[notes sur la création] Gaston Bachelard

Par Florence Trocmé

« L’enfance se constitue par fragments dans le temps d’un passé indéfini, gerbe mal faite de commencements vagues. Le tout de suite est une fonction temporelle de la pensée claire, de la vie qui se déroule sur un seul plan. En méditant la rêverie pour descendre jusqu’aux sécurités de l’archétype, il faut la « profonder », soit dit pour nous servir d’une expression que certains alchimistes aimaient à employer. 
Ainsi, prise dans la perspective de ses valeurs d’archétype, replacée dans le cosmos des grands archétypes qui sont à la base de l’âme humaine, l’enfance méditée est plus que la somme de nos souvenirs. Pour comprendre notre attachement au monde, il faut ajouter à chaque archétype une enfance, notre enfance. Nous ne pouvons pas aimer l’eau, aimer le feu, aimer l’arbre sans y mettre un amour, une amitié qui remonte à notre enfance. Nous les aimons d’enfance. Toutes ces beautés du monde, quand nous les aimons maintenant dans le chant des poètes, nous les aimons dans une enfance retrouvée, dans une enfance réanimée à partir de cette enfance qui est latente en chacun de nous. 
Ainsi, il suffit du mot d’un poète, de l’image neuve mais archétypement vraie, pour que nous retrouvions les univers d’enfance. Sans enfance, pas de vraie cosmicité. Sans chant cosmique, pas de poésie. Le poète réveille en nous la cosmicité de l’enfance. »  

 
Gaston Bachelard, La poétique de la rêverie, Paris, Presses Universitaires de France, collection « Quadrige », 1993, p. 109. 
 
[Choix de Matthieu Gosztola]