’autres séries, même d’HBO, soit disant féministes (Sex and the City ou Girls, au hasard).
Et puis tous les autres personnages secondaires, même masculins, n’ont pas forcément plus à apporter que leur rôle par rapport à l’intrigue. Derrière les deux pièces centrales que sont Cohle et Hart, c’est une multitude de petites pièces qui servent à reconstruire le puzzle. Que ce soit les deux inspecteurs Gilbough et Papania ou les terrifiants antagonistes (Ledoux, Childress), leur impact se mesure plus dans ce qu’ils apportent à l’histoire (pour les inspecteurs, la relance du duo Rust/Marty par exemple) qu’à leur véritable place dans la série. Les « méchants » sont certes représentés et foutent bien les jetons (même en slip) mais n’apparaissent que très peu à l’écran sur la totalité des huit épisodes. C’est tous ensemble qu’ils ont une importance dans l’intrigue et non en leur propre nom.

Un mec en slip affublé d’un masque à gaz, c’est forcément dangereux

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Alexandra Daddario, espace fraîcheur.

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Une bande originale d’anthologie
Spécialiste ès-musique que l’on prétend être, on ne pouvait pas finir sans ajouter un mot sur la bande son absolument dingue qui accompagne True Detective. C’est bien simple, on n’a pas le souvenir d’une original soundtrack de cette ampleur pour une série. Déjà, il y a le fabuleux générique qui mêle esthétisme soigné au titre Far From Any Road de The Handsome Family. Puis il y a tout ces morceaux parfaitement incorporés à l’ambiance, que ce soit rock psyché, blues, gospel, hard-rock ou rap, c’est du petit lait. On passe sans transpirer d’un Black Angels au Wu-Tang Clan jusqu’à The 13th Floor Elevators sans oublier un bon vieux Ike & Tina Turner. Le tout sous l’œil bienveillant du légendaire producteur T Bone Burnett, architecte sonore en chef de cette sélection haute gamme.
Pour le plaisir, voici le fameux générique puis une sélection des meilleurs titres extraits de la série.

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Court mais intense, True Detective a déjà marqué son temps, rapprochant encore un petit peu plus cinéma et sérié tout en réinventant le thriller. On regrette d’avance de ne plus retrouver la paire Cohle/Hart dans la prochaine saison (exit aussi Fukunaga) tout en ayant l’impatience d’aller vers de nouvelles contrées et une nouvelle intrigue en compagnie du show-runner Pizzolatto qui a vu son contrat avec HBO prolongé jusqu’en 2016. Vivement.

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