Un rêve bien agréable

Publié le 16 mars 2014 par Dubruel

RÉVEIL (d'après Maupassant)

Depuis trois ans qu’elle était mariée,

Jeanne n’avait point quitté le val de Cariet.

Un hiver,

Des quintes de toux l’épuisèrent.

Elle devait se reposer.

Le médecin lui conseilla d’aller passer

Deux ou trois mois dans le Midi

Où le climat serait meilleur pour son état

Que les brumes épaisses du Jura.

Elle partit.

À Menton, Jeanne prit goût aux diners,

Aux fêtes, aux soirées.

Des hommes la courtisaient.

Elle s’en tenait aux chastes baisers

Qui sont caresses des âmes

Et se demandait comment les femmes

Consentaient à des contacts dégradants.

Elle recevait beaucoup de compliments.

Les déclarations jetées sous la treille,

Les mots doux murmurés à son oreille

Allumaient en elle cependant

Un certain contentement.

Elle aimait les têtes à têtes au soir tombant.

Mais aucune pensée coupable

Ne pénétrait son cœur irréprochable.

Deux jeunes gens

L’accompagnaient partout :

Boniface Leroux

Qui frémissait en approchant d’elle.

Et le patient Raoul de Villameur,

Dit Mouton fidèle

Car il savait attendre son heure.

Jeanne surnommait Boniface

Capitaine Fracasse.

Elle aurait bien ri

Si on lui avait dit

Qu’elle l’aimerait. Mais, en rêve, elle l’aima.

Elle le voyait délicat,

Doux, passionné, fidèle.

Au réveil, elle l’imaginait près d’elle.

Une nuit ( Peut-être

Avait-elle la fièvre ? ),

Elle marchait seule avec lui

Dans la forêt,

Leurs lèvres s’effleuraient.

Elle se sentait emplie de tendresses pour lui.

Dans un rêve, on est tout autre que dans la vie !

La nuit suivante, il l’enlaçait.

Elle s’abandonnait.

À son réveil, elle était encore vibrante,

Mais, en épouse aimante,

Elle ne voulut pas faillir.

Elle écrivit

À son mari

Qu’elle désirait rentrer.

Il la dissuada de revenir

Dans les froides brumes de Cariet.

La réponse de l’époux objecteur

Qui ne comprenait pas la lutte de son cœur

L’indigna,

L’atterra.

Quelques jours après,

Elle fût invitée à une soirée.

Quand elle dansait avec Mouton fidèle,

Elle ne pensait qu’à Boniface,

Son capitaine Fracasse.

Si Villameur,

Était son cavalier,

C’était avec ‘l’autre’

Qu’elle valsait.

De tout l’élan de son cœur,

S’il murmurait : -« Voulez-vous m’aimer ? »

Elle n’entendait que ‘l’autre’.

Quand Villameur l’enlaçait,

C’était ‘l’autre’ qu’elle désirait

De tout son corps ardent.

Le lendemain, en s’éveillant

Elle vit Mouton fidèle,

À genoux près d’elle

Qui lui déclarait :

-« Vous êtes adorable ! »

-« Je vous hais. Allez-vous-en !

Vous êtes infâme. Allez-vous-en ! »

Villameur, abasourdi, se releva,

Prit son chapeau et s’en alla.

Deux heures plus tard,

Jeanne était sur le départ.

Arrivée au val,

Au domicile conjugal,

Son mari,

Surpris,

Lui reprocha sa décision.

-« Je ne pouvais plus vivre loin de toi. »

Il ne comprit pas sa réflexion :

-« Tu es plus triste qu’autrefois.

Qu’as-tu ?

Que désires-tu ? »

-« Rien. Il n’y a de bon que les rêves

Dans notre vie si brève. »